Véronique Mariage Le psychanalyste : effet de l’acte « L’acte analytique, dit L

Véronique Mariage Le psychanalyste : effet de l’acte « L’acte analytique, dit Lacan, est l’opération qui produit le passage du psychanalysant au psychanalyste au terme de l’analyse. »1 Il est donc par excellence ce qui forme un analyste. Ce passage est un saut : la passe. Ce saut est franchissement d’un seuil. « Si je peux ici marcher de long en large en vous parlant, dit Lacan, ça ne constitue pas un acte. Mais si un jour c’est de franchir un certain seuil où je me mets hors la loi, ce jour-là ma motricité aura valeur d’acte. »2 L’acte relève donc d’un franchissement qui met hors la loi ; c’est-à-dire qui transgresse. Aussi dénonce-t-il que « jusque-là dans la psychanalyse tout est fait pour dissimuler que c’est un saut ». Ou plutôt, dit-il : « Si à l’occasion l’on en fait un saut, c’est à condition que, sur ce qu’il y a à franchir, il y ait une espèce de couverture tendue qui ne fasse pas voir que c’est un saut. C’est encore le meilleur cas, c’est toujours mieux que de mettre une petite passerelle bien sûre, bien commode, qui alors n’en fait plus un saut du tout. »3 L’acte psychanalytique qui produit le passage du psychanalysant au psychanalyste se distingue de l’acte psychanalytique qui permet le déroulement de la cure. L’acte psychanalytique qui permet le déroulement de la cure consiste à supporter le transfert à condition de définir le transfert dans sa fonction de sujet supposé savoir. Ce support donné par l’analyste au sujet supposé savoir, le psychanalyste doit savoir qu’il est voué au désêtre, seule chance pour qu’une cure puisse se conclure. L’acte analytique est donc un acte en porte-à-faux puisque l’analyste n’est pas le sujet supposé savoir, au contraire il n’opère que d’un « je ne pense pas ». L’objet petit a est la réalisation de ce désêtre qui frappe le sujet supposé savoir4. L’acte du psychanalyste est de supporter le transfert, il relève aussi de l’intervention interprétative. « Cette action interprétative produit des moments de franchissements dont les effets restent dans l’obscurité quant à trouver par quelle voie elle opère. Une interprétation dont on comprend les effets n’est pas une interprétation psychanalytique. Causes et effets ne se comprennent pas. L’interprétation analytique reste et fonctionne en étant incapable de trouver son raisonnement. C’est une opinion vraie, juste, droite qui demeure hors champ du savoir. C’est une conjonction inédite, imprévue dont le savoir peut prendre dans un second temps sa source. »5 La formation d’un psychanalyste qui relève de l’acte n’est donc pas produit par un savoir mais par un savoir-y-faire avec ce qui ne se sait pas. Un acte qui produit une conclusion anticipée Quel savoir peut-on extraire de l’acte psychanalytique qui, dans la surprise, précipite avec certitude un analysant hors de sa cure et le fait passer du psychanalysant au psychanalyste ? En tout cas, rien n’est à comprendre. Si l’on n’y comprend rien, quelque chose se passe pourtant. S’en déduit-il alors une logique qui s’organise en différents temps qui aboutiraient à une conclusion ? Non, on ne peut le dire comme tel. Comment dès lors attraper la chose ? Pour en apprendre, revenons au fait, à l’événement qui précipite l’analysante à franchir la porte du lieu de la cure sans y revenir. Hors de la cure, mais aussi hors d’elle. Voici donc cette dernière séance. Une sentence proférée souvent par son père et jamais dite en analyse se révèle tout à coup : « Vous devez savoir, le travail est une punition du bon Dieu, ça n’est pas moi qui le dit, c’est écrit. » L’analyste s’en saisit et l’écrit. Prenant une importance jamais considérée jusque-là, l’analysante l’associe au contenu d’un cauchemar apparu précédemment. Dans ce cauchemar, elle cherche à rencontrer enfin quelqu’un qui pourra identifier un cadavre impossible à identifier. Elle rencontre son père qui ne le peut, car il a perdu la voix, ce qui provoque le réveil. La voix porteuse de la sentence du père, associée à la disparition de la voix du père dans le cauchemar, lui fait entrevoir en un éclair deux faces d’une même pièce. Sur une première face, elle y lit les marques de son destin, puis sur l’autre elle entrevoit la place de son analyste dans le transfert marquant l’éternisation de sa cure et sa satisfaction. Elle entend alors sa voix d’analysante dire un grand « Zut ! » Fait écho celle de l’analyste qui relaie son « Zut ! » d’un « Zut, zut et zut ! ». Portée par ce « Zut ! », l’analysante sort. La porte claquant derrière elle, sortie, l’analysante sait avec certitude que d’avoir oser dire ce « Zut ! », elle a franchi un seuil et ne pourra y revenir. Dans ce moment, elle ne sait que cela. Ca s’est passé et précipité, ça la surprend, mais dans ce temps où elle sort, prise par le mouvement de son action, elle n’a aucune idée de ce qui s’est joué là. Elle sait juste que si elle ne l’avait pas dit, elle n’aurait pu sortir. Jacques-Alain Miller, dans son commentaire de l’écrit de Lacan « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée » précise que « dans le moment de conclure, l’acte fonde la certitude. Cela n’est pas une certitude contemplative où l’on regarde les données qui sont déjà là et voyant les données qui sont déjà là, on conclut en s’en allant. Dans l’acte qui fonde la certitude, on fait partie dans son mouvement de conclusion des données qui justifient le fait de partir et si on ne le fait pas, eh bien, ces données ne vont jamais s’inscrire de façon à justifier qu’on parte. Vous ne pouvez conclure qu’à ajouter votre propre action. Il y aura toujours une donnée qui vous manquera, à savoir votre propre action engendrant sa certitude. Le problème est soluble quand il s’avère insoluble. »6 C’est dans cette part d’insoluble que se précipite le « Zut ! » et l’acte de sortir qui s’ensuit. La sortie de la cure est donc une conclusion anticipée où se précipite une certitude. « a n’est pas là l’instant de voir, ni le temps pour comprendre. C’est le moment de conclure où vous accouchez de votre propre mouvement, de la donnée qui légitime logiquement votre mouvement », dit J.-A. Miller. Elle suppose franchir un saut. On a la certitude avant d’avoir la démonstration. Ce moment de « conclusion anticipée ne relève pas de la logique, il sort de toute logique. Il est solution d’un sophisme qui est erreur logique. »7 La procédure de la passe : un temps de désubjectivation de la conclusion Le seuil franchi, l’analysante qu’elle a été ne peut en rester là : hors du champ du savoir et hors d’elle. Juste après avoir passé la porte, surprise par l’acte qui vient de se produire, elle se pose la question : « Mais que vient-il donc de se passer ? », restituant d’emblée par sa question une tentative d’attraper un nouveau savoir. Sortie de la cure, le sujet supposé savoir trouve nouvelle adresse : l’Ecole. La procédure de la passe s’offre à elle afin qu’elle puisse lever l’anticipation de sa conclusion. Elle s’y engage afin d’explorer la donnée qui a légitimé le mouvement propre à conclure et tenter d’en élaborer la démonstration. La rencontre de la passante avec les passeurs permet de réordonner, en plusieurs tours, le mouvement de la cure. Cette mise en ordre apparaît comme une nouvelle fiction qui trouve une articulation qui pourrait être toujours reconstruite. Ce qui se saisit du déroulement de la cure, d’en parler aux passeurs, a ses moments de rencontre, de tuché. La passante y découvre l’importance de l’attachement privilégié à l’objet voix qui organise son rapport à la pulsion. D’être isolé par le passeur, l’objet voix révèle le point de saisie de la place vide, point de réel à partir duquel tout le parcours analytique se réorganise. La passante découvre deux statuts de la voix qui jusqu’au moment de conclure étaient confondus. Ils se disjoignent et révèlent deux faces de cet objet : une première face, la voix porteuse de la sentence du père. Elle donne sens à la castration, au manque à jouir irréductible qui marque la vie de tout être parlant en y révélant la genèse. Le sujet peut alors reconstruire une nouvelle signification de son destin en « l’hystorisant ». La deuxième face de cet objet est le statut de la voix du cauchemar. La voix s’évanouit pour tomber dans le silence. Cette disparition révèle la marque du point d’impossible à signifier. Disparue et réduite au silence, elle révèle au sujet combien l’objet voix est une défense bordant l’infini de la jouissance. L’infini de la jouissance le sujet l’a souvent éprouvé dans sa vie, dans sa cure et dans son attachement à l’analyste dans le transfert. Enfant, elle jouit de l’écoute de la voix du père porteuse d’une parole dont elle ne veut saisir le sens et qui l’identifie à la mort. A l’adolescence, uploads/Marketing/ veronique-mariage.pdf

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  • Publié le Jui 15, 2021
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