La consommation : Penseurs et courants À part quelques auteurs classiques – de
La consommation : Penseurs et courants À part quelques auteurs classiques – de Marx à Baudrillard –, la consommation est longtemps restée ignorée des sciences humaines. Depuis une trentaine d’années, les études se sont diversifiées. Mode, luxe, tourisme, alimentation, consommation culturelle…, de nombreux thèmes ont été développés dans les différentes disciplines : histoire, psychologie, sociologie, économie, sémiologie, anthropologie… Aujourd’hui, le champ des « consumers studies » offre toute une variété d’études spécialisées. Les penseurs ♦ Marx et le fétichisme de la marchandise Le fétichisme, c’est cette croyance que l’on associe aux peuples prémodernes, adorateurs d’objets auxquels ils prêtent des propriétés magiques ou divines. Avant Marx, le terme était employé par les missionnaires chrétiens pour décrire l’égarement de ces peuplades non évangélisées qui prenaient leurs statuettes pour des dieux. En parlant de « fétichisme de la marchandise », l’auteur du Capital repérait quant à lui une pensée magique au cœur du monde moderne et de son « immense accumulation de marchandises ». Il préfigure des anthropologues comme Marshall Salins et ceux qui après lui ont étudié les « totems » de la société de consommation, de la Harley Davidson au téléphone portable. Pour Marx, cependant, le fétichisme de la marchandise est à entendre, à la manière des missionnaires chrétiens, comme le signe d’un égarement. Que sont des marchandises sinon des produits du travail humain, résultat de relations sociales entre les hommes ? Or que voit-on sur le marché ? Des objets qui entrent en relation entre eux par leur valeur d’échange respective. Autrement dit, des « rapports entre des choses » qui font oublier les « rapports entre les hommes » – et notamment l’« exploitation » – qui président à la production des marchandises. La notion de fétichisme de la marchandise inspire de nombreux spécialistes des marques globales : peuplée d’objets chatoyants à la diffusion planétaire, la société de consommation contemporaine tend à faire oublier, observent-ils, les mauvaises conditions de travail des ouvriers d’Asie ou d’ailleurs, à qui l’on doit cette profusion de marchandises. ♦ Veblen et la consommation ostentatoire Les gens consomment-ils pour satisfaire leurs besoins et leurs désirs individuels ? Généralement défendue par les économistes, cette idée est contredite par Thorstein Veblen à la fin du XIXe siècle. Dans sa Théorie de la classe de loisir (1898), il dépeint une société où les ressorts principaux de la consommation sont l’ostentation et l’émulation. Au sommet, la classe des possédants, une catégorie improductive qui jouit du travail des autres et affiche son opulence par sa consommation – des bijoux, des vêtements coûteux et à la dernière mode, etc. – mais aussi par son style de vie et ses loisirs – voyages, cours de langue, leçons d’équitation. Autant de moyens de marquer sa différence avec les étages inférieurs de la société. Ceux-ci, de leur côté, regardent vers le haut, tentant de rehausser leur statut, gravir les échelons de l’ordre social, en imitant les pratiques de l’élite. Un mouvement infini, puisque, à mesure qu’ils sont copiés, les possédants tentent à nouveau de se démarquer en adoptant de nouvelles pratiques. T. Veblen offre ainsi une analyse « positionnelle » de la consommation où la raison de cette dernière est de EM LYON | La consommation : Penseurs et courants 1 signaler son statut, sa position dans la société. Dans La Distinction (1979), Pierre Bourdieu s’en inspire pour analyser les pratiques de distinction des classes sociales supérieures. D’autres travaux contemporains complètent l’analyse de T. Veblen en observant que les normes de consommation se diffusent aussi de « bas en haut », comme en témoigne le succès du streetwear, venu des quartiers populaires. ♦ Simmel La ville et la mode La ville constitue pour le sociologue allemand Georg Simmel un point d’entrée privilégié pour analyser les rythmes et les pratiques de la vie moderne. La ville, c’est cet environnement fait de stimulations incessantes – télescopages des catégories sociales, rencontres furtives dans la foule, interpellation des enseignes commerciales et des vitrines – où l’on ne parvient à se rendre visible qu’en se singularisant. La mode, ses excentricités, ses exagérations se comprennent ainsi comme une manière de répondre aux stimulations urbaines. Les pratiques vestimentaires sont aussi un moyen pour les citadins d’affirmer leur individualité dans le contexte impersonnel de métropole. S’il rejoint Thorstein Veblen en observant que la ville favorise la diffusion des normes vestimentaires impulsées par l’élite, Simmel apporte donc son propre son de cloche, en insistant sur le rôle de la consommation dans l’affirmation d’une identité individuelle. ♦ Adorno et Horkheimer et la critique de la culture de masse Lorsque Theodor Adorno et Max Horkheimer, les deux figures de proue de l’école de Francfort, s’exilent aux États-Unis, ils vivent en direct l’essor de la culture de masse : films hollywoodiens, dessins animés de Walt Disney, chansons populaires séduisent les Américains, toutes catégories confondues. Lorsqu’ils entreprennent de critiquer cette « industrie culturelle », les deux philosophes le font moins en regrettant la superficialité de ces productions qu’en y voyant le symptôme d’un mouvement paradoxal de rationalisation. Si celle-ci a pu par le passé être porteuse d’émancipation, elle est devenue, appliquée à la culture, synonyme de standardisation, d’homogénéisation et de prévisibilité. Les produits culturels sont vendus comme des marchandises, destinées à être consommées passivement par le public. Plus encore, soulignent les philosophes, ces produits culturels manquent d’authenticité et engendrent de « faux besoins ». Appelée à connaître un grand succès, notamment lorsqu’elle fut remise au goût du jour par Herbert Marcuse dans les années 1960, la vision de T. Adorno et M. Horkheimer dépeint le consommateur comme un être fondamentalement aliéné et manipulé. Cette approche sera fortement critiquée tant par Michel de Certeau que par Stuart Hall et le courant contemporain des cultural studies, lesquels voient dans la culture un espace marqué autant par la domination que par la résistance et la créativité des « récepteurs ». ♦ La pyramide de Maslow Le psychologue Abraham Maslow propose en 1943 une théorie de la hiérarchisation des besoins qui deviendra la bible de générations d’experts en marketing. Son approche a le mérite de la simplicité. Le premier niveau, celui que tout individu se doit de satisfaire en premier lieu, les besoins physiologiques (la nourriture, l’eau, le sommeil, le sexe…). Viennent ensuite les besoins de sécurité (du corps, de son emploi et de ses ressources, de sa santé et de sa famille, etc.), d’amour (amitié, couple, etc.) et d’estime (estime et confiance en soi, respect des autres, etc.). Le dernier niveau est celui de l’accomplissement de soi. EM LYON | La consommation : Penseurs et courants 2 ♦ De Certeau et la créativité du consommateur Contre l’idée véhiculée par l’école de Francfort, selon laquelle les consommateurs seraient enfermés dans les chemins prédéterminés par les marketeurs et autres experts de la culture de masse, Michel de Certeau insiste quant à lui sur les mille possibilités d’appropriation et de détournement qu’offre le monde des objets. Le consommateur est pour lui fondamentalement un « bricoleur », terme qui est là pour rappeler qu’un objet n’existe jamais indépendamment de son utilisateur et que du coup l’usage que l’on en fait n’est jamais déterminé. Chacun peut donc s’inventer « une manière propre de cheminer à travers la forêt des produits imposés ». C’est ainsi que les « mods », dans les années 1960, se fabriquaient une identité en rajoutant une profusion de miroirs à leur scooter, ou que les jeunes des rues s’approprient des marques pour se créer un style. Les spécialistes contemporains du « branding » (la fabrique des marques), comme Celia Lury, soulignent cependant le fait que les marques contemporaines comme Nike ont intégré ces pratiques d’appropriation à leur stratégie, se maintenant toujours à l’écoute de la rue. ♦ Baudrillard, critique de la consommation La Société de consommation (1970) est plus qu’un classique des études sur la consommation : c’est un livre-symbole. Cet essai est caractéristique d’une époque : celle des années 1960-1970 et du développement de la consommation de masse, des trente glorieuses, de l’expansion de l’American way of life, de l’essor de la publicité. Sur le plan théorique, cette époque est celle de l’âge d’or des sciences humaines : celle de la critique du capitalisme, mais aussi l’étude de l’imaginaire et de ses structures cachées. L’ouvrage développe quelques thèmes majeurs, déjà présents dans Le Système des objets publié deux ans plus tôt (1968). Dans la consommation de masse, la logique de l’apparence et de la différenciation a pris le pas sur la logique des besoins. Les consommateurs sont victimes d’une publicité qui transforme un produit en un système de signes. L’hédonisme consumériste est devenu une nouvelle morale individuelle, fondée sur le plaisir, le sexe, le spectacle. Ce livre, plus brillant que rigoureux, est représentatif d’une critique sociale de la consommation, typique de son époque. Les courants ♦ Histoire Avant la société de consommation Depuis trois décennies, l’histoire économique et culturelle, notamment anglo-saxonne, a profondément renouvelé l’histoire de la consommation. Alors que les explications traditionnelles mettaient l’accent sur la production de biens due au développement du capitalisme, plusieurs chercheurs soulignent l’impact de uploads/Marketing/ la-consommation-penseurs-et-courants.pdf
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- Publié le Mai 21, 2021
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