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Accueil » NOTES DE LECTURE – François Châtelet, La philosophie des professeurs, Grasset, 1970 NOTES DE LECTURE – François Châtelet, La philosophie des professeurs, Grasset, 1970 Publié le 15/06/2019 à 11:39 Par J. CORREIA MENU Blanquer, ministre de l'Education, a récemment créé une vive émotion parmi les enseignants de phi- losophie en annonçant coup sur coup et la suppression de certaines notions clés du programme de philosophie et la création d'une discipline fusionnant lettres, histoire et philosophie sous le terme d'Humanités. La philosophie subsiste en tant que discipline à part mais voit son nombre d'heures restreint à 4h/semaine. A moyen terme, il est à craindre que cette réduction d'une initiation à une discipline spécifique, déjà limitée aux classes de premières et de terminales dans l'enseignement général, conduise à une chute du nombre de postulants aux facultés de philosophie, et à long terme à une disparition de cet enseignement. La suppression de notions quant à elle inquiète en ce qu'on supprime des notions qui soulevaient la problématique de la vie en société (le travail, l'incons- cient...) au profit de vieilleries spiritualistes comme l'idée de Dieu1. Ce ne sont rien moins que Marx, Freud et Nietzsche, les philosophes du soupçon, que l'on retire du programme. Un acte qui ne manque pas de cohérence avec le repli autoritaire du gouvernement actuel, tentant de légiférer, am- plifier le contrôle gouvernemental sur les réseaux sociaux dans le but allégué de contrer le pouvoir des fake news, alors que ce gouvernement en est le principal pourvoyeur, et à un rythme quasi quo- tidien (Castaner et l'attaque de l’Hôpital de la Salpêtrière, Marlène Schiappa et ses menaces de tidien (Castaner et l'attaque de l’Hôpital de la Salpêtrière, Marlène Schiappa et ses menaces de mort, Castaner et le rôle de la Police sous l'Occupation nazie, minimisation systématique et à peine crédible du nombre de manifestants, déni des violences policières, affaire Benalla, etc.). Il ne fau- drait pas qu'on les soupçonne de... Tout cela dans un contexte mondial plutôt anxiogène où certains pays comme le Japon et le Brésil annoncent vouloir couper les vivres aux facultés de philosophie et de sociologie, sous prétexte de réserver ces crédits à des facultés plus spécialisées, plus immédiatement utiles à la société. Il paraît donc légitime de s'inquiéter des menaces qui pèsent sur l'enseignement de cette discipline. Pourtant, en discutant de la suppression de la notion de travail, je me suis vu rétorqué : à quoi bon ? À quoi bon vouloir conserver telle ou telle notion plutôt qu'une autre ? N'est-ce pas tout l'enseigne- ment de la philosophie qu'il faudrait refonder ? N'est-ce pas même le principe d'un examen de fin d'année qui est en question ? Tant que les élèves ne liront les textes que dans l'optique d'avoir une bonne note au Bac, comment pourraient-ils être amenés à philosopher réellement ? La philosophie se veut une discipline non intéressée et on ne demande aux élèves qu'une seule chose : viser une bonne note au Bac. Il me revint alors en mémoire un vieil ouvrage de François Châtelet, La philosophie des professeurs (1970), qui revient sur les grandes notions qui forment le programme de philosophie en terminale. Il me parut opportun de relire ce livre et voir les réponses qu'il pouvait apporter sur cette question des notions. C'est début des années 2000, peu après avoir quitté la faculté de philosophie, que je tombe un peu par hasard sur cet ouvrage. Sa lecture vint confirmer plusieurs de mes ressentis sur l'enseignement de cette discipline et me conforta dans ma décision d'y renoncer. François Châtelet, qui aura consacré sa vie entière à la philosophie, fait ici une critique sans concession de l'enseignement tel qu'il est organisé en France. Loin d'une critique abstraite, le livre de Châtelet se veut être une enquête sur ce que représente la philosophie en partant de l'étude concrète, de la dissection de ses programmes et de ses textes de référence. Selon son propos, il n'est qu'une étude préliminaire qui devrait être complétée par une véritable étude sociologique de la question. Un appel à une sociologie de la philosophie en quelque sorte. Dans des termes bourdieusien, on pourrait parler d'une étude du champ philosophique, de son fonctionnement, de sa signification sociale. Ce à quoi participent d'ailleurs certains sociologues2 mais qui n'a pas abouti, à ma connaissance, à un ouvrage de synthèse qui ferait autorité. Châtelet s'appuie donc sur le programme officiel des cours de philosophie – il remonte pour cela jusqu'au début du XXème siècle – pour étayer son argumentation. On a alors sous nos yeux tout un héritage, qui remonte à Napoléon (l'organisation en 4 parties) et fait une large place à quelques fi- gures mineures de la philosophie française, probablement connues des seuls historiens de la philo- sophie, comme Victor Cousin, Jules Lachelier, Jules Lagneau, Émile Boutroux et Alain à qui on a pourtant confier la charge d'élaborer les modalités d'enseignement de la philosophie. C'est donc là tout un héritage que la philosophie porte dans son programme. Ce que va montrer cet essai est que cet héritage, en réalité, porte en son sein des valeurs qui ont Ce que va montrer cet essai est que cet héritage, en réalité, porte en son sein des valeurs qui ont pu évoluer avec le temps mais conservent une logique propre. Ce que Châtelet appellera la P.S.U., la Philosophie Scolaire et Universitaire, transmet en effet cer- taines valeurs de l'idéologie dominante par le biais des Notions inscrites au programme. CHAPITRE I : le Sujet Première notion : JE. Il s'agit là du lieu commun premier de la philosophie. Tout est organisé comme si le Je était le point de départ de tout. Du Moi-je-conscience-sujet-individu-personne, on aborde la raison, et notamment la raison réflexive, celle qui prend conscience de sa conscience... Par un prisme psychologisant, le cours de philosophie amène l'élève à comprendre qu'il est d'abord une conscience. C'est ce que l'auteur appelle la psychophilosophie, promue par la Philosophie Scolaire et Universi- taire. On y perçoit l'expression d' « une idéologie, qu'elle digère et supporte, qu'elle véhicule ». Partir du sujet n'a en effet rien d'anodin. Pour une critique philosophique de toute pensée qui prend comme point de départ l'individu voire notamment l'excellent essai de Miguel Benasayag, Le mythe de l'individu (1998) qui démontre ses contradictions théoriques et, en outre, recontextualise cette pétition de principe dans l'histoire en en montrant le lien avec l'essor du capitalisme. Pour convaincre l'élève de l'importance de cette conscience réflexive, la philosophie scolaire et uni- versitaire institue artificiellement son antithèse : la pensée non philosophique ou vulgaire. Cet homme commun que l'on réduit à la généralité vulgaire est une construction idéale et arbitraire. La philosophie scolaire et universitaire a besoin de ce médiocre objet contre quoi elle va diriger sa critique. L'homme commun doit nécessairement avoir une pensée vulgaire, partiale, subjective afin que la philosophie apporte à l'élève une pensée supérieure, lucide, objective, impartiale, car réfléchie. On construit ainsi une image de l'apprenti philosophe, comme presque adulte : « une progression abstraite qui conduit de la conscience naturelle au Moi-Je volontaire et organisé, à la personne dé- sormais capable de vouloir le Vrai, le Bien et le Beau ». On lui attribue un « statut péremptoire qui le fait maître de son discours, libre, comme sujet... ». Il y a là quelque chose de très rassurant, qui vient apaiser les angoisses qui rongent l'adolescent : tous les malheurs du monde sont ainsi amortis, abolis car perçus comme étant la résultante d'une pensée vulgaire : « Les pratiques contradictoires et meurtrières qui déchirent les sociétés sont dé- sormais amorties, abolies : elles se fondent dans le creuset facile désigné comme 'pensée vulgaire' ». Très opportunément, la philosophie vient former le jugement du jeune adulte et les problèmes du monde seront bien vite résolus, car lui ne reproduira pas les erreurs de la pensée vulgaire... Châtelet n'invente rien. C'est déjà ce sentiment de supériorité dispensé dans les cours de philoso- phie que fustigeait le philosophe Paul Nizan dans son célèbre ouvrage : « On rencontre cependant tous ces gens, tous ces jeunes gens qui croient que tous les travaux for- mellement philosophiques amènent un profit à l'espèce humaine, parce qu'on leur a persuadé qu'il en va ainsi de toutes les tâches spirituelles. Avoir de bonnes intentions, c'est d'autre part, et pour parler gros, vouloir précisément ce profit. On a appris à tous ces gens depuis la classe de septième, depuis l'école laïque que la plus haute valeur est l'esprit et qu'il mène le monde depuis l'éloignement de Dieu. À seize ans, qui donc n'a pas ces croyances de séminaristes ? J'eus par exemple ces pen- sées. Sous prétexte que je lisais tard des livres en comprenant plus facilement qu'un ajusteur n'eût fait le divertissement de Pascal et le règne des Volontés Raisonnables, je ne me prenais pas pour un homme anonyme, je croyais docilement que l'ouvrier dans la rue, le paysan dans sa ferme me devaient de la reconnaissance puisque je me consacrais d'une manière noble, pure et désintéres- sée à uploads/Philosophie/ notes-de-lecture-francois-chatelet-la-philosophie-des-professeurs-grasset-1970-philo-analysis.pdf

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