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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Jacques Aumètre Philosophiques, vol. 15, n° 1, 1988, p. 141-167. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/027040ar DOI: 10.7202/027040ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 21 October 2013 11:08 « Habermas et Althusser : critique de l’idéologie scientiste et critique de l’humanisme idéologique » PHILOSOPHIQUES, Vol. XV, N u m é r o 1, Printemps 1988 HABERMAS ET ALTHUSSER : CRITIQUE DE L'IDÉOLOGIE SCIENTISTE ET CRITIQUE DE LHUMANISME IDÉOLOGIQUE * par Jacques Aumètre RÉSUMÉ. Les hommes sont-ils sujets ou assujettis à la structure objective du monde naturel et social ? Est-ce l'idéologie ou la critique de l'idéologie qui les fait sujets ? Les deux, selon Marx, car les hommes ne sont pas libres mais le deviennent à travers l'histoire, dialectiquement, en se libérant de la nécessité qui les conditionne. Depuis, le marxisme s'est scindé, un matérialisme objectif y affrontant un idéalisme subjectif, et aujourd'hui Althusser retourne le socialisme scientifique contre l'utopie communiste, à l'inverse d'Habermas. Une critique scientiste de l'humanisme idéologique s'oppose alors à une critique humaniste de l'idéologie scientiste. Et s'il fallait plutôt critiquer ensemble humanisme et scientisme comme les deux versants contraires mais complémentaires d'un même rationalisme métaphy- sique — et idéologique ? ABSTRACT Are men subjects or are they subjected to objective structure of natural and social world ? Is it ideology or criticism of ideology which makes them subjects ? Both, according to Marx, because men aren't but become free throught history, dialectically, being liberated from necessity which determines them. Since, marxism has been splitting up into an objective materialism fronting a subjective idealism, and today Althusser, at the opposite of Habermas, returns scientific socialism against communist Utopia. Then, a scienticist criticism of ideological humanism is opposed to a humanist criticism of scienticist ideology. So, shouldn't we criticize both humanism and scienticism as two contrary but complementary sides of a single metaphysical — and ideological — rationalism ? * Cet article est une version raccourcie et remaniée du texte « La question du sujet dans les critiques marxistes de l'idéologie », paru dans L'efficacité du symbolique IL Approches politiques et sémiologiques, Cahiers Recherches et Théories, Collection «Symbolique et idéologie», Montréal, Département de philosophie, UQAM, 1987. 142 PHILOSOPHIQUES L'idéologie, pour les marxistes, n'est pas seulement à théoriser, mais aussi et surtout à critiquer comme mystification au service d'une domination et d'une exploitation dites « de l'homme par l'homme». Dès lors, parler d'idéologie, c'est dire qu'il y a des hommes dominés et exploités par d'autres hommes, dans le cadre d'un système social divisé en classes antagoniques, à cause du processus d'appropriation, par une minorité, du travail de la majorité. Et puisque ce processus de domination et d'exploitation des travailleurs par les propriétaires des moyens de travail nécessite une mystification idéologique qui le masque ou maquille pour le justifier, c'est dire qu'il y a des hommes mystifiés — la majorité, voire la totalité si les mystificateurs sont eux-mêmes mystifiés... De toute façon, on ne saurait, dans le marxisme, analyser les processus sociaux, et notamment idéologiques, en ignorant l'action des hommes sur la nature et dans la société, en la traitant comme si elle était réductible au mouvement des choses. Mais il y a diverses manières, à la limite contraires, de concevoir l'action historique des hommes, selon que l'on privilégie leur asservissement ou leur affranchissement par rapport à la structure du système social. Alors apparaissent les divergences, dans le marxisme, sur la détermination de l'humanité comme subjectivité. Ces hommes auxquels rapporte la mystification idé- ologique, faut-il les dire sujets au sens d'êtres libres d'agir, de faire l'histoire, non seulement acteurs mais auteurs de leur action et ayant donc autorité sur le monde — potentiellement sinon actuel- lement — ou au sens d'être assujettis — éternellement — à une structure objective de l'action ? Quel discours, au juste, les fait sujets et les rend libres : l'idéologie ou, au contraire, la critique de l'idéologie ? En fin de compte, la critique de l'idéologie libère-t-elle la subjectivité des hommes ou libère-t-elle les hommes de la subjectivité ? La question du sujet s'avère ainsi centrale dans les critiques marxistes de l'idéologie, car toute théorie de l'idéologie s'y fonde sur une théorie du sujet, qu'elle soit subjectiviste ou objectiviste, qu'elle considère la subjectivité de l'homme comme réelle ou comme imaginaire, principe de la critique de l'idéologie ou conséquence de l'idéologie, au contraire. Cette alternative est celle que proposent aujourd'hui Habermas et Althusser. D'un côté, Habermas, dans le cadre d'une reconstruction méta-marxiste, entreprend une critique humaniste de l'idéologie HABERMAS ET ALTHUSSER 1 4 3 scientiste comme suprême et ultime idéologie historique ; de l'autre, Althusser, dans le cadre d'une reconstitution néo-marxiste, élabore une critique scientiste de l'humanisme idéologique comme fondement éternel de toute idéologie. Pourquoi et comment le marxisme a-t-il pu aboutir à ce clivage sur la question du sujet, générateur d'un antagonisme radical des perspectives critiques sur l'idéologie ? Sans doute faut-il, préalablement à l'examen de cette divergence, remonter à sa source, chez Marx lui-même, pour rappeler très brièvement la manière dont il avait uni ce qu'Habermas et Althusser ont séparé et opposé : les deux versants, subjectif et objectif, d'un même rationalisme dialectique *. Pour Marx, les hommes ne sont pas des sujets libres, mais le deviennent à travers l'histoire en se libérant des nécessités naturelles et sociales qui les conditionnent, en progressant dialectiquement vers l'autodétermination consciente et volontaire des individus librement associés pour la maîtrise du monde, au terme d'une révolution communiste faisant coïncider la rationalité libre de la société avec la liberté rationnelle des individus. Or, tant que n'advient pas la fin de l'histoire (... de la lutte des classes), l'idéologie, au sein des sociétés de classes, mystifie les hommes, soit en faisant abstraction de l'histoire, parce qu'elle naturalise la 1. Essayons, sans trop anticiper sur les développements à venir, de préciser d'emblée ce que nous entendons par «humanisme» et «scientisme», puisque toute notre argu- mentation va tourner autour de cette opposition conceptuelle. Par humanisme, nous entendons toute théorie philosophique qui fait de l'homme l'être suprême ou le sens et la valeur suprêmes de l'être, mesure de toute chose et fondement du monde, origine et fin de l'histoire, bref, toute doctrine qui déifie l'homme. L'humanité de l'homme — individuelle et/ou sociale, naturelle et/ou historique, intellectuelle et/ou morale — s'y définissant essentiellement et/ou existentiellement par la liberté rationnelle d'être, de (se) faire, de (se) penser, l'humanisme entend libérer rationnellement l'homme, comme sujet, de toute aliénation objectivante. Par scientisme, nous entendons toute théorie philosophique qui fait de la science la seule forme valable et véritable, parce qu'objective, de connaissance, voire de pensée, bref, toute doctrine qui absolutise la science, parfois, mais pas toujours, comme si elle était capable, à terme, d'éliminer notamment la religion, la métaphysique et la morale. La scientificité de la science s'y définissant par la rationalité nécessaire qu'elle trouve et/ou met dans le monde, le scientisme entend soumettre rationnellement l'homme à l'ordre et aux lois du monde. Ce qu'humanisme et scientisme ont pourtant en commun, c'est le rationalisme — d'un côté subjectif, libre, de l'autre objectif, nécessaire — que Marx a rendu dialectique, pour dépasser l'opposition entre science du sujet et science de l'objet comme entre sujet de la science et objet de la science, mais qu'Habermas et Althusser ont infléchi, l'un vers l'herméneutique, l'autre vers l'analytique. 1 4 4 PHILOSOPHIQUES structuration objective des sujets, soit en faisant de l'histoire abstraite, parce qu'elle spiritualise la subjectivation des structures objectives. Ce spiritualisme subjectif n'est que la contrepartie du naturalisme objectif, son contraire complémentaire, le supplément d'âme d'un monde chosifié, la réaction imaginaire et illusoire des hommes à leur réelle réification. La liberté des sujets n'est qu'ap- parente, mais la nécessité des structures objectives aussi2. Il s'agit donc, pour Marx, de construire une science de l'histoire démystificatrice qui rapporte les structures du monde objectif à l'action des sujets, mais des sujets réels, empiriques, concrets, dont la libération serait conçue sur une base matérialiste — une science matérialiste du sujet, c'est-à-dire du devenir-sujet de l'humanité, de sa libération historique comme domination de l'objectivité du monde naturel et social. Il faut que les hommes se sachent conditionnés pour savoir se déconditionner. Il leur faut savoir le pourquoi et le comment de leur aliénation pour pouvoir agir en connaissance de cause afin de se désaliéner. Le fondement de l'histoire est matériel, mais non sa fin qui le transcende comme libération de ce conditionnement matériel de l'existence. Le matérialisme de Marx, objectif quant aux conditions, uploads/Philosophie/ althusser-et-habermas-critique-scientifique-a-l-x27-ideologie-humaniste-et-critique-humaniste-a-l-x27-ideologie-scintifique 1 .pdf

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