Droit et société Considérations sur une "pieuse hypocrisie" : la forme des arrê
Droit et société Considérations sur une "pieuse hypocrisie" : la forme des arrêts de la Cour de cassation Alain Bancaud Abstract This research tries to comprehend why the french Supreme Court always employs a highly logistic reasoning, while even some of its own members acknowledge that they use in fact others means in the decision making process. This phenomemon leads to the study of their attitudes towards logic and the law, but also their own power. The resulting analysis must go beyond cynicism and illusion and forces us to note the substancial ambivalence of the most highly placed members of the judiciary. Résumé Ce travail s'efforce de comprendre pourquoi la Cour de cassation française utilise toujours le raisonnement syllogistique alors même que certains de ses responsables reconnaissent recourir de fait à d'autres démarches. Ce qui conduit à l'étude des relations des hauts magistrats à la logique et à la loi ainsi qu'à leur propre pouvoir. Analyse qui ne peut se réduire ni au cynisme ni à l'illusion et qui permet de constater l'ambivalence constitutive du juge suprême. Citer ce document / Cite this document : Bancaud Alain. Considérations sur une "pieuse hypocrisie" : la forme des arrêts de la Cour de cassation. In: Droit et société, n°7, 1987. Science du droit, sociologie. pp. 373-387; doi : 10.3406/dreso.1987.972 http://www.persee.fr/doc/dreso_0769-3362_1987_num_7_1_972 Document généré le 06/06/2016 yc? Considérations sur une "pieuse hypocrisie": la forme des arrêts de la Cour de Cassation* Alain BANCAUD** SUMMARY This research tries to comprehend why the french Suprême Court always employs a highly logistic reasoning, while even some of its own members acknowledge that they use in fact others means in the décision making process. This phenomemon leads to the study of their attitudes towards logic and the law, but also their own power. The resulting analysis must go beyond cynicism and illusion and forces us to note the substancial ambivalence of the most highly placed members of the judiciary. RESUME Ce travail s'efforce de comprendre pourquoi la Cour de cassation française utilise toujours le raisonnement syllo- gistique alors même que certains de ses responsables reconnaissent recourir de fait à d'autres démarches. Ce qui conduit à l'étude des relations des hauts magistrats à la logique et à la loi ainsi qu'à leur propre pouvoir. Analyse qui ne peut se réduire ni au cynisme ni à l'illusion et qui permet de constater l'ambivalence constitutive du juge suprême. Comment la Cour de Cassation française prend- elle aujourd'hui ses décisions? Toujours selon la loi et en vertu d'un raisonnement syllogistique, s'il faut en croire la forme presque bi-centenaire * Cette recherche sur les magistrats de la Cour de Cassation, réalisée dans le cadre du CRIV, vise: - d'une part, à repérer le système de dispositions consacrées par la nomination à cette Haute Cour (les années 1938-1962-1985 servent de base de comparaison); - d'autre part, à comprendre en quoi consiste la conversion spécifique que les magistrats subissent à leur arrivée dans cette institution. Cette recherche utilise les techniques statistiques pour ce qui concerne une approche "morphologique" de cette fraction du corps des magistrats, la méthode des interviews non directives (magistrats de la Cour de Cassation, avocats aux Conseils, professeurs) ainsi que l'analyse de contenu des discours et écrits sur cette même Cour. CRIV-CNRS, Vaucresson, France. de ses arrêts. Or, à entendre les aveux de certains hauts magistrats, le juge actuel entretiendrait un rapport quasiment factice, voir hypocrite, à ce type de démarche. Pour un auteur comme Ost(l), au contraire, le magistrat userait d'une pratique interprétative moins en rupture qu'en continuité avec la méthode exégétique: il serait un exégète qui s'ignore ou, plutôt, un homme de système qui n'ose s'avouer comme tel. Comprendre pourquoi une telle méthode perdure, dans la dénégation, tel va donc être l'objet de notre présent propos qui s'inscrit dans une recherche empirique sur les magistrats de la Cour de Cassation. A cette survivance, il existe bien sûr des causes extérieures aux magistrats, causes que l'on n'étudiera toutefois pas ici. Seules nous intéressent les raisons tenant aux magistrats eux-mêmes; ce qui conduira 374 DROIT ET SOCIETE à l'étude de la nature des relations du haut magistrat à la logique et à la loi mais également et, au- delà, à son propre pouvoir. Analyse qui ne peut se réduire ni au cynisme ni à l'illusion et qui va permettre de constater l'ambivalence constitutive du juge suprême. 1 Une fiction ordinaire et notoire Que la Cour de Cassation ne se soumette pas systématiquement aux rigueurs de la déduction formelle, qu'elle prenne ou, du moins, puisse prendre ses décisions en vertu d'arguments autres que ceux empruntés à la logique et à la lettre de la loi, cela ressort d'un certain nombre de propos de hauts magistrats. Et même des plus hauts. Ainsi, selon un de ses anciens Premiers Présidents, cette même Cour, opérant à chaque fois une sorte de coût comparé entre ce que la logique impose et ce que le sens de l'équité recommande, est convaincue que le bon droit ne se confond pas avec la vraie logique, que le parfait juge doit non seulement manifester une incrédulité certaine envers la méthode d'interprétation logique mais encore savoir privilégier la justesse sociale du résultat sur la rigueur déductive du raisonnement: "Dans toute la mesure où la loi le lui permet, la haute juridiction s'efforce de dégager la solution qui lui paraît la plus conforme aux nécessités sociales, à la raison, à l'équité et au bon sens, elle est pénétrée de l'idée que les concepts logiques recouvrent mal la réalité et que, de la vérité logique, on ne peut pas toujours conclure à la vérité réelle. Elle sait que toute opération logique appelle le contrôle du bon sens et elle est plus sensible, il faut bien le dire, à la finalité du texte qu'à la rigueur du raisonnement. Lorsque celui-ci conduit à des résultats inadmissibles, la Cour met en oeuvre divers procédés techniques pour les écarter; elle se résigne mal à considérer que, même si elle est l'application des règles logiques, une solution déraisonnable, injuste, immorale, doit être approuvée au nom de la règle dura lex sed lex"(2). Plus radical encore, un autre ancien Premier Président a pu déclarer très officiellement lors d'une audience solennelle de rentrée de la Cour de Cassation ou dans une revue juridique internationale, que la forme des arrêts constituait une fiction, plus, une "pieuse hypocrisie", puisque le raisonnement syllogistique n'était qu'une mise en forme ultime et trompeuse d'une démarche politique et téléologique: ". . . comment elle (la Cour de Cassation) se décide? Certains s'étonneront de la question et de répondre: selon la loi, toute la loi, rien que la loi. Pieuse hypocrisie qui ne résout rien. . . La forme des arrêts permet-elle d'attribuer à la logique un rôle essentiel? Je dis que cette forme est appliquée après coup mais n'a pas servi à trouver la solution. En tout cas, la logique de la Cour ne s'apparente en rien à la logique purement déductive des sciences mathématiques. . . son oeuvre tient donc plus de la politique que de la mathématique. De fait cette logique est téléologique" (3) . ALAIN BANCAUD 375 "La présentation des arrêts de la Cour ferait croire que celle-ci trouve très simplement ses solutions par voie de logique déductive. En réalité, le plus souvent, notre juridiction remonte des faits de la cause vers les principes applicables par voie d'induction. . . car nous l'avons dit, nos solutions ne sont pas fondées sur la seule analyse des textes et l'usage de la logique mais aussi sur l'ensemble des besoins et des données de la société. . . La concision extrême de nos arrêts coulés sur la forme de syllogismes, parfois trompeurs. .."(4). Que la solution soit le point de départ et non d'arrivée, cela paraît vrai aussi bien pour le juge administratif que pour le juge de l'ordre judiciaire. Plus l'enjeu du litige est politique, plus le Conseil d'Etat, selon l'aveu d'un de ses anciens vice-présidents, pratique l'art secret du "renversement des perspectives méthodologiques" où les considérations d'opportunité déterminent le choix du principe juridique posé comme prémisse: "On peut toutefois se demander si les magistrats ont bien soin de poser d'abord en termes théoriques le problème qu'ils doivent résoudre. On a souvent l'impression que le moment où la question est posée au juge influe sur le choix des principes qu'il convient d'évoquer. La façon même d'isoler, dans la mêlée des faits, les termes d'une question ouvre la voie à la réponse. N 'arrive- t-il pas que les motifs suivent le dispositif? Les motifs , ce sont les notions et les principes; le dispositif, c'est la solution qui les appelle. Qu'est-ce qu'un principe qui ne vient que quand on l'appelle? N'est-ce pas le nom pompeux de l'opportunité, élevée pour la circonstance à une certaine dignité intellectuelle?". "Une série d'études précises montreraient sans doute que ce renversement des perspectives méthodologiques est d'autant plus net que la question à résoudre est plus proche du centre brûlant de la vie politique" (5). Tout en reconnaissant que le pouvoir de cassation uploads/Philosophie/ a-bancaud-considerations-sur-une-pieuse-hypocrisie-la-forme-des-arrets-de-la-cour-de-cassation.pdf
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- Publié le Jan 27, 2022
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