109 Section IV Documents d’appui Document 1 Les conceptions de l’apprenant comm

109 Section IV Documents d’appui Document 1 Les conceptions de l’apprenant comme tremplin pour l’apprentissage «Faire avec pour aller contre» André Giordan 1 L'enseignement ne donne pas les résultats attendus. Le "rendement didactique" -le savoir acquis par rapport au temps passé- est très faible, voire parfois nul. Un certain nombre d'"erreurs" de raisonnements ou d'idées "erronées" reviennent avec une reproductibilité déconcertante chez les élèves, même après plusieurs séquences successives d'enseignement. Pourtant, quand on observe la classe, l'ensemble du cours semble cohérent et logique. Les leçons sont globalement apprises. Comment interpréter cela ? Les causes de ces difficultés sont sans doute multiples. Le grand nombre d'élèves, la perte d'intérêt pour le savoir enseigné, la dispersion des connaissances au travers de multiples disciplines, la diminution de l'aura de l'enseignant, les documents parfois illisibles... Toutefois la raison principale est probablement à rechercher ailleurs. L'élève apparaît trop souvent comme le "présent-absent" du système éducatif. Il est dans la classe, mais l'enseignant n'en tient presque pas compte. Il ignore le plus souvent ce qu'il sait (ou croit savoir), il ne prend pas en compte sa façon d'apprendre. Pour remédier à cette lacune, des recherches didactiques se sont mises en place depuis une vingtaine d'années. Sur des contenus disciplinaires ou interdisciplinaires, ces études ont permis de comprendre les questions, les idées, les façons de raisonner, le cadre de références des élèves ; tous ces éléments que l'on regroupe sous le terme générique de conception. Elles font penser les méthodes d'enseignement très différemment. Une conception, qu'est-ce ? Avant d'aborder un enseignement, les élèves ont déjà des idées -directement ou indirectement- sur les savoirs enseignés. C'est à travers celles-ci qu'ils essaient de comprendre les propos de l'enseignant ou qu'ils interprètent les situations proposées ou les documents fournis. Ces "conceptions" ont une certaine stabilité ; l'apprentissage d'une connaissance, l'acquisition d'une démarche de pensée en dépendent complètement. Si l'on n'en tient pas compte, ces conceptions se maintiennent et le savoir proposé glisse généralement à la surface des élèves sans même les imprégner. 1 Source : http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/giordan/LDES/infos/publi/articles/concep.html 110 La connaissance de ces idées, de ces façons de raisonner permet à l'enseignant d'adapter l'enseignement ou du moins de proposer une pédagogie beaucoup plus efficace. Mais, avant d'aller plus loin, il nous faut lever quelques ambiguïtés. D'abord, s'appuyer sur les conceptions des apprenants ne veut pas dire "y rester". Trop souvent, dans nos observations de classe, nous avons vu des maîtres faire exprimer les idées des élèves et considérant que cela suffisait, enchaîner une pédagogie frontale ou dialoguée. Pour nous, la simple expression des conceptions des élèves n'est qu'un point de départ à des activités d'enseignement. Il est hors de question d'en rester là. L'acquisition d'un savoir est à la fois l'apprentissage d'attitudes, de démarches et de quelques "grands" concepts (ou connaissances fondamentales). Y accéder n'est pas chose aisée. Il ne suffit pas de bien présenter une somme de connaissances à un élève (de lui en dire plus, de les lui montrer mieux), pour que ce dernier comprenne, mémorise et intègre spontanément. C'est l'apprenant qui, seul, peut élaborer chaque bribe de savoir. Et il ne peut le faire qu'en s'appuyant sur les seuls outils qui lui sont disponibles, c'est-à-dire ses conceptions. Ensuite une conception, ce n'est pas ce qui émerge en classe, c'est-à-dire ce que l'élève dit, écrit ou fait. Une conception correspond à la structure de pensée sous-jacente qui est à l'origine de ce que l'élève pense, dit, écrit ou dessine. Une conception n'est jamais gratuite, c'est le fruit de l'expérience antérieure de l'apprenant (qu'il soit enfant ou adulte). C'est à la fois sa grille de lecture, d'interprétation et de prévision de la réalité que l'individu a à traiter et sa prison intellectuelle. Il ne peut comprendre le monde qu'à travers elle. Elle renvoie à ses interrogations (ses questions). Elle prend appui sur ses raisonnements et ses interprétations (son mode opératoire), sur les autres idées qu'il manipule (son cadre de références), sur sa façon de s'exprimer (ses signifiants) et sur sa façon de produire du sens (son réseau sémantique). Ces divers éléments ne sont évidemment pas facilement dissociables, ils sont totalement en interaction comme l'indique la formule ci- après. CONCEPTION = f (P: C:O:R:S) où P (ou problème) est l'ensemble des questions plus ou moins explicites qui induisent ou provoquent la mise en oeuvre de la conception. Il constitue en somme le "moteur" de l'activité intellectuelle. C (ou cadre de référence) est l'ensemble des connaissances périphériques activées par le sujet pour formuler sa conception. En d'autres termes, ce sont les autres conceptions déjà maîtrisées sur lesquelles s'appuie l'apprenant pour produire sa nouvelle conception. O (ou opérations mentales) est l'ensemble des opérations intellectuelles ou transformations que l'apprenant maîtrise. Elles lui permettent de mettre en relation les éléments du cadre de référence, de faire des inférences et ainsi de produire et d'utiliser la conception. Les spécialistes appellent cela des invariants opératoires. R (ou Réseau sémantique) est l'organisation interactive mise en place à partir du cadre de référence et des opérations mentales. Elle permet de donner une cohérence sémantique à l'ensemble. En d'autres termes, c'est l'émergence issue du jeu de relations établie entre tous 111 les éléments principaux ou périphériques qui composent la conception. Ce processus produit un réseau de significations et donne un sens bien spécifique à la conception. S (ou signifiants) est l'ensemble des signes, traces et symboles nécessaires à la production et à l'explicitation de la conception. Changer de conception, est-ce simple ? Il apparaît nettement que l'apprendre n'est pas un processus de transmission (le maître dit, montre...). C'est surtout un processus de transformation, transformation des questions, des idées initiales, des façons de raisonner habituelles des élèves. L'enseignant cependant peut le faciliter grandement. Pour cela, il doit "faire avec" les conceptions de l'apprenant en permettant leur expression. Il peut aussi "faire contre" en tentant, après avoir fait émerger les conceptions, de convaincre les apprenants qu'ils se trompent ou que leurs conceptions sont limitées. En fait, ces idées pédagogiques qui renvoient aux travaux de Brunner, d'Ausubel, de Piaget, de Vygotsky d'une part et de Bachelard d'autre part sont limitées. Aujourd'hui, il faut encore aller plus loin. Ces pratiques sont intéressantes mais elles conservent de grandes limites. Le modèle allostérique mis au point dans notre laboratoire montre qu'il faut nécessairement "faire avec pour aller contre". Ce qui n'est pas forcément contradictoire ! Expliquons-nous. S'appuyant sur les travaux de psychologie génétique, certains pédagogues ont préconisé, après avoir fait émerger les conceptions, de les faire opposer en classe entre élèves dans un travail de groupe. C'est une excellente méthode pour démarrer toute formation. Elle favorise la motivation et le questionnement. Elle permet aux apprenants de prendre du recul et d'expliciter ce qu'ils pensent. Par ce travail sur les conceptions, les points de vue peuvent s'enrichir et évoluer. L'opposition entre apprenants peut être complétée par un travail sur la réalité par le biais de petites expériences ou d'enquêtes avec des élèves plus grands, par une confrontation avec des documents écrits ou tout simplement des propositions du maître. Ainsi progressivement par une série d'investigations et de structurations progressives, un savoir plus élaboré se met en place. Toutefois, en ce qui concerne la construction de concept ou l'acquisition de méthode, cette approche montre rapidement ses limites. Elle ne permet pas un dépassement conséquent des conceptions préalables ; en particulier quand l'élève se trouve en face d'obstacles très spécifiques liés aux façons de penser que l'on nomme "obstacles épistémologiques". Tout s'explique par le fait que cette pédagogie présuppose d'une part, une continuité entre le savoir familier et les concepts, d'autre part que l'on peut passer de l'un à l'autre sans rupture ni coupure. Or considérer les conceptions seulement comme une étape vers les concepts ou affirmer "qu'apprendre c'est enrichir des conceptions" dénote une incompréhension qu'il serait dangereux de propager. Pour dépasser cette difficulté, d'autres pédagogues reprenant à leur compte les idées de Bachelard ont préconisé d'éliminer immédiatement les erreurs des élèves. Mais peut-on facilement évacuer une conception ? Une solution vient immédiatement à l'esprit. On "détruit" la conception initiale en fournissant la bonne réponse. Logique, semble-t-il! L'enseignant, après avoir repéré l'obstacle, essaie de le corriger en insistant particulièrement sur les difficultés mises à jour. 112 Nous avons tous appliqué cette méthode. Après de multiples essais suivis de tests d'évaluation, nous nous sommes aperçus que, malheureusement, c'était un leurre. Lorsqu'une erreur correspond à une façon de penser fortement enracinée, comme le sont la plupart des conceptions, et non à la simple méconnaissance d'un savoir ponctuel, une explication, aussi claire soit-elle, règle rarement le problème. Cela surprend toujours, et pourtant... Les remarques de l'enseignant paraissent en général pertinentes, cohérentes, simples et adaptées ! Malheureusement, l'apprenant les élude le plus souvent. Au mieux, il en intègre quelques bribes tout en maintenant le "noyau dur". Faire "avec pour aller contre" L'enseignement n'est pas quelque chose de simple et d'évident. Et il n'existe pas une méthode valable pour tous les élèves et tous les moments. Heureusement la recherche didactique peut proposer une série d'outils pour éclairer l'enseignant dans ses choix éducatifs. Quels sont-ils ? D'abord, uploads/Philosophie/ 04-documents-pdf.pdf

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