66 Gestion, volume 32, numéro 3, automne 2007 100 ANS DE GESTION Dans le cadre

66 Gestion, volume 32, numéro 3, automne 2007 100 ANS DE GESTION Dans le cadre de ce numéro thé- matique de la revue Gestion qui vise à souligner le centenaire de notre école, il nous a été demandé de disserter sur l’évolution du marketing. Il s’agit de répertorier un certain nombre d’évé- nements majeurs, ou de ruptures (cinq ou six), ayant jalonné son passé, pour ensuite nous interroger sur son avenir. Cette réflexion a donc pour but non seulement de faire le point sur l’état actuel d’avancement du marketing, mais aussi de mieux envisager ses déve- loppements à venir. C’est pourquoi nous avons choisi comme sous-titre «retour vers le futur» en référence au film de Robert Zemeckis, produit par Steven Spielberg (1985), qui montre bien à quel point tout choix fondamen- tal passé exerce une influence décisive sur le devenir d’un individu (dans le film), mais aussi sur celui d’une science de la gestion comme le marketing. Il est inutile de souligner que cette mission constitue un véritable défi étant donné que l’évolution du marke- ting ne s’est pas faite de façon linéaire, mais a été marquée par de très nom- breux apports et nouveautés, de toutes natures et de toutes constitutions. Au final, le tout débouche sur un véritable écheveau difficile à démêler. Puisque nous parlons ici de «ges- tion», notre attention se portera sur la fonction «marketing» et son appro- che gestionnaire. Nous avons décidé de mettre de côté la multiplication à l’in- fini des champs de spécialisation du marketing. Cela aurait pu constituer, en soi, une tendance lourde de cette évolu- tion. Cependant, il n’est pas évident que cette dynamique interne se soit accom- pagnée d’un discours clair et homogène qui nous aurait conduits à donner une plus grande cohérence à notre domaine et nous aurait menés vers un point central précis. Ce faisant, il nous a été possible de dégager un fil conducteur. Mais en plus, nous redonnons à l’appro- che gestionnaire la place qu’elle devrait avoir par rapport à la recherche. Il est toujours très ardu de faire ressortir l’effet net de telle ou telle évolution majeure sur l’ensemble de l’évolution de la fonction, tant les rami- fications partielles et les effets secon- daires peuvent être multiples. Nous avons été amenés à faire des choix et, donc, à trancher. Pour éviter que les découpages auxquels nous avons pro- cédé soient trop catégoriques et se pré- sentent faussement sous la forme de silos, nous n’hésiterons pas, au fur et à mesure de la présentation des grands événements que nous avons réperto- riés, d’en montrer, pour chacun, les liens et les interactions avec les autres. Cela devrait nous permettre de dessi- ner une image d’ensemble qui soit plus compréhensible pour le lecteur. Enfin, et avant d’entrer dans le vif du sujet, nous tenons à préciser que nous avons aussi choisi de ne pas être exhaustifs sur le plan des références. Nous n’en présenterons qu’un nombre limité, celles que nous avons jugées les plus importantes ou pertinentes pour notre argumentation. Cet article constitue notre perception des choses. Ce n’est pas une revue théorique en tant que telle. Son contenu est subjectif. Tout autre expert en marketing aurait pu relever d’autres événements comme étant majeurs. C’est une situation que nous assumons ici bien volontiers. Cela fait partie de l’exercice. Les grands événements de l’évolution historique du marketing L’ordre de présentation des événe- ments majeurs que nous avons sélec- tionnés n’est ni chronologique, ni indicative d’une importance relative quelconque. Événement historique no 1 : l’évolution du point de mire du marketing Le marketing est une fonction qui a toujours eu pour but de protéger un capital commercial quelconque d’une entreprise, que cette dernière œuvre dans le domaine de la grande consom- L’évolution du marketing : retour vers le futur Christian Dussart et Jacques Nantel1 Les auteurs Christian Dussart est professeur à HEC Montréal. Jacques Nantel est secrétaire général à HEC Montréal. 67 Gestion, volume 32, numéro 3, automne 2007 100 ANS DE GESTION mation, dans celui des services ou en milieu industriel. Le terme usuel qui cohabite avec celui de capital est «ter- ritoire». Il signifie l’importance de pro- téger son pré carré, ses fonds, ses acquis commerciaux. Or, le capital ainsi pro- tégé a fortement changé de nature au fil des années. On est ainsi passé du «capi- tal de marque» au «capital client», pour enfin se centrer maintenant sur le «capital d’affaires». Tout cela mérite une explication. Le capital de marque est propre au mar- keting traditionnel et à la communi- cation de masse. Il repose sur une stra- tégie d’aspiration des consommateurs (ou des acheteurs industriels) à travers des efforts publi-promotionnels impor- tants. Les marchés étant segmentés, il est possible de définir des clientèles cibles auprès desquelles l’objectif est de développer des positionnements per- ceptuels uniques et précis. Pour réus- sir, la marque doit donc s’appuyer sur une position spécifique, d’importance et positive dans la tête du consomma- teur, du client ou de l’acheteur indus- triel. L’esprit est le champ de bataille (Ries et Trout, 1982). La publicité joue un rôle clé. Elle vise à faire passer un message clair, à communiquer la valeur ajoutée spécifique de l’offre et à faire en sorte que cette valeur ajoutée (ou ce «plus marchand», pour reprendre une expression consacrée) soit vraiment perçue comme telle par la clientèle. L’approche y est souvent du style «tapis de bombes», et les budgets communi- cationnels (et publicitaires) sont énor- mes. Le problème est que, comme le dit si bien l’adage de John Wanamaker (1838-1922) (considéré comme le père de la publicité «moderne») et repris plus tard par David Ogilvy lui-même (1991-1999) : «Je sais que la moitié de mon budget de publicité ne sert à rien, mais je ne sais pas quelle est cette moitié!» (traduction libre). À la suite de l’explosion des capa- cités de stockage et de traitement des ordinateurs et de l’avènement du mar- keting de bases de données dans les années 1960, le marketing a pris une orientation résolument plus indivi- duelle et relationnelle. On a pu passer d’un marketing passif à un marketing actif : je sais qui sont mes clients (et ceux qui ne le sont pas), et je ne veux m’adresser (en priorité tout au moins) qu’aux premiers d’entre eux. Le mar- keting direct (terme utilisé pour la première fois en 1961) s’est alors déve- loppé, suivi du marketing relationnel, véritable communication à double sens avec des clients individuels (ou encore le one to one, expression introduite par Peppers et Rogers en 1996), le processus qui repose sur une boucle d’apprentis- sage permettant à la base de données de se préciser au fur et à mesure du lancement de nouvelles opérations de marketing et de gagner ainsi en effica- cité (rendement de l’investissement de marketing). Sur le plan des offres com- merciales, le «sur mesure de masse» a pris son essor. Le point de mire est passé au capital client. La simple transaction à court terme (du style «Merci et au revoir!») a été remplacée par la valeur à long terme du client et la vente croi- sée concomitante («Merci, mais au fait, que penseriez-vous de ceci, et au plai- sir de vous revoir bientôt, nous rentre- rons en contact avec vous si vous nous le permettez!»). L’idée est de garder le client et de l’engager dans une relation d’affaires à long terme avec l’entreprise. La gestion de la relation client (custo- mer relationship management ou CRM), en tant que processus d’affaires et après bien des soubresauts, a fini par prendre racine, et les entreprises partagent ainsi les bénéfices d’une relation étroite avec leurs meilleurs clients (Payne, 2006). L’acquisition des nouveaux clients reste importante, mais la priorité des priori- tés est de conserver (et de satisfaire) les clients acquis. La croissance organique est alors valorisée (Reichheld, 2006). Bien entendu, la bonne application de cette approche de marketing relation- nelle dépend au départ de la notion que l’on donne à celle de valeur ajoutée. Théoriquement, celle-ci devrait être celle du client. C’est le principe central de l’implantation d’une réelle orien- tation client au sein de l’entreprise. La satisfaction du client a tendance à entraîner la plus grande fidélité de ce dernier, qui engendre à son tour une plus grande part du marché et des ren- dements financiers plus importants. Bref, le profit est la récompense de la satisfaction, et non l’inverse. Mais, dans les faits, il reste beaucoup de progrès à accomplir quant à la compréhension et à l’application de cette équation, notam- ment à cause de la priorité trop souvent accordée à la valeur boursière (à court terme) plutôt qu’à celle des clients (à plus long terme). Rien n’est vraiment encore joué dans le cadre de la gestion de la valeur (Hallberg, 1995). Et pour- tant, le lien positif entre le niveau de satisfaction des clients d’une entreprise et sa performance financière d’ensem- ble est bel et bien démontré… Enfin, une autre rupture technologi- que est venue changer, une fois de plus, le point de mire du uploads/Marketing/evolution-marketing 2 .pdf

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  • Publié le Mar 28, 2022
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