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Thomas Reverdy, Sociologie des Organisations 1 Manager la transversalité La complexité des produits et des procédés, les exigences permanentes d’optimisation et de fiabilisation de la qualité, imposent aux membres des organisations de penser leur activité au sein des divers processus qui traversent toute l’organisation. Les efforts d’amélioration de l’organisation se concentrent de plus en plus sur l’amélioration de cette transversalité et de la coordination entre métiers, services, entités multiples. Ce 3e chapitre du cours a pour objectif de présenter et discuter les diverses techniques managériales qui aujourd’hui prennent en charge cette transversalité. Nous commençons donc par revenir à des connaissances rudimentaires, déjà abordées en sociologie en première année, l’étude des interdépendances. Nous présentons deux façons de schématiser les interdépendances : l’analyse de processus et le sociogramme. Ces outils ont pour objectif de mettre à plat, rendre visibles les interdépendances. Dans la partie suivante, nous abordons les enjeux de communication entre groupes professionnels et de coopération dans des dynamiques d’apprentissage. Nous évoquerons les formes d’inhibition, de jugements, qui entravent la coordination et la coopération entre différents groupes dans l’entreprise. Enfin, la troisième partie est consacrée au management par projet. Les techniques « classiques » de management par projet, qui s’appuient principalement sur la planification des tâches, s’appuient sur des hypothèses parfois peu réalistes : prévisibilité, séquentialité des tâches… De nombreux travaux empiriques montrent que la coordination dans les projets s’appuie sur d’autres pratiques, instruments et structures organisationnelles, complémentaires aux techniques de planification, et davantage compatibles avec la réalité des projets. Les démarches d’ « ingénierie concourante » reposent sur ces techniques. Le management des processus On trouve dans la littérature en management de la qualité et en management des systèmes d’information de très longs développements sur le management des processus. Il ne s’agit pas ici de reprendre tous ces éléments. Il s’agit ici simplement d’examiner comment cette approche est un moyen de développer, dans l’entreprise, une prise de conscience de la dimension transversale de l’activité. Plusieurs outils sont utilisés dans ces démarches. Nous en retenons deux : la formalisation des relations « clients-fournisseurs » entre les fonctions de l’entreprise, la réalisation des logigrammes. La formalisation des clients-fournisseurs internes est un bon moyen de mettre à jour les nombreuses interdépendances entre services. Elle est bonne technique d’animation dans une Thomas Reverdy, Sociologie des Organisations 2 logique de progrès continu : demander à un des membres d’un service qui sont ses clients internes et externes, quels sont leurs attentes, quelle est leur satisfaction… est un moyen de se décentrer d’un rapport immédiat à l’activité et de s’interroger sur ses finalités. S’interroger aussi sur la façon dont son activité impacte ses clients. Il est possible de retourner le même raisonnement vers ses fournisseurs, préciser ce que l’on attend d’eux, s’interroger sur leur capacité à répondre à nos attentes. Il est aussi possible de demander à deux services de formaliser, chacun de leur côté, la relation actuelle, en ces termes, ainsi que la relation souhaitée. Un deuxième outil permet d’aller plus en détail dans les interdépendances, il s’agit du logigramme. Ce qui prime dans ce type d’analyse, c’est la précision des détails dans les échanges d’information, les dysfonctionnements… Cette méthode suppose de lister les tâches et les décisions propres à une activité (la gestion des dossiers de malades, la gestion des entrées et sorties de malades dans un service…) et de rechercher les relations d’antériorité (quelle tâche doit être faite avant telle tâche) pour les organiser sous la forme de « logigrammes ». En principe, le modèle suppose que l’on recherche qui assume chaque tâche ou chaque décision. L’usage de cette modélisation en animation de groupe (l’animateur dessine le logigramme avec l’aide du groupe) permet de pointer les problèmes de coordination des tâches, les tâches négligées et les problèmes de disponibilité. L’animateur joue un rôle de « candide » en questionnant systématiquement le groupe sur les zones d’ombre ou les incohérences. A priori, cette démarche apparait assez objective et n’introduit pas de biais trop importants dans la représentation d’un ensemble de tâches articulées entre elles. Une analyse attentive montre que ce n’est pas le cas. L’hypothèse de séquentialité des tâches introduit des contraintes fortes dans la représentation des tâches. En effet, du fait de son formalisme analytique et séquentiel, la modélisation des processus véhicule des hypothèses normatives sur ce qu’est une activité bien ordonnée. Ainsi, il faut que l’on attribue à chaque tâche une personne responsable, que l’on s’en tienne aux relations d’antériorité entre tâches. Les interruptions et les adaptations, les courts-circuits nécessaires faute de ressources, le non- respect d’un ordonnancement de tâches, l’ambiguïté sur les responsabilités, tous ces ajustements courants peuvent se retrouver désignés comme des dysfonctionnements alors qu’ils sont parfois considérés dans l’action comme nécessaires. Il y a un risque que le logigramme soit considéré comme une organisation de travail idéale mais peu réaliste. L’exemple suivant montre bien l’orientation « normative » d’une représentation sous la forme de logigramme. Il s’agit d’un logigramme dessiné par un groupe de travail d’amélioration de la qualité, dans un service hospitalier de réanimation, à propos de la gestion des entrées de malades dans le service. La discussion permet bien d’établir un enchaînement raisonnable des tâches (qui constitue le logigramme) mais montre que les perturbations de cet enchaînement sont très nombreuses, remettant en question l’hypothèse d’une linéarité des tâches. Thomas Reverdy, Sociologie des Organisations 3 La représentation sous forme de logigramme leur est apparue rapidement comme une tâche quasi-impossible s’il s’agit de rendre compte de l’activité. Le modèle ne permet pas de rendre compte des nombreuses causes d’interruptions et de bouclage des processus ni du fait qu’une ressource peut être mobilisée par deux processus en même temps. On rajoute des annotations, on discute autour… La mise en valeur d’un processus central et des perturbations, des aléas, permet de débattre de la façon dont les aléas se propagent, sont pris en charge ou s’amplifient, dans l’enchainement des activités. Parfois, si on essaie d’aller jusqu’au bout dans la description des pratiques, la complexité des enchaînements devient très important. Par exemple, un groupe d’un service de radiologie médicale a analysé la gestion du dossier de patient. Lors de la restitution du travail du groupe à l’ensemble du service, l’assistance a été littéralement sidérée par la complexité de la schématisation, le nombre d’alternatives et de circuits possibles. Les membres du service découvraient aussi, à cette occasion, l’absence de lieu précis pour ranger le dossier, déposé parfois sur la machine, parfois sur la table, parfois sur le chariot de l’infirmière. Ainsi, un logigramme permet à un groupe de construire une représentation commune de l’activité, de sa complexité, des faiblesses dans la distribution des rôles, dans l’articulation des tâches, dans la circulation de l’information… Même s’il s’accompagne toujours d’une représentation idéalisée de l’activité : un bel enchainement linéaire de décisions et de tâches. Le diagnostic des interdépendances et leur schématisation Cette méthode de travail reste profondément inspirée de l’analyse stratégique des acteurs dont elle reprend l’essentiel des hypothèses. Par exemple que les membres des organisations sont des « acteurs » : ils sont capables de définir une stratégie d’action en fonction de leur contexte, de rechercher les moyens qui permettent de répondre aux buts qu’ils se fixent. Ils sont interdépendants : la distribution des ressources dans l’entreprise a pour conséquence que les individus sont dépendants d’autrui pour atteindre leurs objectifs. Enfin, ils sont capables Thomas Reverdy, Sociologie des Organisations 4 de coopérer mutuellement pour gérer leurs interdépendances : aussi la stratégie de chacun se définit en fonction de sa dépendance aux autres acteurs. De telles hypothèses fondent une démarche d’intervention, qui a d’ailleurs été formalisée par François Dupuy, consultant et professeur à l’INSEAD en sociologie des organisations. Cette démarche a été employée dans diverses entreprises dans des situations de blocage organisationnel face à des projets de changement, blocage impliquant une forte dégradation des relations sociales. Elle est fondée sur une démarche de connaissance (le sociologue doit partir à l’écoute de l’organisation) et de confiance. Elle fait l’hypothèse que pour faire changer l’organisation, il faut partager la connaissance acquise avec les membres de l’organisation, cette connaissance est nécessaire aux acteurs pour repenser leur comportement. L’outil central de la démarche est le sociogramme des relations de dépendance, que l’on peut combiner avec un travail d’analyse des causes. Mais avant de représenter les interdépendances, la démarche s’appuie sur un travail d’enquête. Celui-ci part généralement de symptômes visibles : des écarts à la règle, une mauvaise performance, des pannes, des grèves… Il s’agit de remonter aux causes organisationnelles. Attention, il ne suffit pas d’écouter le discours des acteurs sur les causes, mais il est utile de reconstituer le fonctionnement réel de l’organisation, et pour cela établir une bonne connaissance des aléas, remonter les chaînes de causalité de ces aléas, repérer les compétences mises en œuvre, des échanges d’information. La démarche est à la fois analytique et globale. Elle est analytique car elle part des acteurs et repère le jeu des contraintes et des interdépendances qui s’imposent à chacun. Elle cherche à comprendre comment les acteurs s’adaptent à celles-ci… uploads/Management/ transversalite-pdf.pdf
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- Publié le Aoû 02, 2022
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