Rhétorique de la publicité dans le français contemporain Pierre Brouland* L’omn

Rhétorique de la publicité dans le français contemporain Pierre Brouland* L’omniprésence de la publicité est une des caractéristiques de nos sociétés contempo- raines. On a pu évaluer qu’en moyenne, un Français était confronté chaque semaine  plus de 500 messages publicitaires. C’est dire  quel point la publicité est devenue un véhicule important de la langue, qu’elle soit écrite ou parlée. Parler d’une langue de la publicité reste cependant paradoxal. Car la publicité par nature est protéiforme. Son objectif est d’influencer un client potentiel, auquel elle empruntera son registre de langue : elle sera snob avec les snobs, « branchée » avec les jeunes, compassée avec les bourgeois, « canaille chic » avec les « bobos », et ainsi de suite. Cette capacité qu’a la publicité de recycler tous les thmes et stéréotypes  la mode marque aussi ses limites et la condamne au conformisme. Depuis la fin des années 1980, cependant, une nouvelle tendance est apparue avec la mondialisation. Les grandes marques multinationales choisissent de mener de plus en plus souvent des campagnes « universelles » en utilisant l’anglais, ou plus exactement un nom- bre limité de mots ou d’expressions issus de cette langue. Mme si en France les pouvoirs publics se sont émus de cette situation et ont fait adopter en aot 1994 une loi rendant obli- gatoire l’emploi du français pour « toute inscription ou annonce destinée  l’information du public », le phénomne semble inéluctable et la loi précitée s’avre régulirement violée. On voit ainsi se développer dans la publicité une sorte de sabir, au lexique limité  une cen- taine de mots, dont certains comme « fun », « hot » ou « cool » finissent par contaminer la langue courante. La publicité deviendrait de la sorte le principal vecteur d’une certaine dé- liquescence du bien parler et favoriserait un relâchement général de la langue en multipliant les entorses  la syntaxe – par exemple, en faisant systématiquement fi de la double négation. Si la publicité est souvent perçue comme un facteur d’appauvrissement de la langue, voire comme une véritable « anticulture », elle peut néanmoins tre aussi étudiée sous l’angle de la rhétorique. En 1970 déj, Jacques Durand dans un article de « Communicati- ons », la revue fondée et dirigée par Roland Barthes, avait établi un intéressant parallle en- tre la rhétorique et la publicité. Il notait que le discrédit dans lequel est tenu la publicité dans le monde intellectuel vient pour partie du rejet de la rhétorique qui caractérise la pensée oc- cidentale depuis l’époque romantique. Pour Durand, les publicitaires auraient, en quelque sorte, réinventé la rhétorique au XXe sicle ou plus exactement, ils auraient reconstitué sans le savoir, la plupart des figures de la rhétorique classique. Finalement, la publicité n’aurait donc pas inventé de nouvelles formes de persuasion. Bernard Brochand et Jacques Lendrevie, dans « Le Publicitor », publié en 1989, vont encore plus loin. Pour eux, les trois opérations de la rhétorique classique, l’inventio, la dispositio et l’elocutio se retrouvent dans la démarche publicitaire :  l’inventio correspond l’étude de marché ;  la dispositio, la « copy stratégie » et  l’elocutio, la conception et la rédaction du message. En fait, la publicité n’utilise qu’un nombre limité de figures de style. La rédaction d’un slogan publicitaire doit satisfaire, en effet, un certains nombre d’exigences : concision, choix des mots en fonction de leur sonorité ou de leur pouvoir évocateur, ton humoristique. 82 Acta Oeconomica Pragensia, roè. 14, è. 4, 2006 * Pierre Brouland; Katedra románských jazykù, Fakulta mezinárodních vztahù, Vysoká škola ekonomická v Praze. Ces exigences éliminent de facto certaines tournures de style, en particulier celles qui ex- priment la passion. La tradition divise les figures de rhétoriques en trois catégories : les fi- gures de mots qui tournent le sens propres des mots en un nouveau sens ou jouent sur les sonorités d’un mot, les figures de construction qui changent la construction grammaticale et les figures de pensée qui relvent le sens ou la construction des mots par une tournure plus expressive de la pensée telle l’antithse. D’autres classifications ont été proposées, no- tamment par Roland Barthes qui distinguaient ainsi les métaboles qui jouent sur la substitu- tion d’un signifiant  un autre et qui se situent au niveau du paradigme, et les parataxes qui modifient les rapports entre signes successifs et qui se situent au niveau du syntagme. Nous conserverons cependant la classification traditionnelle, non pas que nous lui attribuons une valeur objective, mais parce qu’elle se plie aux commodités de l’analyse. A – Les figures de mots : a) Figures jouant sur le sens des mots 1 – La comparaison : La comparaison consiste  mettre en parallle deux termes pour insister sur les rapport d’analogie qu’ils entretiennent entre eux, généralement  l’aide d’un comparant dont les plus usules sont comme, tel que ou semblable à. La comparaison est as- sez rarement utilisée dans les slogans publicitaires. Contempler une Lancia Infini sans la conduire, c’est comme admirer une bouteille de Dom Perignon sans l’ouvrir 2 – La métaphore : La métaphore consiste  changer le sens propre d’un mot en un sens figuré qui ne lui convient qu’en vertu d’une comparaison sous-entendue. En publicité, l’emploi de la métaphore est cependant risqué. Il convient d’éviter de glisser dans le cliché et la banalité ou, au contraire, de tomber dans l’énigmatique et l’obscur. Mettez un tigre dans votre moteur [Publicité pour un carburant] 3 – La métonymie : La métonymie consiste  attribuer le nom d’un objet  un autre ob- jet en vertu d’un rapport constant, par exemple le contenu pour le contenant, l’effet pour la cause, le signe pour la chose signifiée, etc. Bergerac, des vins qui ont du nez [Le nez a le sens d’arôme, mais fait référence aussi  Cyrano de Bergerac] 4 – La synecdoque : Forme particulire de métonymie, la synecdoque consiste  pren- dre une partie pour le tout ou réciproquement. Des millions de dents l’ont choisi [Publicité pour une marque de bonbons] 5 – L’antanaclase : Un même mot est utilisé dans deux sens différents. La Bretagne : les bains de mer pas les bains de foule – Les commerçants de mon quartier savent être commerçants [Sous la forme apparente d’une tautologie, cette publicité joue ha- bilement sur le sens dérivé de l’adjectif commerçant,  savoir, qui sait comment attirer et satisfaire le client] 6 – L’oxymore : L’oxymore consiste  rapprocher des mots en contrariétés pour réer une expression paradoxale. La douce violence d’un parfum d’homme – De la part de ton ignoble chéri 7 – L’hyponomie : Sans être  proprement parler une figure de style, l’hyponomie im- plique un rapport d’inclusion unilatéral existant entre deux unités lexicales. Il y a la lumière et il y a Osram [Publicité pour une marque d’ampoules électriques] Quand on a besoin d’une voiture, on a besoin d’une Toyota 8 – L’utilisation de la marque comme un attribut Soyez très Dior – Jexfour, c’est jextraordinaire – Ils sont tous Morgan de moi 83 Acta Oeconomica Pragensia, roè. 14, è. 4, 2006 b) Figures jouant sur la sonorité des mots 1 – La paronomase : La paronomase consiste  rapprocher dans une même phrase des mots voisins par les sonorités. Cette figure est une des plus couramment utilisées dans la langue publicitaire, souvent même au détriment du sens du message. Visa, ça va ! – Entremont, c’est autrement bon – Du bon, du beau, Dubonnet – Du pain, du vin, du Boursin – Pas un pas sans Bata 2 – L’allitération : L’allitération consiste  répéter une sonorité identique, souvent la consonne initiale. Saucisse sèche sans savoir sécher – Sachez secouer ce Quick Shake 3 – Le calembour : Le calembour est un jeu de mots fondé sur la différence de sens en- tre deux mots qui se prononcent de manière identique ou rapproché. L’âge du faire [Publicité pour une chaîne de magasins de bricolage – jeu de mots sur l’âge du fer] Transformez votre compte en conte de fées [Publicité pour une banque] Lego déve- loppe l’ego B – Les figures de construction : 1 – L’inversion : L’inversion revient  renverser l’ordre grammatical et direct des mots (par exemple en plaçant le complément devant le sujet). Mon Damart, je ne l’enlève qu’en présence d’Ariel [Partenariat multimarques entre un fab- ricant de vêtement (Damart) et un lessivier (Ariel). Dans le cas cité, l’inversion relève de la langue populaire et est très représentative du style « canaille chic » qu’affectionnent les publicitaires.] – La Tunisie, vous y irez avec plaisir 2 – L’anacoluthe : L’anacoluthe consiste  introduire une rupture dans la construction grammaticale (par exemple ne supprimant les corrélatifs ou en substituant brusquement au sujet logique un sujet inattendu). L’emploi de l’anacoluthe est rare dans la langue publicitaire. Pour les hommes qui aiment les femmes qui aiment les hommes [Publicité pour un parfum.] 3 – L’ellipse : Cette figure de style consiste  supprimer un ou plusieurs mots qui ne sont pas uploads/Marketing/ citat-brouland.pdf

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  • Publié le Aoû 22, 2022
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