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208 Les Cahiers du journalisme n o 18 – Printemps 2008 La communication publique, un concept pour repositionner le journalisme contemporain1 François DEMERS Professeur titulaire Département d’information et de communication Université Laval, Québec francois.demers@com.ulaval.ca L ors de sa création en 2003, l’équipe de recherche sur les « Pratiques novatrices en communication publique » (PNCP)2 s’est adossée au sentiment généralisé que le journalisme s’est dégradé à la fin du 20e siècle et qu’il continue sa descente aux enfers. Le PNCP a explicitement choisi de regarder les changements observables du champ mass médiatique – ceux qui concernent spécifiquement le journalisme professionnel – comme des innovations d’acteurs qui s’adaptent à un nouveau contexte. Composée elle-même de membres qui ont tous pratiqué le journalisme, mais dont certains se sont spécialisés par la suite en relations publiques ou en publicité, elle a emprunté le concept/bannière de communication publique, une étiquette qui a précisément permis dans les années 1980 à des professeurs attachés à l’une ou l’autre de ces trois activités professionnelles et à des sociologues des médias de se construire un terrain collectif pour l’enseignement aux cycles supérieurs et pour la recherche dans le cadre du Département d’information et de communciation (DIC) de l’Université Laval. Le texte qui suit entend rappeler brièvement les circonstances de l’adoption de ce label par le DIC et la définition de départ de cette expression. Ce sera l’objet de la première partie. 209 La communication publique, un concept pour repositionner le journalisme... Mais le propos plus spécifique sera d’esquisser comment l’étiquette est devenue un véritable concept – central dans le cadre des travaux du PNCP – permettant de re-problématiser le journalisme, la publicité et les relations publiques dans le contexte contemporain. Ainsi, la deuxième partie va rappeler sommairement la transformation de la place publique médiatique, illustrant ainsi par incidence l’obsolescence de conceptions qui ont guidé les recherches dans la phase antérieure. La troisième partie, prenant appui sur le lien fort entre les médias et la démocratie, résumera l’évolution de cette dernière et indiquera comment cette évolution a rendu prioritaire des recherches sur les voies de la délibération publique. Enfin, la dernière partie proposera une présentation graphique qui explicite la construction du concept de communication publique dans une direction utile à la recherche. Dans l’ensemble, ce texte propose en quelque sorte un renouvellement du diagnostic à propos du monde socio-communicationnel contemporain qui est ici considéré comme vivant une mutation de grande ampleur, de l’ordre du changement de configuration, au sens holiste de Norbert Elias3. Et il entend montrer que le concept de communication publique est un outil qui convient à la recherche impulsée par ce diagnostic. Mais avant de débuter vraiment, signalons tout de suite qu’il n’y aura pas d’exercice de définition des mots « communication » et « public ». Le texte tient pour acquis le sens commun du substantif « communication » comme action de mettre en relation par des moyens physiques ou symboliques ou les deux. Quant à l’adjectif « public », il s’oppose d’une part à privé, de l’autre à secret. De plus, il convient de noter d’entrée de jeu que l’expression « communication publique » ne prend pas ici le sens souvent utilisé en France de communication par les composantes de l’appareil d’État (Libois, 2002). Cette communication-là, dans la perspective adoptée ici, n’est qu’un des terrains inclus dans l’extension de la définition adoptée. De même, le sens du mot « communication4 », souvent utilisé par des auteurs français pour dire les relations publiques ou la communication organisationnelle, a été carrément absorbé ici par l’expression relations publiques. Il n’y aura pas non plus de discussion à propos de l’appartenance et de la subordination du domaine de la communication publique à la discipline de la communication ou à celle de la science politique. Il suffit ici de souligner que par l’ouverture d’un doctorat en communication publique5, on peut penser avec une certaine crédibilité que ce sous-champ a atteint un niveau d’institutionalisation respectable qui le détache des deux disciplines en cause même si le domaine de la communication publique intersecte largement l’un et l’autre. 210 Les Cahiers du journalisme n o 18 – Printemps 2008 Une simple étiquette ? La petite histoire de l’adoption de l’étiquette « communication publique » par le Département d’information et de communciation de l’Université Laval débute dans la première moitié des années 1980. L’enseignement (et la recherche) en communication avait commencé officiellement à l’Université Laval en 1968 par un programme de premier cycle en journalisme (Sauvageau, 2003). Deux autres programmes (relations publiques et communication) ont été créés dans son sillage au cours de la première moitié des années 1970. En 1978, une unité administrative spécifique, le Département d’information et de communication, a été mise sur pied pour gérer ces programmes. C’est en 1987 qu’est apparue l’appellation de « communication publique » pour coiffer le nouveau programme de maîtrise. Celui-ci définissait la communication publique comme « l’ensemble des phénomènes de production, de traitement, de diffusion et de rétroaction de l’information qui reflète, crée et oriente les débats et les enjeux publics ; la communication publique étant non seulement le fait des médias mais aussi des institutions, entreprises, mouvements et groupes qui interviennent sur la place publique » (Beauchamp, 1991, p.XIII) Pour sa part, un peu plus loin dans le même livre, dans son texte sur le « développement historique de la communication publique au Québec », Jean de Bonville, lui aussi professeur au DIC, définissait la notion de la façon suivante : « Elle renvoie d’abord, écrivait-il, à l’ensemble des messages transmis par les médias de communication et à ces médias eux-mêmes. Elle désigne aussi les relations qui s’établissent lors de la transmission de messages entre individus considérés comme citoyens. Elle touche non seulement les affaires publiques et la vie politique en général, mais aussi tous les problèmes auxquels doit faire face la société et qui sont soumis au débat public, agitent l’opinion publique ou relèvent de l’état et de l’administration publique : économie, justice, éducation, santé, environnement, etc. » (de Bonville, 1991, p.4). Au départ, l’adoption de ce label était le résultat d’une sorte d’accommodement intellectuel. Pour arriver à construire ce programme, il avait en effet fallu mettre ensemble dans un discours cohérent les forces reconnues du Département, liées d’une part à des formations professionnelles en journalisme et relations publiques, d’autre part à un enseignement de la communication (tout court) nourri de la sociologie critique des médias6. Divers facteurs ont conduit à adopter le concept « communication publique » comme label intégrateur. Parmi ceux-ci, et de manière contraignante, l’obligation faite aux promoteurs du programme d’études supérieures d’établir la spécificité de leur projet par rapport à d’autres maîtrises déjà existantes au Québec et portant le titre de communication. 211 La communication publique, un concept pour repositionner le journalisme... Les débats entourant la définition du programme ont par ailleurs été profondément influencés par un courant de pensée nord-américain alors émergeant en administration des affaires et en science politique : les « affaires publiques » (Robert, 1990). Celles-ci expriment alors le souci des entreprises et corporations (du monde des affaires en général) de systématiser leur présence dans les débats publics. C’est aussi leur réponse à l’impératif du « devoir d’informer » qui a migré graduellement des organisations étatiques et paraétatiques, aux entreprises privées, sommées de faire savoir en continu ce qu’elles sont et ce qu’elles font. Industries et commerces se présentent désormais comme de « bons citoyens corporatifs » soucieux de leur « responsabilité sociale ». Ils deviennent eux aussi des acteurs du débat public au-delà de leurs pratiques traditionnelles de lobby dans l’ombre. Bref, l’élargissement de la démocratie délibérative de l’après-guerre a servi de ciment aux trois « camps » du Département et a conduit à l’adoption d’une bannière commune : la communication publique. Avec « les affaires publiques » en toile de fond, le travail professionnel des relationnistes a été reconnu comme légitime et indispensable pour soutenir l’accès aux médias (et aux débats publics) de causes de plus en plus diverses. D’un autre côté, en posant le débat public au centre de sa perspective, le concept de communication publique a rejoint la préoccupation première des journalistes professionnels : l’information socialement significative et politiquement pertinente. Enfin, les observateurs et experts critiques du rôle des médias ont été confortés par les liens fondateurs du concept, avec d’une part les médias de masse et d’autre part avec la démocratie : la critique des premiers pouvait continuer au nom du second, qui se substituait ainsi à la référence à la classe ouvrière, alors en perte de vitesse. Quelque 20 ans plus tard, le document qui a été élaboré pour le projet d’un doctorat en communication publique permet de voir plus clairement encore les objets qui sont visés par l’expression. Il annonce en effet trois axes de recherche : les pratiques professionnelles, l’intervention sociale et, troisièmement, les représentations et discours publics (Projet, 2005, p.8). À propos du premier axe (les pratiques professionnelles), on peut lire en page 9 : « Les pratiques professionnelles étudiées sont les pratiques déjà bien institutionnalisées uploads/Management/demers-communication-publique-un-concept-pour-repositionner-le-journal-is-me.pdf
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- Publié le Sep 04, 2022
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