85 Richesses et limites de l’approche par «compétences» de l’exercice du métier
85 Richesses et limites de l’approche par «compétences» de l’exercice du métier d’enseignant aujourd’hui Fecha de recepción: 8 de abril de 2018 Fecha de aprobación: 25 de junio de 2018 Para citar este artículo: Meirieu, P. (2019). Richesses et limites de l’approche par «compétences» de l’exercice du métier d’enseignant aujourd’hui. Pedagogía y Saberes, 50, 85-96. * Professeur émérite à l’Université Lumière-Lyon 2 (France). Correo electrónico: philippe.meirieu@orange.fr Pedagogía y Saberes No. 50 Universidad Pedagógica Nacional Facultad de Educación. 2019. pp. 85-96 Riquezas y límites del enfoque por “competencias” del ejercicio de la profesión docente hoy Resources and Limits of the “Competence” Approach from T oday’s T eaching Profession Excercise Philippe Meirieu* Artículo de reflexión 86 Résumé Cet article de réflexion interroge l’un des points communs qui guident aujourd’hui la formation des enseignants : «Enseigner, éduquer serait d’abord et avant tout, et peut-être exclusivement, une question de compétences à acquérir». Cependant, le questionnement ne consiste pas à rejeter le concept de compétence, comme c’est généralement le cas dans certaines perspectives déclarées critiques, mais à soumettre le concept à une analyse rigoureuse, selon laquelle le travail pédago- gique est irréductible à l’accumulation de savoir-faire et à la pratique des exercices mécaniques, puisqu’il renvoie à la capacité d’inventer des situations qui génèrent des sens qui articulent étroi- tement découverte et formalisation, c’est-à-dire qui font référence à la capacité à penser. Mots-clés compétence; travail pédagogique; formation des enseignants Resumen Este artículo de reflexión cuestiona uno de los “lugares comunes” que orientan hoy la formación de profesores: “Enseñar, educar sería en primer lugar, y, antes que nada, y tal vez exclusivamente, una cuestión de competencias por adquirir”. No obstante, el cuestionamiento no consiste en un rechazo al concepto de competencia, como suele suceder desde algunas perspectivas que se decla- ran críticas, sino en someter el concepto a un análisis riguroso, según el cual el trabajo pedagógico es irreductible a la acumulación de saber-hacer y a la práctica de ejercicios mecánicos, pues se refiere a la capacidad de inventar situaciones generadoras de sentido que articulan estrechamente el descubrimiento y la formalización, es decir, que hacen referencia a la capacidad de pensar. Palabras clave competencia; trabajo pedagógico; formación de profesores Abstract This reflection article questions one of the “common places”; that guide teacher training today: “Teaching, educating would be first and foremost, and perhaps exclusively, a question of skills to be acquired”. However, the questioning does not consist in a rejection of the concept of competence, as is usually the case from some perspectives that are declared critical, but in subjecting the concept to a rigorous analysis, according to which pedagogi- cal work is irreducible to the accumulation of know-how and the practice of mechanical exercises, since it refers to the capacity to invent situations that generate meaning that closely articulate discovery and formalization, that is, that refer to the capacity to think. Keywords competence; pedagogical work; teacher training 87 Richesses et limites de l’approche par «compétences» de l’exercice du métier d’enseignant aujourd’hui Philippe Meirieu Artículo de reflexión Introduction : La réflexion pédagogique aux prises avec les « lieux communs » M algré quelques accalmies médiatiques où leurs adversaires semblent un peu s’essouf- fler, les pédagogues ont toujours le senti- ment d’être « au front ». Et ils le sont, en effet, en permanence. Ils le sont, d’abord, parce qu’ils doivent rappeler sans cesse —et d’abord à eux-mêmes— que nul n’est jamais assigné à l’échec ni condamné à l’exclusion, que chacun peut apprendre et grandir, que la transmission de la culture ne peut avoir pour objectif de sélectionner les élites mais doit permettre à tous d’accéder au plaisir de penser et au pouvoir d’agir. Contre toutes les formes de fatalismes et de renoncements, contre l’obsession classificatoire de nos sociétés, contre l’enfermement systématique des sujets dans des « grilles » par des institutions qui se contentent de « gérer des flux », ils sont por- teurs d’une « insurrection fondatrice » qui les place toujours, plus ou moins, en position de combat et les fait apparaître comme des « empêcheurs d’enseigner en rond ». Mais les pédagogues sont aussi « au front » parce qu’ils prônent simultanément —et c’est ce qui agace chez eux— le « respect » de l’élève. S’ils postulent son éducabilité, ils rappellent aussi sans cesse que l’édu- cation n’est pas une fabrication et que nul ne peut apprendre et grandir à la place de quiconque. S’ils conviennent volontiers qu’il existe une antériorité de la culture et des savoirs sur les sujets qui viennent au monde, ils n’en affirment pas moins que chaque sujet doit s’approprier cette culture et ces savoirs dans une démarche singulière qui requiert son engage- ment personnel. Ontologiquement, le savoir précède l’apprentissage ; pédagogiquement, le sujet précède le savoir. Et c’est cette double antécédence qui fait toute la difficulté de l’entreprise. C’est elle qui fait apparaître les pédagogues comme des « empêcheurs de simplifier en rond ». Car, dès lors que l’on considère qu’on n’a jamais fini de proposer des ressources et des méthodes pour rendre les savoirs désirables et accessibles et que, simultanément, l’on accepte son impouvoir sur un sujet qui peut seul décider d’apprendre et de grandir, alors il faut batailler au quotidien contre toutes les tentations de la pensée magique. Il faut refuser la dévotion face à des programmes dont il suffirait de décréter l’importance pour garantir l’acquisition. Il faut renoncer à la croyance au pouvoir irrésistible de l’injonction à apprendre, même répétée en boucle par tous les acteurs de l’école et relayée en écho par les familles et les médias. Il faut abandonner aussi bien la nostalgie d’un passé idéalisé où « les élèves étaient encore motivés et travailleurs » que l’utopie d’une société idéale où les technologies numériques permettraient enfin à tous les enfants d’être mira- culeusement de plain-pied avec les savoirs et de les échanger spontanément dans une grande fraternité planétaire… La pédagogie sait qu’apprendre ne va pas de soi, qu’enseigner requiert, en même temps, beau- coup d’ambition et de modestie. C’est pourquoi les pédagogues peuvent s’enorgueillir d’apparaître aussi parfois comme « empêcheurs de bêtifier en rond ». Mais pour être crédibles dans leur entreprise, les pédagogues doivent évidemment donner l’exemple de la rigueur qu’ils prétendent incarner. C’est pour- quoi ils ne doivent jamais négliger le ciselage du concept au profit du pathétique du discours. Légi- timement révolté par la terrible constatation que « l’espèce est malfaisante avec ses enfants » (Hame- line, 2000, p. 95), il se laisse souvent aller à l’embal- lement militant sans toujours assurer ses arrières. C’est ainsi qu’il pratique volontiers la dénonciation systématique et le redressement moral. Le « respect de l’enfant » devient pour lui un étendard commode qui permet d’enrôler médecins, psychologues et sociologues, parents, enseignants et travailleurs sociaux, tous unis derrière quelques formules large- ment consensuelles : « l’enfant est un être humain à part entière », « il faut respecter les lois de son développement », « nous devons écouter sa parole, répondre à ses besoins et à ses intérêts », « il ne peut apprendre que s’il est actif et en collaborant avec les autres », etc. Toutes ces affirmations semblent constituer un corps de doctrine assez stabilisé pour permettre de distinguer et promouvoir les « bonnes pratiques » éducatives. Elles fonctionnent comme un signe de reconnaissance pour tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, militent pour « la cause des enfants ». Sans doute ne peut-on pas échapper totalement à cette vulgate. Elle est même probablement néces- saire pour alimenter le « foyer mythologique » où s’origine notre capacité d’affronter au quotidien la multitude des petits et grands échecs comme les per- sécutions tatillonnes des hiérarchies et institutions. Pour reprendre le collier tous les matins et affronter l’inévitable suffisance des spécialistes du « C’est pas possible… je vous l’avais bien dit ! », il faut un courage que les analyses philosophiques les plus fouillées et les travaux scientifiques les plus rigoureux sont bien incapables de nous communiquer. Aussi avons-nous besoin de paroles rituelles et de collectifs convaincus, de certitudes proclamées et de rappels vibrants de nos « valeurs fondatrices ». Car l’humain ne vit pas 88 Número 50 / Universidad Pedagógica Nacional / Facultad de Educación / 2019 / Páginas 85-96 seulement de science. Et celui qui se coltine tous les matins des enfants excités, abîmés, ou simplement indifférents à ce qu’on est chargé de leur transmettre, ne peut se passer de quelques « lieux communs » pédagogiques pour faire face à l’océan d’indifférence technocratique de son institution.1 Bien prétentieux serait donc celui ou celle qui proclamerait alors : « Lieux communs pédagogiques, je ne boirai pas de votre eau… ». Mais bien naïf serait celui ou celle qui imaginerait que ces lieux communs vont lui permettre de gagner le combat contre la fata- lité et l’injustice, pour la démocratisation de l’accès aux savoirs et l’émancipation des petits d’hommes. Car ce qui nous meut ne permet pas vraiment de combattre l’adversaire. Tout au contraire : à l’expo- ser sans précaution on prend le risque uploads/Philosophie/ richesse-et-limites-de-l-x27-approche-par-competences-du-metier-d-x27-enseignant-aujourd-x27-hui 4 .pdf
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- Publié le Fev 27, 2022
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