Le Portique Revue de philosophie et de sciences humaines 16 | 2005 Sartre. Cons
Le Portique Revue de philosophie et de sciences humaines 16 | 2005 Sartre. Conscience et liberté La morale de Sartre . Une reconstruction Gerhard Seel Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/leportique/737 DOI : 10.4000/leportique.737 ISSN : 1777-5280 Éditeur Association "Les Amis du Portique" Édition imprimée Date de publication : 1 septembre 2005 ISSN : 1283-8594 Référence électronique Gerhard Seel, « La morale de Sartre . Une reconstruction », Le Portique [En ligne], 16 | 2005, mis en ligne le 15 juin 2008, consulté le 25 mars 2021. URL : http://journals.openedition.org/leportique/737 ; DOI : https://doi.org/10.4000/leportique.737 Ce document a été généré automatiquement le 25 mars 2021. Tous droits réservés La morale de Sartre . Une reconstruction Gerhard Seel Introduction 1 Dans son premier ouvrage, en 1936, Sartre avait déjà esquissé le programme d’une éthique : « Il n’est pas nécessaire [...] que l’objet précède le sujet pour que les pseudo- valeurs spirituelles s’évanouissent et pour que la morale retrouve ses bases dans la réalité » (TrE, p. 86). En 1943, à la fin de L’Être et le Néant, Sartre avait annoncé que son prochain ouvrage porterait sur l’éthique. Cependant, Sartre n’a jamais publié de philosophie morale 1. Alain Renaut tente d’expliquer ce fait par une déficience interne de la philosophie morale de Sartre, par un échec théorique, et il explique cet échec par le fait que Sartre n’est jamais parvenu à « concevoir à quel point les deux moments qui définissent l’humanisme authentique (affirmer que le propre de l’homme est le néant, mais aussi soutenir qu’il peut viser l’universel) sont inséparables » 2. Cependant une analyse minutieuse du concept sartrien de la valeur 3 peut montrer que celui-ci implique justement la thèse que l’homme non seulement est susceptible de viser l’universel, mais encore ne cesse de le faire. Dans cet article, nous voulons examiner si cette constatation vaut également dans le domaine de la morale. Nous espérons ainsi montrer que l’humanisme de Sartre ne se limite pas à des déclarations et à un engagement politique sérieux et courageux (ce qui n’est pas à mépriser), mais trouve également un fondement argumenté dans sa philosophie pratique. Ce faisant, nous mettrons aussi en lumière les points de sa pensée morale qui demeurent problématiques et discutables. 2 Dans cette entreprise, il faut tenir compte du fait que nous n’avons pas affaire chez Sartre à une, mais à trois morales, qui divergent sur des points importants. C’est Sartre lui-même qui distingue, dans ses entretiens avec André Gorz et Jean Pouillon 4, mais aussi dans un entretien accordé à Michel Sicard (1977-1978) 5, trois phases dans le développement de sa philosophie morale. 3 La première est la phase de L’Être et le Néant, de L’existentialisme est un humanisme (1946) et des Cahiers pour une morale (1947-1948). Tout ceci constitue ce que Sartre appellera La morale de Sartre . Une reconstruction Le Portique, 16 | 2005 1 plus tard « La Morale » ou aussi, peut-être en parodiant Aristote, « La grande morale ». Mais, bien plus que ces dénominations, c’est la manière que Sartre a de qualifier, ou plutôt de disqualifier, sa première philosophie morale qui est intéressante. Il la caractérise en effet comme une morale mystifiée, ou idéaliste 6. Nous examinerons pourquoi Sartre porte sur sa première philosophie pratique un jugement si sévère et nous chercherons à déterminer si ce jugement est fondé. 4 Sartre qualifie la deuxième phase de sa pensée morale de « réalisme » et il la situe, dans son entretien avec Michel Sicard, dans les années 1963-1964. Il préparait alors les conférences qu’il voulait présenter dans des universités américaines, réunies sous le titre de Recherches pour une morale. De ces conférences, qui n’ont pas été tenues en raison de la guerre du Viêt-Nam, on conserve environ 600 pages manuscrites que Michel Contat espère pouvoir bientôt publier. De la production sartrienne de cette époque, le lecteur n’a donc aujourd’hui à sa disposition que la conférence « Détermination et Liberté » et la Critique de la raison dialectique. Du fait que Sartre a publié cette dernière œuvre lui-même, elle est une des sources les plus importantes pour l’étude de sa pensée à ce moment-là. 5 La troisième phase est marquée par ce que Sartre élaborait en 1975 sous le titre de travail « Pouvoir et liberté » (1975). Mais, pour accéder à cette phase de la pensée de Sartre, nous n’avons à notre disposition que les entretiens, du reste contestés, avec Benny Lévy 7 et l’entretien avec Michel Sicard. Malheureusement, ces sources ne nous donnent qu’une image incomplète et peu fiable de ce qu’étaient en matière de philosophie morale les conceptions de Sartre peu avant sa mort. Nous ne traiterons donc pas de cette dernière phase et nous nous concentrerons sur les deux premières. 6 Sartre développe sa réflexion éthique sur trois niveaux : le niveau de la morale interne, celui de la morale externe, et celui de la morale historique. Au premier niveau, il s’agit uniquement des conditions à remplir pour que, dans la sphère de l’immanence, de la simple attitude, la vie volontaire de l’individu soit moralement bonne. Sur le plan de la morale externe, il s’agit des conditions de validité des normes extérieures, définissant la vie en société des individus. La morale historique, elle, se place dans le domaine de la validité morale du processus historique. Quoique différemment accentués et articulés, les trois niveaux sont présents à toutes les étapes du développement de la philosophie morale de Sartre. Mais on peut dire qu’il y a un déplacement de l’accent et de l’importance : tandis que dans l’Être et le Néant l’accent est mis sur la morale interne, les Cahiers sont déjà marqués par un déplacement vers le niveau social et historique. Ce dernier se trouve finalement au centre des réflexions de Sartre dans la Critique. Ainsi, comme nous le verrons plus tard, les Cahiers et Saint Genet forment une sorte de pont de transition entre les deux. 7 Comme cela ressort des « Perspectives morales » placées à la fin de L’Être et le Néant, Sartre est conscient du fait que, d’une part, on ne peut formuler une philosophie morale sans tenir compte des données ontologiques, mais que, d’autre part, l’ontologie ne suffit pas à elle seule à fonder des normes morales 8. Par conséquent, il faut qu’interviennent deux étapes à chaque niveau de la réflexion morale sartrienne : une première étape qui sert à définir la structure ontologique du champ d’action et une seconde qui, en s’interrogeant sur les conditions de validité dans ce champ d’action, passe à la réflexion axiologique proprement dite. La phase de L’Être et le Néant La morale de Sartre . Une reconstruction Le Portique, 16 | 2005 2 8 Commençons par l’analyse de la première philosophie morale de Sartre. Comment décrit-il la structure de l’action humaine et quelles sont les normes qu’il veut préconiser pour cette action ? La thèse fondamentale de l’ontologie sartrienne est que l’homme est libre, ou plus exactement, en termes sartriens, qu’il est condamné à être libre. Cela signifie d’abord que l’homme projette librement les valeurs qui déterminent son action, que ces valeurs ne lui sont pas données par une puissance extérieure, à l’instar de commandements divins, mais qu’il est lui-même leur seul et dernier fondement. Cela signifie ensuite que l’homme peut réviser à volonté ses valeurs, voire effectuer le célèbre renversement des valeurs (voir EN, p. 560). Et cela signifie enfin que, devenu conscient de sa liberté et de la responsabilité qui y est attachée, l’homme est angoissé devant cette responsabilité. C’est dans l’angoisse que l’homme comprend que les valeurs qu’il a projetées prétendent à la validité absolue tout en étant ontologiquement relatives, puisqu’elles dépendent de sa liberté. 9 La contradiction entre l’exigence d’absoluité et la relativité ontologique des valeurs soulève le problème de la possibilité d’un projet privilégié qui échappe à cette contradiction. Avec cette question, nous avons déjà quitté le domaine de l’ontologie et sommes entrés dans celui de la morale. Il ne s’agit plus ici de chercher des lois ontologiques selon lesquelles l’homme est nécessairement projet de soi-même, mais de déterminer le projet absolument valide, ontologiquement toujours contingent, qui évite les implications négatives de ces lois. Quel est ce projet ? 10 Dans L’Être et le Néant, Sartre exprime prudemment sa conception, sous forme de question : « Est-il possible, en particulier, qu’elle [la liberté] se prenne elle-même pour valeur en tant que source de toute valeur... ? » (EN, p. 722). Selon Sartre, l’homme doit donc comprendre sa liberté comme valeur et essayer de la réaliser en tant que telle. Mais y a-t-il vraiment un sens à se fixer la liberté comme but, alors que l’ontologie sartrienne montre qu’on est condamné à être libre ? Mais ce n’est pas, à notre avis, ce que Sartre a voulu dire lorsqu’il a exigé de comprendre la liberté comme but. Il ne s’agit pas de réaliser la liberté, mais d’adopter une nouvelle attitude de l’esprit, un rapport nouveau à une liberté qui a toujours existé. 11 Pour comprendre en quoi consiste uploads/Philosophie/leportique-737.pdf
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- Publié le Jul 16, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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