Isabelle Bruno Emmanuel Didier Zones Sommaire INTRODUCTION 1. QU’EST-CE QUE LE
Isabelle Bruno Emmanuel Didier Zones Sommaire INTRODUCTION 1. QU’EST-CE QUE LE BENCHMARKING ? 2. GÉNÉALOGIE D’UNE « DISCIPLINE INDÉFINIE » 3. TERRAINS D’EXPÉRIMENTATION ET DE LUTTE CONCLUSION. STATACTIVISME ! INTRODUCTION Il y a dans ce livre une véritable joie : celle de régler les difficultés qui paraissent insolubles. Celle de faire vivre une méthode simple qui permet d’affronter des questions compliquées. J’ai aimé que cette pratique place les acteurs de terrain dans une position de créateurs. Quelle beauté ! Disons-le tout net, le benchmarking autorise des gens ordinaires à faire des choses extraordinaires. Mieux : ce chemin leur permet, en renforçant leur estime de soi, d’entrer sans crainte dans des processus de changement. […] Votre problème ressemble au nôtre, lance un personnage au détour d’un chapitre. Eh bien oui, les problèmes des entreprises ressemblent diablement — dans le détail opérationnel — à ceux auxquels l’action publique doit faire face. Et si le benchmarking, le vrai, celui dont il est question ici, était un savoir-faire dont la société civile devait enfin faire profiter notre État ? Ceci n’est pas un éloge exalté du livre que vous tenez entre les mains. Cette citation, nous l’avons extraite d’une préface à un Guide du benchmarking note, curieusement signée Alexandre Jardin. Le parallèle établi par le romancier entre le fonctionnement des entreprises et celui de l’État est révélateur : gérer une firme marchande ou administrer un service public, cela relèverait d’une seule et même rationalité organisationnelle. C’est ce postulat, largement partagé, qui justifie aujourd’hui l’exportation des techniques managériales d’un univers à l’autre, du monde impitoyablement efficient des affaires à celui, réputé sclérosé, de l’action publique. Ce genre de discours n’a rien d’original. Depuis plus de vingt ans que souffle le « nouvel esprit du capitalisme note », on n’a cessé d’exiger, sous couvert de « réforme », l’alignement de la gestion des affaires publiques sur les standards du business. En 2008, le gratin du patronat français rassemblé à la convention du Medef put applaudir un discours de Laurence Parisot intitulé « Benchmarker, c’est la santé ! ». Elle y vantait les mérites de cette nouvelle panacée pour « réformer » tous azimuts : la fiscalité, l’université, l’administration — bref, le pays tout entier : Benchmarker, c’est la santé ! J’adore la langue française et je voudrais que Mesdames et Messieurs nos académiciens fassent un jour entrer dans notre dictionnaire le mot de benchmarker. Car il nous manque ! Benchmarker, c’est comparer, c’est étalonner, c’est mesurer ou, plus exactement, ce sont ces trois actions à la fois : benchmarker, c’est évaluer dans une optique concurrentielle pour s’améliorer. Benchmarker, c’est dynamique. C’est une grande incitation à ne pas rester immobile. Se benchmarker, c’est oser regarder dans le miroir son reflet objectif plutôt que de refuser de voir les choses en face et de mettre la tête sous son aile. […] Se benchmarker, c’est être réaliste. C’est se donner les moyens du pragmatisme. C’est savoir qu’on n’est pas seul au monde, ni le centre du monde, c’est refuser l’illusion qui empêche de grandir. Benchmarker un produit ou un service ou une idée, c’est l’apprécier à l’aune de critères pluriels car nous sommes maintenant dans un monde où la qualité est à la fois un droit et un devoir. Benchmarker ses équipes, c’est tout faire pour accroître le niveau de compétence de nos salariés. […] Et benchmarker un pays, qu’est-ce que c’est ? C’est le comparer à d’autres, rubrique par rubrique, et relativement au but qu’on recherche. Quelle est la fiscalité la plus avantageuse, au regard de son efficacité pour l’emploi ? Quelle est l’administration la moins pesante, eu égard à son efficacité la plus grande possible ? […] Quelle est l’école, quelle est l’université la plus admirable et en ligne avec l’épanouissement futur des jeunes ? […] Et pourquoi faudrait-il choisir entre l’excellence d’une rubrique ou d’une autre ? […] Ne pourrait-on pas avoir tout à la fois ? Je pense que oui parce que précisément des synergies vertueuses s’engageraient. Les meilleures écoles, la meilleure politique d’intégration, les meilleurs impôts, ou du moins les moins mauvais ? […] Imaginons qu’on y parvienne. Parce qu’en ayant benchmarké on aurait mis en place les réformes : la baisse du coût du travail, le transfert progressif des cotisations familiales vers la solidarité nationale car il n’y a qu’en France qu’elles sont à la charge exclusive des entreprises. Imaginons que les impôts taxant l’investissement aient été… boutés hors de France, et en premier la taxe professionnelle. Ce serait alors évident pour tout le monde que benchmarker c’est la santé ! En l’occurrence, la santé d’un pays ! […] note. Pour surnager dans un marché mondialisé, les entreprises ne peuvent plus, nous dit-on, se contenter de produire plus, elles doivent mieux s’organiser afin de proposer la meilleure offre. Les experts en management ont développé à cette fin toute une panoplie de méthodes et d’instruments, toute une boîte à outils, dont l’une des pièces maîtresses est le benchmarking. Ce mot, d’usage courant dans le monde des affaires, résulte de la substantivation du verbe anglais to benchmark, qui signifie évaluer par comparaison avec un modèle, un étalon, une norme extérieure. Le benchmark, c’est le point de référence. Étymologiquement, le bench désigne la marque taillée dans la pierre par l’arpenteur géomètre pour fixer son équipement de mesure note. Dans le jargon topographique, le benchmarking consiste à se référer à un repère de nivellement ou à un point géodésique pour effectuer des comparaisons de direction et d’altitude. C’est par analogie avec cette très ancienne pratique que les managers ont parlé de benchmarking à propos de leurs activités d’analyse compétitive et d’étalonnage des performances. Au sens que nous lui connaissons aujourd’hui, le terme a été popularisé par un ingénieur, cadre chez Xerox, un certain Robert C. Camp, auteur en 1989 de la bible en la matière : Benchmarking. The Search for Industry Best Practices that Lead to Superior Performance. Nous y reviendrons. Il est aujourd’hui devenu un mot d’ordre général, que Laurence Parisot résume parfaitement à sa manière : « Évaluer dans une optique concurrentielle pour s’améliorer. » Après avoir été élaboré par le management privé, ce discours a été transposé, avec tout son attirail technique, à l’action publique. En période de vaches maigres budgétaires, hors de question d’intervenir plus (ou avec davantage de moyens), il faut mieux organiser, afin de dispenser les meilleurs services à moindre coût note. Au slogan libéral classique du « moins d’État » s’est ainsi substitué le mot d’ordre néolibéral du « mieux d’État ». Mieux, toujours mieux : améliorer sans relâche ses résultats, être toujours en quête de « meilleures pratiques », toujours viser de nouvelles cibles, sans cesse repousser les limites. Les États ne seraient plus au- dessus de la mêlée, protégés de la concurrence par leur incommensurabilité souveraine. Comme tout un chacun, ils seraient engagés dans une compétition perpétuelle non seulement avec leurs pairs, mais avec n’importe quelle autre organisation. Les voilà pris dans une « course sans ligne d’arrivée », pour reprendre une métaphore dont les managers sont friands et qu’ils appliquent volontiers à toute forme de collectif — que celui-ci soit national ou local, associatif ou professionnel, public ou privé. Cette « réforme de l’État » dont on nous rebat les oreilles ne se réduit pas à des effets d’annonce note. Le bouleversement est radical, bien plus profond encore que le simple passage d’une figure étatique à une autre, comme la « grande transformation » qui caractérisa, selon Polanyi, la transition de l’État libéral à un « État-providence note ». L’État, selon cette nouvelle perspective, n’est plus, ne doit plus être l’instance qui établit, qui perdure — en un mot, qui est, comme l’indique son étymologie —, mais une entité mouvante alignée sur une société en perpétuel changement. Tout se passe comme si l’institution pérenne par excellence que représentait l’État devait se métamorphoser en une organisation modulable, en un processus ou, plutôt, en un agencement de processus branchés sur leur « environnement ». En poussant cette logique à son terme, on pourrait imaginer qu’on assiste actuellement à la disparition de l’État tel que nous l’avons connu, et à son remplacement par une autre agence qu’on appellerait par exemple le « Devenir » ou le « Procès ». Loin d’avoir passivement ployé devant la force de persuasion des capitaines d’industrie, certains serviteurs de l’État se sont montrés très actifs pour importer le benchmarking dans la sphère publique. De fait, on a assisté à une profonde transformation du personnel de la haute administration. Les nouveaux venus ont eu des carrières plus internationales, sont plus souvent passés dans des cabinets de conseil et ont circulé plus librement du secteur public au privé que par le passé, autant d’occasions de se familiariser avec ce nouveau management. L’enrôlement de chacun dans un effort coordonné de compétitivité ne procède idéalement d’aucune contrainte — ni physique ni légale. Il se nourrit de la bonne volonté des participants. Leur mobilisation n’est pas extorquée par la force, mais obtenue par leur libre assentiment. Être volontaire, « proactif uploads/Management/isabelle-bruno-benchmarking-sones-decouverte-2013.pdf
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- Publié le Jan 31, 2022
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