1En sciences de gestion, nombreuses sont les méthodologies de recherche qui com
1En sciences de gestion, nombreuses sont les méthodologies de recherche qui comprennent une phase d’analyse de discours. Bien souvent, une « simple » analyse thématique suffit pour que le chercheur atteigne ses objectifs. Or, ainsi qu’en témoigne le nombre croissant de chercheurs qui, dans ce champ, s’intéressent aux analyses discursives, notamment assistées par ordinateur (Areni, 2003 ; Bournois et al., 2002 ; Mathieu 2004 ; Fallery et Rodhain, 2007 ; Igalens, 2007) certains discours – discours managériaux, entretiens exploratoires ou récits de vie – semblent mériter une étude approfondie, dépassant les classiques méthodes d’analyse de contenu strictement centrées sur la fonction référentielle des énoncés, c’est-à-dire sur leur contenu. En fonction des objectifs de chaque investigation, il peut être intéressant d’en analyser les champs sémantiques, les modes d’argumentation et de légitimation, la structuration ou le système d’énonciation, autrement dit la façon dont l’émetteur s’implique dans sa production et y implique se(s) destinataire(s) (Garric et al., 2006 ; Seignour, 2009). 2Cet article propose ainsi une méthode d’analyse textuelle approfondie. Nous présentons synthétiquement dans une première partie nos principales hypothèses sur les discours et le sujet parlant ainsi que les cadres de référence dans lesquels cette méthode s’inscrit. Nous montrons ensuite que les textes [1][1]Nous appelons « texte » la transcription d’un discours quel… comportent formellement divers marqueurs, qui constituent autant de « traces » de la présence (ou de l’absence) de l’énonciateur. À partir de ces indicateurs, nous proposons une grille de lecture permettant une analyse fine des énoncés discursifs. Cette contribution avant tout méthodologique a ainsi pour objectif majeur de présenter de manière précise et détaillée chacune des trois catégories d’analyse, énonciative, référentielle et argumentative. Elle vise aussi à illustrer cette méthode à partir de l’étude, effectuée avec l’appui du logiciel de sémantique Tropes, d’une allocution interne, prononcée par un ancien dirigeant d’une grande entreprise publique française, la SNCF. Il nous est en effet apparu que le discours mobilisateur de ce dirigeant, exhortant au changement dans l’entreprise au nom de l’efficacité organisationnelle mais aussi au nom de valeurs démocratiques et humanistes, se situait au cœur de contradictions, de l’ordre de la double contrainte. C’est cette thématique du changement « décrété » dirons-nous en plagiant Michel Crozier qui est au centre de nos analyses. I – CORPS D’HYPOTHÈSES ET CADRE DE RÉFÉRENCE 3Nos investigations s’inscrivent dans une approche des discours, de l’homme communicant [2] [2]Nous reprenons ici le titre du célèbre ouvrage de Ghiglione. et de l’analyse textuelle qu’il convient d’expliciter (Seignour, op. cit et 1998). 1. Discours et influence 4« Parler, c’est sans doute échanger des informations ; mais c’est aussi effectuer un acte, régi par des règles précises, qui prétend transformer la situation du récepteur et modifier son système de croyance et/ou son attitude comportementale. » (Kerbrat-Orecchioni, 1980, p. 84). 5Selon Adam, Bourdieu, Ducrot, Ghiglione, Kerbrat-Orecchioni [3][3]Respectivement 2005, 1982, 1998, 1986., etc., un discours ne se contente pas de décrire un réel qui lui préexiste mais construit la représentation du réel que le locuteur souhaite faire partager par son allocutaire. Il en résulte que pour la plupart des spécialistes du langage, énoncer un discours, c’est vouloir agir sur autrui. Le discours a ainsi un objectif performatif : c’est un acte volontariste d’influence. La plupart des discours, notamment politiques, publicitaires et managériaux, sont alors considérés comme appartenant à la classe des énoncés argumentatifs, dont la finalité réside dans la recherche d’adhésion du destinataire. Ainsi, pour Adam (1992, p. 116), « Un discours argumentatif vise à intervenir sur les opinions, attitudes ou comportements d’un interlocuteur ou d’un auditoire en rendant crédible ou acceptable un énoncé. » [4][4]« Le raisonnement d’Aristote est le suivant : pour convaincre… et pour Perelman (1983, p. 173), « L’argumentation s’efforce de faire passer vers la conclusion l’adhésion accordée aux prémisses. Cette adhésion est toujours relative à un auditoire, elle peut être plus ou moins intense, selon les interlocuteurs. » Selon ces auteurs, l’argumentation dépend d’une situation d’énonciation donnée, notamment de l’image que l’émetteur se fait du destinataire du message. Tout discours argumentatif inscrit alors dans son énoncé une représentation du destinateur, du destinataire et révèle implicitement la nature des relations qu’entretiennent les deux pôles de l’échange. 6Les discours argumentatifs regroupent trois principaux types de textes (Boissinot, 1992) qui peuvent être démonstratifs, expositifs et dialogiques. Les textes à tendance démonstrative, prétendument logiques, comportent de nombreux connecteurs [5][5]Mais, car, parce que, afin que… et procédés de raisonnement tels l’induction, la déduction, l’analogie. Tout en proposant une thèse, les textes à tendance expositive masquent instances d’énonciation et procédés de raisonnement sous un contenu « purement » informationnel. Enfin, les textes à tendance dialogique fonctionnent comme un lieu de confrontation de thèses et sont construits, de manière plus ou moins patente, sous la forme d’un dialogue [6][6]« Argumenter, c’est, par fonction, répondre à un (des) discours…. Bien qu’ils prennent parfois l’apparence d’un énoncé démonstratif ou expositif afin de « neutraliser » ou de naturaliser leur thèse, les discours managériaux appartiennent généralement à cette dernière catégorie et sont des instruments non négligeables pour « énacter la stratégie » (Marion, 2000). 2. L’homme communicant 7« L’homme communicant n’est pas le miroir réfléchissant d’une réalité, mais le constructeur incessant de ses réalités (…) La réalité sociale n’est pas une donnée à traduire en langue, mais un chantier en permanente construction. » (Ghiglione, 1989, p. 24). 8Travailler sur les discours et le langage implique une préalable clarification de nos représentations de ce que les linguistes nomment le « sujet parlant ». 9Le sujet parlant est, selon nous, un sujet « situé », au sens sartrien, dont les actes langagiers sont influencés par le contexte dans lequel il évolue et qu’il contribue également à créer. Créateur d’une réalité sociale qu’il vise à faire partager, le locuteur est parallèlement « pris » par ses propres représentations. Ainsi, le rapport qu’il entretient avec sa propre production langagière est dialectique. En outre, l’échange verbal est un processus d’acculturation complexe : le jeu d’influence est loin d’être strictement unilatéral et le discours du locuteur est le produit de la relation dialectique que ce dernier entretient avec le destinataire de ce discours. Nous nous éloignons ainsi radicalement d’une conception instrumentale et behavioriste de la communication et nous situons dans la filiation de Breton et Proulx lorsqu’ils déclarent en 1993 : « L’effet du message diffusé n’est pas le simple produit de “manipulateurs” qui posséderaient un plan de contrôle machiavélique. Les contenus du message diffusé dépassent largement l’intention première de l’émetteur. Celui-ci ne peut contrôler totalement le discours qu’il émet. » (p. 176). 10Précisons enfin que nous nous intéressons essentiellement à la visée persuasive des énoncés et non aux effets obtenus, la signification d’un énoncé existant indépendamment des effets qu’il a – ou n’a pas – produits. La question de la réception ne fait pas partie de notre questionnement. 3. Linguistique de l’énonciation et analyse du système d’argumentation 11Nos analyses discursives s’inscrivent dans le double champ de la linguistique de l’énonciation et de l’analyse du système d’argumentation. Ce cadre de référence est en adéquation avec les représentations des discours et du sujet parlant que nous avons présentées plus haut. Nous allons très synthétiquement en présenter les principaux fondements. 12La linguistique de l’énonciation se caractérise par le rejet des postulats sur lesquels reposait la linguistique jusque dans les années 1980, c’est-à-dire par le double refus d’une part, de limiter l’étude de la langue à une étude du code envisagé « en soi », en dehors de toute mise en œuvre, et d’autre part, de privilégier la fonction référentielle du langage, perçue comme un simple moyen d’informer ou de dire le réel (Ducrot, 1980 ; Kerbrat-Orrechioni, op. cit.). Il s’agit au contraire, pour ces linguistes, d’une part, de prendre en compte le contexte dans lequel s’inscrit le discours. C’est ainsi qu’en se centrant sur l’échange verbal, la linguistique de l’énonciation se démarque d’une conception structuraliste de la langue perçue comme un système clos présente dans les travaux de Greimas. Et d’autre part, d’étudier le discours en tant qu’acte d’influence, manifestant la présence de l’émetteur et visant à agir sur le récepteur. 13Quant à l’analyse du système d’argumentation, son enjeu est d’identifier les thèses en présence dans un énoncé ainsi que les modes d’argumentation employés par le sujet de l’énoncé. Ce champ d’investigation trouve ses fondements dans la rhétorique antique. La plupart des traités de l’Antiquité [7][7]Pour rédiger ce paragraphe, nous nous sommes servis de… distinguent cinq parties dans le travail de l’orateur : l’invention (la recherche des arguments), la disposition (la structuration), l’élocution (les techniques d’écriture), l’action (les techniques de l’oral), la mémoire (les techniques de mémorisation). Nous n’abordons pas ces deux dernières parties qui traitent exclusivement de l’intervention orale mais présentons les trois autres parties. Aristote distinguait trois voies argumentatives dans « l’invention » : l’ethos désigne les qualités dont est doté l’orateur. Le pathosdénote l’ensemble des émotions que le locuteur cherche à provoquer chez ses interlocuteurs. Le logos représente l’argumentation logique, s’adressant à la raison et ayant pour finalité de prouver. L’analyse de « l’invention » consiste à repérer la nature des uploads/Philosophie/ anakyse-du-discours.pdf
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- Publié le Jul 03, 2022
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