Place actuelle des marqueurs tumoraux et perspectives Entretien avec le Dr Mari
Place actuelle des marqueurs tumoraux et perspectives Entretien avec le Dr Marie-Françoise PICHON Laboratoire d'Oncobiologie Centre René Huguenin FNLCC Saint-Cloud BioTribune : Les marqueurs tumoraux sont habituellement utilisés pour le suivi des cancers et ont fait leur preuve dans ce domaine, qu'en est-il aujourd'hui de leur place dans le diagnostic et dans le dépistage des tumeurs ? Marie-Françoise Pichon : Il faut tout d'abord définir ce que l'on entend par dépistage. Si l'on pense à un "dépistage de masse dans une population asymptomatique", aucun marqueur n'est approprié à ce type de situation. Par contre, dans un dépistage que l'on pourrait appeler "ciblé", chez des populations à risque familial, un certain nombre de marqueurs sont utilisés (PSA, β HCG libre, CA 125 associés à d'autres examens complémentaires). En France, l'attitude est de ne pas recommander le dosage systématique du PSA au-delà de 50 ans alors qu'il est recommandé aux USA. De ce fait, nous faisons plutôt du "dépistage sauvage" : les patients étant informés demandent un dosage de PSA à leur médecin, lequel le prescrit volontiers, mais tout cela n'aboutit pas à l'équivalent d'un dépistage de masse car il y a forcément des personnes qui ne seront pas dépistées. Il est utile de doser le marqueur chez un patient à risque de cancer au même titre que chez un patient qui présente un certain nombre de symptômes cliniques. Toutefois, le dosage n'apportera en aucun cas à lui seul une preuve formelle de l'existence d'un processus cancéreux. Un autre marqueur utilisé pour un dépistage de populations ciblées est la calcitonine dans le cancer médullaire de la thyroïde (prédisposition familiale liée au gène RET). Dès que l'on a identifié cette pathologie chez un sujet, il est important de pratiquer un dosage chez tous les apparentés. Concernant le diagnostic de cancer, il ne peut en aucun cas se baser sur le dosage de marqueurs en première intention. BT : Le suivi du cancer pourrait-il être amélioré par une meilleure utilisation des marqueurs tumoraux ? M.F. Pichon : Toutes les recommandations actuelles, aux Etats-Unis comme en France, précisent de ne pas pratiquer une surveillance biologique par des dosages sériés des marqueurs en vue d'un dépistage précoce d'une récidive. La bonne règle est donc de ne pas le faire. Les premières recommandations qui ont été celles de l'ASCO, aux Etats-Unis, datent d'une dixaine d'années et ont été mises à jour plus récemment. L'ex-ANAES a fait une mise au point dans les années 96-97, en particulier pour le cancer du sein et le cancer colo-rectal, avec des conclusions encore plus drastiques que celles de l'ASCO. A titre d'exemple, les tableaux I à V résument l'utilisation des principaux marqueurs des tumeurs solides. Mais depuis est apparue une nouvelle technologie, la scintigraphie au 18-fluorodésoxyglucose ou TEP-Scan, qui permet de visualiser les localisations métastasiques et plus généralement tumorales. Les études menées sur des patients ayant bénéficié de cet examen d'imagerie ont clairement montré qu'au moment d'une premère élévation d'un marqueur tumoral, la scintigraphie permet dans plus de 90 % des cas d'identifier les sites des récidives et de les traiter. C'est ainsi que l'élévation du marqueur et les images au TEP-Scan permettent de traiter plus précocément une récidive. La question qui se pose alors est la suivante : y a-t-il un intérêt à traiter précocément une récidive ? Pour répondre à cette question, il faudrait mener des essais cliniques avec des groupes de patients traités précocément et d'autres traités de manière classique. Cela me paraît très difficile à réaliser car les patients n'accepteraient pas d'être randomisés dans le groupe avec traitement classique. Cependant, il y a une base scientifique à l'idée de détecter et de traiter tôt une récidive. En effet, les chimiothérapies qui sont utilisées sont d'autant plus efficaces que la masse tumorale est faible (problèmes de pénétration des molécules dans la cible tumorale). Cependant, il faut savoir que, bien qu'ayant aujourd'hui des outils pour dépister précocément les récidives d'un certain nombre de tumeurs solides, nous n'avons pas les traitements qui permettent de les guérir : ce sont des soins palliatifs et non à visée curative. Par contre, nous avons maintenant des traitements de plus en plus ciblés, basés sur des approches différentes des chimiothérapies classiques et qui ont une remarquable efficacité chez certains patients. Le cancer devient en quelque sorte une maladie chronique et l'on doit considérer que c'est une réussite de transformer une maladie qui auparavant décimait les patients en quelques mois ou quelques années, en une maladie longtemps contrôlée par le traitement. BT : Les marqueurs et l'imagerie sont-ils toujours corrélés : peut-on avoir un TEP-Scan positif et marqueur "normal" par exemple ? M.F. Pichon : Ces discordances doivent tout d'abord être contrôlées au laboratoire car il faut écarter une éventuelle erreur de résultat, et il faut aussi tenir compte de la difficulté d'interprétation de certains examens d'imagerie. Mais d'une façon générale, elles sont observées pour un certain nombre de marqueurs. On sait ainsi qu'il y a 10 à 15 % de patientes atteintes de cancer du sein, qui n'élèvent jamais leur CA 15-3. Le promoteur du gène MUC 1, gène qui code le CA 15-3, est régulé par des oestrogènes et par d'autres hormones stéroïdes. Dans les tumeurs qui n'expriment pas les récepteurs de ces hormones, il n'y a pas de sur-expression de MUC 1, donc pas d'élévation du CA 15-3. Actuellement, il y a relativement peu d'études qui font le parallèle entre le dosage d'un marqueur et l'imagerie car ces études nécessitent des protocoles qui permettent d'avoir un suivi biologique standardisé et de le comparer aux résultats des TEP Scan. Une autre difficulté est la limite de sensibilité de la TEP qui est de l'ordre de 10 mm. Or, il faut savoir que même si la tumeur est plus petite que 10 mm, elle peut parfois sécréter du CA 15-3 en grandes quantités. BT : Alors quand et comment utiliser les marqueurs ? M.F. Pichon : L'utilisation qui est recommandée pour les marqueurs est la surveillance sous traitement d'une récidive. Des recommandations internationales ont été élaborées pour l'évaluation standardisée des réponses thérapeutiques (évaluations RECIST, établies par un consortium international américano-européen). Quand la cible (la tumeur) n'est pas mesurable facilement (par exemple des métastases séreuses), les critères RECIST admettent d'évaluer la réponse sur la base de l'évolution des concentrations de marqueurs. Quand un marqueur continue à monter sous traitement, cela veut dire que le traitement est inefficace; s'il reste en plateau, cela signifie qu'il faut continuer le traitement en espérant qu'il baisse ultérieurement et s'il décroît rapidement, cela montre une sensibilité au traitement : voilà pour l'utilité globale de la cinétique d'un marqueur. Mais pour l'instant, l'évolution des concentrations de marqueurs exprimée sous la forme de calculs cinétiques, n'est que peu utilisée par les biologistes et les cliniciens, parce que cela demande du temps ainsi qu'une logistique de prélèvements et d'informatique. En effet, tous les dosages doivent être faits dans le même laboratoire et avec la même technique et selon un rythme défini et respecté. C'est une idée qui va se développer mais qui n'est pas encore implémentée correctement dans la pratique courante. De plus, des travaux de recherche clinique sont encore nécessaires pour bien valider cette pratique dans les différents cancers. Je sais que certains fabricants veulent adjoindre à leurs automates un logiciel de calcul automatique de cinétique mais il faut être très prudent. Le problème des calculs cinétiques, c'est que la définition d'une courbe de tendance ne peut être affirmée qu'en rétrospectif. Vouloir faire du prospectif sans une bonne connaissance du dossier clinique des patients et une connaissance détaillée des traitements mis en oeuvre peut aboutir à des conclusions un peu dangereuses. Le problème des marqueurs, c'est qu'ils ont été commercialisés avant que le travail d'investigation clinique n'ait été fait de manière approfondie. Ensuite on a fait n'importe quoi, en particulier du dépistage sans réelles connaissances des possibilités et des limites de ces dosages et la réaction des cliniciens a été de dire qu'ils ne voyaient aucune logique et aucun intérêt à l'utilisation des marqueurs. Cette situation qui prévaut depuis plus d'une dizaine années, est en train de se renverser grâce à l'imagerie TEP et grâce aux experts qui réalisent les investigations nécessaires pour valider des pratiques. Actuellement, nous faisons en France une étude multicentrique sur la cinétique du CA 125 sous chimiothérapie d'induction sur 800 patientes atteintes de cancer de l'ovaire avec une médiane de suivi de 6-7 ans, qui va être soumise pour publication. BT : Concernant la validation des méthodes cinétiques, voulez-vous dire qu'il manque à l'heure actuelle des standards, des référentiels ? M.F. Pichon : Oui, il faudrait pouvoir dire quelle est la fourchette de demi-vie de décroissance qui est statistiquement corrélée à une meilleure survie et donner des barèmes. Ce travail n'a pas réellement été fait pour les marqueurs tumoraux, à l'exception du CA 125 et de la β hCG pour lesquels il existe des études pilotes. BT : Que pensez-vous de l'utilisation des marqueurs faite dans le cadre de la médecine libérale et des laboratoires dits "de uploads/Marketing/ place-actuelle-des-marqueurs-tumoraux-et-perspectives.pdf
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- Publié le Dec 13, 2022
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