LA DIALECTIQUE MISE EN ŒUVRE : Le processus d’abstraction dans la méthode de Ma

LA DIALECTIQUE MISE EN ŒUVRE : Le processus d’abstraction dans la méthode de Marx Par Bertell Ollman Préface De Michael Löwy Traduit de l’anglais Par Paule Ollman Avec la collaboration de Thierry Méot II « Ce qui est décisif dans le marxisme… [c’est] sa dialectique révolutionnaire ». _V.I. Lenin « Le marxisme orthodoxe…n’implique pas une acceptation aveugle des résultats des investigations de Marx. Il n’est pas la ’croyance’ dans telle ou telle thèse, ni l’exégèse d’un livre ‘sacré’… [il] se réfère exclusivement à la méthode ». _George Lukacs « Le marxisme est avant tout une méthode d’analyse – pas une analyse de textes, mais l’analyse des relations sociales ». _Léon Trotsky « La dialectique…[c’est] la moëlle même de l’historiographie et de la science politique ». _Antonio Gramsci « Nous devons populariser la dialectique et nous devons la développer. En un mot, je demande que la dialectique soit popularisée pas à pas pour qu’on ait 600 millions de dialecticiens ». _Mao Tse-Tung III Ce livre est dédié à ma femme, Paule, qui m’a inspiré, stimulé et appris plusque tout autre personne excepté – peut-être – Marx lui-même IV Préface Les lumières de la dialectique Les tentatives d'apprivoiser le marxisme, de rendre moins dangereux ce serpent en lui enlevant son poison dialectique, ne se comptent pas. La première, fondatrice d'une vénérable lignée intellectuelle, a été celle proposée par Eduard Bernstein au début du siècle. Avec une remarquable lucidité, le père du révisionnisme avait compris le lien profond entre la dialectique et la révolution chez Marx. D'où la polémique incessante contre la dialectique "élément perfide de la doctrine marxiste", "piège", "jeux dangereux qui mène aux aventures révolutionnaires et les justifie", source du "blanquisme" de Marx - "blanquisme" étant pour Bernstein synonyme de lutte révolutionnaire - et de ses rechutes dans le "révolutionnarisme". Pour Bernstein, la dialectique, de source hégélienne, en affirmant la nécessité de pousser les contradictions jusqu'au bout, et la possibilité de sauts catastrophiques dans le processus historique, est le fondement méthodologique de l'"erreur" révolutionnaire de Marx: "ce qui devrait demander des générations pour se réaliser fut considéré à la lumière de la philosophie de l'évolution par et dans les contradictions comme le résultat immédiat d'une révolution politique..."* Quant aux marxistes "orthodoxes" Kautsky et Plekkanov, leur pensée représente, dans une large mesure, un retour au matérialisme mécaniste, c'est-à-dire à une forme de pensée fondamentalement métaphysique et pré-dialectique. La dialectique marxiste ne survivra de la mort d'Engels jusqu'à 1914 qu'"à l'oeuvre" dans les écrits politiques de la gauche révolutionnaire de la IIème Internationale: Rosa Luxemburg, Léon Trotsky, Lénine. * Cf. Pierre Angeli, E. Bernstein et l'évolution du socialisme allemand, Paris, Didier, 1961, pp. 198- 204. V Le courant dialectique révolutionnaire ne réapparaîtra en tant que pensée philosophique que dans le sillon de la grande vague qui soulève l'Europe après 1917, dans les écrits, articles, livres et essais de Lukacs, Korsch et Gramsci. Après la stabilisation du capitalisme mondial et l'essor du stalinisme en URSS, la dialectique marxiste sera progressivement marginalisée et excommuniée du mouvement ouvrier, et se réfugiera dans quelques brillants cénacles intellectuels comme l'Ecole de Francfort. Ce n'est qu'à partir des années 50, avec la crise du stalinisme et l'essor de nouveaux mouvements sociaux qu'on observe une renaissance de l'intérêt pour la dialectique - Henri Lefebvre, Lucien Goldmann et certains textes de Jean-Paul Sartre en témoignent - ainsi que, parallèlement, de nouvelles tentatives (structuralisme, marxisme analytique) d'en finir une fois pour toutes avec les "déviations hégéliennes" et autres "gauchismes théoriques". La Dialectique mise en oeuvre de Bertell Ollman montre que ce débat n'est pas seulement européen, mais trouve une expression originale outre-Atlantique. Qui est Bertell Ollman? Formé (D.Phil.) à Oxford, professeur de théorie politique à l'Unversité de New York, il est connu et reconnu aux Etats-Unis comme philosophe marxiste remarquable et un dialecticien éminent. Son brillant ouvrage de 1971, Aliénation: la conception de la nature humaine dans la société capitaliste chez Marx a connu non moins de treize ré-éditions. Parmi ses qualités, il faut souligner la créativité et - chose rare chez les intellectuels de gauche - le sens de l'humour. C'est ainsi qu'il a inventé, en 1978, un jeu intitulé "Lutte de Classes", une sorte de "Monopoly" où les dés sont jetés dans un affrontement permanent entre bourgeois et prolétaires. Traduit en plusieurs langues, il fut diffusé dans de nombreux pays, avec beaucoup de succès. VI Ce livre est composé de deux parties: La première est une brève introduction, simple et directe - qualité rare en ce domaine! - à la dialectique et sa signification. La deuxième, sans doute la plus importante et la plus originale du point de vue philosophique, est un exposé méthodologique sur la dialectique à l'oeuvre dans le processus d'abstraction chez Marx, en examinant ses trois dimensions: l'extension, le niveau de généralité et le point de vue. Ensuite, à l’aide de ce processus d’abstraction, Ollman analyse la lecture “rétrospective” de l’histoire chez Marx. Le haut niveau philosophique des investigations d'Ollman ne l'empêche pas d'utiliser un langage lisible et libre de jargon. Chez Ollman la dialectique redevient une formidable force de critique sociale et de démystification politique. Et tout au long du texte, il évite soigneusement d'en faire autre chose qu'une méthode de compréhension de la réalité, une forme de pensée, une démarche intellectuelle: en soi, écrit-il, "la dialectique ne prouve rien, ne prédit rien et ne détermine aucun événement". La dialectique n'est pas une doctrine mystérieuse, ni une spéculation mystique et encore moins une théologie sécularisée. Sous sa forme rationnelle et matérialiste - celle de Marx - c'est un instrument critique précieux, une sorte de lumière qui éclaire, de l'intérieur, les contradictions du processus historique. Le livre d'Ollman est une introduction claire, précise et argumentée à la méthode dialectique et son application à la compréhension de la réalité sociale. Michael Löwy 1 Introduction générale Le marxisme, entendu au sens des idées de Karl Marx, a subi quatre assauts majeurs durant les quelques cent cinquante années de son histoire : - le révisionnisme, dont la plupart des traits critiques ont porté sur l’«importance excessive» prétendument accordée par Marx aux processus économiques, de même que sur ses « prédictions erronées »; - l’«officialisation », ou l’adoption du marxisme comme doctrine officielle dès 1917 par divers pays sous-développés, avec pour résultat le glissement de la signification du marxisme, de l’analyse et de la critique du capitalisme à une rationalisation et une idéologie organisatrice d’un État « socialiste » ; - le sectarisme, à l’ouest en particulier, pour lequel le mot et la citation ont souvent été substitués aux arguments de Marx et à sa façon de penser ; - et, plus récemment, une sorte d’éclectisme délirant, un marxisme des «années de vaches grasses», dépouillé de sa classe ouvrière, dans lequel les idées de Marx ont été mariées à une série de prétendants mal assortis en provenance de l’université bourgeoise pour produire autant de rejetons liés par des traits d’union ; ce dernier assaut serait en soi de peu d’importance s’il ne s’accompagnait invariablement d’un déplacement de la visée première de Marx, ainsi que d’une dilution drastique de son analyse sociale et de son programme politique. Tout au long de ces assauts contre l’intégrité du marxisme, aucun élément de la pensée de Marx n’a reçu de traitement plus pitoyable que la dialectique, que ce soit sous forme de critique directe, de distorsion grossière, ou de négligence absolue. C’est pourtant par là, par la méthode dialectique de Marx, que doit commencer toute tentative sérieuse pour 2 recouvrer ce qu’il y a de précieux dans sa contribution à la transformation de notre monde. Si les théories de Marx traitent essentiellement de sa compréhension de la société capitaliste, de ses origines et de son futur probable, alors sa méthode dialectique est le moyen grâce auquel il a développé cette compréhension, y compris la manière dont il l’a structurée, et l’ordre et les formes qu’il lui a données dans sa présentation. La méthode de Marx, pourrait- on dire, est à ses théories ce que la haute stratégie est à l’issue de la guerre. Non seulement elle joue un rôle décisif dans la détermination de la réussite ou de l’échec, mais elle aide aussi à dégager la signification de chacun de ces termes. En dépit de son importance cruciale pour son travail, les remarques éparses de Marx sur la dialectique ne sont jamais guère plus que suggestives, toujours très stimulantes et alléchantes, mais invariablement incomplètes. Dans la postface de la deuxième édition allemande du Capital, Marx affirme par exemple, « sous son aspect mystique (hégélien), la dialectique devint une mode en Allemagne, parce qu’elle semblait glorifier l’état de choses existant. Sous son aspect rationnel, elle est un scandale et une abomination pour le royaume bourgeois et ses idéologues doctrinaires, parce que dans l’intelligence positive de l’état de choses existant elle inclut du même coup l’intelligence de sa négation, de sa désintégration nécessaire ; parce que saisissant le mouvement même, dont toute forme faite n’est qu’une configuration transitoire, rien ne peut lui en imposer ; parce qu’elle uploads/Philosophie/ 15-le-processus-d-abstraction-dans-la-methode-de-marx-2007-ollman.pdf

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