Working Paper serie Management N° 004 Institut Européen du Management Asiatique
Working Paper serie Management N° 004 Institut Européen du Management Asiatique Le management de la créativité au Japon dans l’industrie vidéoludique par Joan Larroumec, HEC Paris H04425 Majeur PIM 2008 sous la direction de Lionel Panafit 2 Avant propos Au cours de mes deux années passées au Japon, j’ai eu l’occasion de travailler pour une entreprise pharmaceutique que l’on pourrait décrire comme « très japonaise » dans son fonctionnement et son management. Encouragé par des cycles de production très longs de plus de sept années, le mode d’organisation de l’entreprise accentuait tous les paradigmes japonais : gestion des carrières sur le long terme, hiérarchie très marquée, normes restrictives concernant les horaires de travail ou le comportement attendu, etcetera. Un an plus tard, je travaillais pour un des principaux producteurs de jeux vidéo japonais. A première vue, de nombreux traits me semblaient différents. Si l’on voyait bien sûr une majorité de « salarymen » en costumes sombres arpenter les couloirs, ceux-ci côtoyaient pourtant de jeunes gens qui détonaient un peu dans cette atmosphère feutrée. Il s’agissait de créatifs, correspondant à l’image archétypale que l’on peut s’en faire : des porteurs de coupes de cheveux asymétriques aux couleurs chatoyantes et de vêtements millésimés, déchirés, brillants, extravagants ; navigant un peu à la dérive entre les salles de détente et de travail. Ainsi il existait, en apparence du moins, des îlots d’anticonformisme dans l’entreprise japonaise. Le besoin 3 impérieux d’être créatif avait-il donc pour conséquence la tolérance d’individualités fortes et en décalage avec le groupe, au pays même qui proclame que « le clou qui dépasse appelle le marteau » ? La création et l’innovation, dans des domaines tels que le jeu vidéo, ne peuvent-elles donc s’accomplir qu’au travers d’individualités marginales ? Comment crée-t-on ? Il existe deux a priori contradictoires concernant le Japon : d’une part le Japon est considéré comme un imitateur de génie, très fort dans l’amélioration des derniers 20% du produit, mais incapable d’innovations radicales ; d’autre part la production culturelle japonaise, et en premier chef le jeu vidéo, est souvent considérée comme profondément novatrice. De mes interrogations sur ces contradictions, de mes observations et questionnements sur le terrain, est né ce travail de recherche. 4 Table des matières Première partie : Japon, créativité et jeux vidéos, une vue d’ensemble (page 6) • Cool Japan (page 6) Où en est l’industrie culturelle japonaise ? (page 7) Pourquoi une telle explosion aujourd’hui ? (page 17) La troisième vague de japonisme (page 19) Perspectives : au cœur de l’industrie du jeu vidéo (page 20) • Théorie restreinte de la créativité (page 21) Les techniques créatives (page 23) La créativité dans l’entreprise (page 27) • Discours de la méthode (page 28) Deuxième partie : Réfutation et invalidation des hypothèses. • Les sources (page 38) • Première question : Quelles méthodes particulières de créativité sont utilisées dans l’industrie du jeu vidéo au Japon et dans quelle mesure expliquent-elles son succès ? (page 37) 5 • Deuxième question : Peut-on parler de management japonais en règle générale ? Le management de la créativité dans l’industrie vidéoludique est-il spécifique ? (page 50) • Troisième question : La créativité japonaise est-elle indiscutablement liée à certains traits culturels nippons, ou est-elle facilement reproductible à l’étranger ? (page 55) Conclusion (page 63) Références (page 66) 6 Première partie : Japon, créativité et jeux vidéos, une vue d’ensemble Cool Japan Pendant longtemps le Japon s’est considéré comme une puissance industrielle dont le succès était dû à l’excellence de ses réalisations. Les productions culturelles étaient dédiées principalement au marché local, étaient prévues pour être rentabilisées uniquement sur le marché local, et ce n’est qu’en surplus que ces productions finissaient à l’exportation. Même des productions planétaires telles que Mario étaient à l’origine dédiées au marché japonais. C’est un peu par surprise que le Japon a découvert le succès de sa culture à l’export, et avec retard que l’Etat a essayé de rationaliser et systématiser les succès du Japon dans les industries culturelles au sens large. Ainsi est né le concept de « cool Japan » terme générique, ombrelle de la culture japonaise qui s’exporte. Une culture pop au succès de plus en plus grand. Le Japon est ainsi en train de passer, à ses propres yeux et aux yeux du monde, d’un statut de superpuissance économique à celui de superpuissance culturelle. 7 Alors que les clichés affirmant que le Japon n’est qu’un excellent imitateur peuvent tout à fait expliquer un important succès économique, la réussite dans le domaine culturel s’explique plus difficilement sans une dose de créativité. En effet il semble plus difficile de réussir à exporter des biens culturels si ceux-ci ne sont que des imitations. La nouveauté et l’originalité dans le domaine des productions culturelles semblent a priori être des vertus cardinales. Où en est l’industrie culturelle japonaise ? Le marché de la culture pop japonaise pesait en 2007 18 milliards de dollars et les exportations de biens culturels du Japon sont en augmentation quasi constante depuis 50 ans. Surtout, pour la première fois en 2003 la balance commerciale culturelle du Japon était positive, ce qui fait en quelque sorte du Japon un contributeur brut à la culture mondiale. Voyons plus en détails l’évolution par secteurs. Ce qui vient à l’esprit en premier lieu lorsque l’on parle de culture japonaise est bien évidemment les mangas et les animes. Il est intéressant de se pencher sur les mangas dans un premier temps, car son foisonnement en fait un des foyers de la créativité japonaise, et une source d’inspiration constante pour l’industrie du jeu vidéo. 8 Aujourd’hui, plus de 60% de la production mondiale de dessins animés vient du Japon. En 20 ans, de Dragon Ball à nos jours, la production Japonaise a été multipliée par 10 en volume et s’exporte de mieux en mieux, dépassant les limites de l’archipel. Ainsi il s’est vendu pour 180 millions de dollars de manga aux Etats-Unis. Le manga est également fort sur le marché national où il représente 20 % de ce qui est publié.1 Ce succès écrasant du manga fait de ce medium un des premiers ambassadeurs de la culture japonaise à l’étranger. Il s’est ainsi développé une sous-culture de fans d’animation et de bande dessinée japonaises dans le monde entier. Ces fans développent une consommation obsessionnelle de produits japonais, et pour mieux comprendre le contexte de leurs lectures, s’intéressent souvent superficiellement mais parfois profondément au reste de la culture nippone. On a longtemps cherché à expliquer ce succès planétaire du manga, et l’on peut résumer les raisons habituellement avancées en 4 points. Il est intéressant de comparer ces 4 points avec leurs équivalents théorisé dans la littérature consacré à la créativité. Ainsi cela nous permet d’une part de dégager une première image de la créativité par l’exemple avant de se plonger complètement dans la théorie, d’autre part cela nous permet de dégager des traits culturels prégnants dans le jeu vidéo, car comme nous l’avons dit précédemment, 1 KELTS, Roland. Japanamerica. Editions Palgrave McMillan, 2007. 9 le manga peut être considéré comme le fond culturel du jeu vidéo. • Tout d’abord le manga couvre l’intégralité du marché de l’imagination. Il aborde tous les thèmes avec une quasi exhaustivité. Le manga peut être historique, bucolique ou plus étonnamment didactique. Ses thèmes futuristes et prophétiques sont en accord avec les obsessions mondiales. Ainsi il y a un vrai génie de l’adaptation au marché dans le domaine du manga, avec des productions spécialement prévues pour certaines catégories d’âge ou socioprofessionnelles. Le lecteur de manga reconnaît souvent des motifs récurrents et des manières de traiter les histoires similaires, adaptées à un monde fictionnel déterminé et aux besoins du public. Ainsi une même structure classique de type « un jeune homme à la découverte de ses origines va s’engager dans un parcours initiatique qui l’amènera au dépassement de soi » peut être déclinée dans de nombreux décors et modifiée subtilement en fonction de besoins mercatiques. Ce mariage entre deux modes de pensée, une structure artistique d’un côté, et une demande de marché de l’autre côté, est, comme nous allons le voir, un des ressorts puissants de la créativité. Nous verrons comment l’industrie du jeu vidéo également et plus largement toute 10 l’industrie culturelle japonaise répond à des objectif orientés consommateur. • Le manga a un aspect proche et exotique en même temps. Il fait éprouver une fascination pour une culture japonaise perçue comme étrangère mais la présence d’enjeux et de thèmes communs crée un fort sentiment d’identification. Par exemple des valeurs universelles telles que l’amitié sont souvent exaltées et entraînent un fort lien émotionnel, et le contexte culturel japonais crée tout à la fois une distanciation et une fascination. Le mariage de l’universel et du particulier, du familier et de l’exotique, du proche et du lointain, est également une des techniques de la créativité. • Le manga bénéficie d’une narration extrêmement originale, dynamique, s’étalant sur des pages et des pages, complètement en rupture avec la narration traditionnelle occidentale. Les théoriciens de la uploads/Management/ 004-larroumec.pdf
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- Publié le Jul 10, 2022
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