Bulletin Hispanique Analyse argumentative d'une fable de La Fontaine MME Marion
Bulletin Hispanique Analyse argumentative d'une fable de La Fontaine MME Marion CAREL Citer ce document / Cite this document : CAREL Marion. Analyse argumentative d'une fable de La Fontaine. In: Bulletin Hispanique, tome 107, n°1, 2005. pp. 119-137; doi : 10.3406/hispa.2005.5223 http://www.persee.fr/doc/hispa_0007-4640_2005_num_107_1_5223 Document généré le 15/06/2016 Abstract This paper studies the linguistic links between the moral of « Le lion et le rat » and the story La Fontaine tells. They are compared to the linguistic links between the proverbs and the discourses they comment. Résumé A partir de l'analyse de la morale de la fable « Le lion et le rat », passée en proverbe, cet article cherche à déterminer les rapports linguistiques que les morales entretiennent avec les histoires qu'elles accompagnent. Ces rapports sont en particulier comparés à ceux que les proverbes entretiennent avec les énoncés qu'ils commentent. Resumen A partir del análisis de la moraleja de la fábula « Le lion et le rat », convertida en proverbio, nuestro artículo intenta determinar la relación lingüística que mantienen las moralejas con las historias a las que acompañan. Dicha relación es comparada, en particular, con la que el proverbio mantiene con los enunciados que comenta. Analyse argumentative d'une fable de La Fontaine 1 Marión Carel EHESS (École des Hautes Études en Sciences Sociales), Paris A partir de l'analyse de la morale de la fable « Le lion et le rat », passée en proverbe, cet article cherche à déterminer les rapports linguistiques que les morales entretiennent avec les histoires qu'elles accompagnent. Ces rapports sont en particulier comparés à ceux que les proverbes entretiennent avec les énoncés qu'ils commentent. A partir del análisis de la moraleja de la fábula « Le lion et le rat », convertida en proverbio, nuestro artículo intenta determinar la relación lingüística que mantienen las moralejas con las historias a las que acompañan. Dicha relación es comparada, en particular, con la que el proverbio mantiene con los enunciados que comenta. This paper studies the linguistic links between the moral of« Le lion et le rat » and the story La Fontaine tells. They are compared to the linguistic links between the proverbs and the discourses they comment. Mots-clés : Argumentation - Analyse de texte - Proverbe - Commentaire - Fable. 1. Je remercie Erwan Dianteill pour sa lecture de ce texte et pour ses suggestions, notamment en ce qui concerne les rapprochements avec Mauss. B. Ht., n° 1 - juin 2005 - p. 119 à 137. 119 BULLETIN HISPANIQUE C'EST à la fable « le Lion et le Rat » que je m'intéresserai. Elle partage avec « la Colombe et la Fourmi » une introduction de quatre vers, dont les deux premiers constituent la morale commune et les deux suivants une sorte d'annonce explicitant le statut de ce qui suit : II faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde : On a souvent besoin d'un plus petit que soi. De cette vérité deux Fables feront foi, Tant la chose en preuves abonde. Quant à ce qui suit, la Fable elle-même, la voici : Entre les pattes d'un Lion Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie. Le Roi des animaux, en cette occasion, Montra ce qu'il était, et lui donna la vie. Ce bienfait ne fut pas perdu. Quelqu'un aurait-il jamais cru Qu'un Lion d'un Rat eût affaire ? Cependant il avint qu'au sortir des forêts Ce Lion fut pris dans des rets Dont ses rugissements ne le purent défaire. Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage, Patience et longueur de temps Font plus que force ni que rage. Ces deux derniers vers constituent une sorte de seconde morale, qui concerne uniquement « le Lion et le Rat », et que je laisserai de côté. Mon étude portera exclusivement sur la première morale, celle relative aux petits, qui est commune aux deux Fables. Plus précisément, je ferai une étude argumentative de la morale. C'est-à- dire que je chercherai les argumentations évoquées par la morale et la manière dont elles sont exactement exprimées. J'emploie ici le terme « argumentation » de manière quelque peu déviante car j'englobe ainsi deux sortes de discours. D'une part, ce que j'appelle les discours normatifs, c'est-à-dire ceux qui comportent des particules comme « donc », « parce que », ou « si » — et qui eux sont classiquement qualifiés d'« argumentations ». Mais j'englobe aussi ce que j'appelle les discours transgressifs, et qui eux contiennent des particules comme « pourtant », « même si », ou encore « bien que ». Ces derniers sont généralement vus 120 ANALYSE ARGUMENTATIVE D UNE FABLE DE LA FONTAINE comme plus complexes que les discours en « donc » et sont qualifiés de « concessions ». Pour ma part, il me semble au contraire que les discours en « pourtant » et les discours en « donc » ont des structures parallèles, et c'est pourquoi je parle dans les deux cas d'« argumentation ». Je me propose de montrer que la morale : II faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde : On a souvent besoin d'un plus petit que soi contient au moins trois argumentations, au sens large que je viens de donner à ce terme : (Al) Même si quelqu'un est plus petit, on a intérêt à l'obliger (A2) Même si quelqu'un est plus petit, on peut en avoir besoin (A3) Si on ne reçoit pas l'aide d'un plus petit, on peut être en mauvaise posture Mon exposé aura trois parties, respectivement consacrées à l'étude des moyens linguistiques utilisés par La Fontaine dans la morale pour exprimer chacune des trois argumentations précédentes. Une étude complète se devrait d'analyser de plus les rapports que la morale entretient avec le corps de la fable et les rapports qu'elle entretient avec la forme proverbiale « on a toujours besoin d'un plus petit que soi » - dans laquelle « toujours » a pris la place de « souvent ». Sur ces deux points, je me contenterai de faire ici ou là des remarques allusives. 1. (Al) EST ÉVOQUÉE GRÂCE À L'EXPRESSION OBLIGER TOUT LE MONDE ET AU LIEN DISCURSIF QU'ENTRETIENNENT LES DEUX VERS DE LA MORALE Je rappelle la première argumentation : (Al) Même si quelqu'un est plus petit, on a intérêt à l'obliger Nous allons voir que deux mécanismes permettent de construire cette argumentation : l'expression « tout le monde », en complément du verbe « obliger » dans le premier vers ; et par ailleurs, le fait que le deuxième vers est donné comme une explication du premier. a) Le rôle de "tout le inonde". Il a été souvent remarqué, par exemple par Fauconnier, qu'un rapport existe entre expressions concessives et expressions universelles. 121 BULLETIN HISPANIQUE II en va par exemple ainsi avec les emplois de le moindre du type de celui que le Chêne adresse au Roseau : Le moindre vent qui d'aventure / fait rider la face de l'eau / vous oblige à baisser la tête Ce passage en effet évoque d'une part une concession, de la forme : Même si un vent est faible, il vous oblige à baisser la tête Mais il évoque aussi une généralité : Tous les vents vous obligent à baisser la tête Plus précisément, ce passage déclare que les vents qui sont faibles font baisser la tête et cela suffit pour communiquer que tous les vents font baisser la tête. Fauconnier (1975) généralisait cela en disant qu'une des expressions de la quantification universelle d'un prédicat, consiste précisément à déclarer ce prédicat valable des objets auxquels il semble s'appliquer le moins. Fauconnier ramenait ainsi la description de l'expression concessive « le moindre » à celle des universelles. A la suite de Fauconnier, j'accepterai qu'il y a une parenté entre certaines concessions et certaines universelles mais j'aurai le cheminement inverse du sien. Au lieu de décrire la transgression contenue dans « le moindre » en recourant à l'universelle, je décrirai l'universelle en « tout le monde » en disant qu'elle signale une argumentation transgressive. Autrement dit, j'analyserai la phrase : II faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde comme pouvant être explicitée par II faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde, même si il s'agit de quelqu'un de P L'occurrence de « tout le monde » dans le premier vers de La Fontaine aura ainsi pour fonction d'indiquer qu'est évoquée une argumentation transgressive de la forme : Même si un individu a telle propriété P, il faut obliger cette personne C'est alors le second vers de la morale qui va spécifier la propriété P malgré laquelle il faut tout de même obliger la personne en question. 122 ANALYSE ARGUMENTATIVE D'UNE FABLE DE LA FONTAINE b) Le rôle du second vers. On a souvent besoin d'un plus petit que soi Ce second vers a un double effet sur l'interprétation à donner au premier. D'abord, je l'annonçais, il précise le « tout le monde » : les personnes qu'il faut « quand même » obliger sont « les uploads/Philosophie/ analyse-argumentative-d-une-fable-de-la-fontaine.pdf
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- Publié le Sep 22, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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