L'élaboration d'une notion comme celle de « rapport au langage » oblige à con-

L'élaboration d'une notion comme celle de « rapport au langage » oblige à con- voquer des univers théoriques. Tel n'est pas le cas lorsqu'il s'agit simplement de dé- signer un phénomène sans que celui-ci fasse l'objet d'un travail de définition parti- culier (1). L'objectif de cet article est, non pas d'utiliser la notion comme permettant, de façon plus ou moins ad hoc, des analyses ou des descriptions particulières de productions d'élèves, mais de préciser les conceptions, les fondements théori- ques, les enjeux qui donnent sens à cette notion. Il s'agit ainsi d'éviter qu'elle appa- raisse comme un équivalent paradigmatique de termes comme position ou posture énonciative, voire de pratiques langagières. La perspective adoptée est celle des travaux d'ESCOL qui travaillent la notion de « rapport à » ; en effet, même référée au langage, et pas seulement au savoir, l'expression « rapport à » ne perd pas les présupposés et les conceptions qui l'ont construite et qui sont partie prenante d'un certain nombre de ruptures épistémologiques. C'est encore de « rapport au lan- gage en général » dont il sera question et non pas de rapport à l'écrit, à la lecture, à l'oral... Nous (2) faisons, en effet, l'hypothèse fondée sur les spécificités et proprié- tés du système symbolique qu'est le langage ainsi que sur son rôle social, subjectif et cognitif, d'un rapport au langage en général. Il s'agit encore, par l'intermédiaire d'une telle notion, d'essayer de prendre en considération l'intervention du langage dans l'articulation des trois niveaux de contexte sur lesquels se joue la façon dont les élèves construisent les situations et les objets d'apprentissage, que ces objets soient ou non spécifiquement langagiers ou linguistiques : le niveau du macro-con- texte socio-culturel, celui du méso-contexte institutionnel et celui du micro-con- texte interactif. Si le langage intervient à ces différents niveaux, les travaux de re- cherche, comme le remarque Schubauer-Leoni (97), les analysent séparément, or, c'est à la compréhension des interactions entre ces trois niveaux dans leurs effets sur les apprentissages que la notion de « rapport au langage », comme celle de rap- 41 PRATIQUES N° 113/114, Juin 2002 DU RAPPORT AU LANGAGE : QUESTION D'APPRENTISSAGES DIFFÉRENCIÉS OU DE DIDACTIQUE ? Élisabeth BAUTIER, Équipe ESCOL, Université de Paris 8 (1) Ce qui était le cas dans les références au “ rapport au langage ” que l'on peut trouver dans diffé- rents écrits de l'équipe ESCOL. (2) Ce texte est écrit avec la collaboration de Jean-Yves Rochex et en référence aux travaux con- duits dans le cadre de l'équipe, ce qui explique l'écriture à la première personne du pluriel, cer- taines références ne concernent que mes propres travaux, le texte est alors écrit en première personne. port au savoir, peut être selon nous utile ; c'est au moins dans cette perspective que nous tentons de l'élaborer. Cette option ne décide en rien des relations, qui sont encore à travailler, entre ce rapport au langage et les mises en œuvre parti- culières de celui-ci. Cependant, si l'on prend au sérieux le fait que pour les sujets que sont les élèves, toute situation scolaire d'apprentissage est une situation qui mobilise simultanément (?) les trois dimensions contextuelles ci-dessus, que cel- les-ci à leur tour sollicitent pour le sujet une activité interprétative et un position- nement personnel qui vont entraîner des activités cognitives spécifiques, et que cette activité interprétative se produit dans les interactions entre les registres subjectif, social, cognitif toujours à l'œuvre dans le langage, alors, il est pertinent de travailler le rapport au langage des élèves. I. AU DÉPART : LA QUESTION DE LA DIFFÉRENCIATION DES APPRENTISSAGES ET DES INÉGALITÉS SOCIALES À L'ÉCOLE L'élaboration, ici théorique, du « rapport à » ne doit pas faire oublier qu'à côté des choix épistémologiques, c'est en grande partie parce que les cadres théoriques et d'analyse déjà construits ne permettaient pas de rendre raison des données re- cueillies, pour nous des productions d'élèves, que nous avons été conduits à pen- ser et questionner autrement les phénomènes observés. Les nouvelles élabora- tions théoriques sont étroitement liées aux données empiriques et donc aux ques- tions de problématique de recherche : la différenciation sociale à l'école, ou précé- demment en ce qui me concerne, la différenciation linguistique. Pour cette dernière question, l'aporie théorique n'est pas récente : ainsi, quand dans les années 75, j'avais comme objectif de rendre compte des différences entre les écrits narratifs et argumentatifs d'élèves en réussite et de milieu social favorisé et ceux d'élèves en difficulté scolaire et de milieu populaire (3), les modèles existants de description des écrits d'élèves, fondés sur l'analyse quantitative des formes syntaxiques, la complexité et la longueur des phrases, mais également sur les modèles textuels émergents du moment, ceux de Van Dijk, en particulier, ne permettaient pas d'at- teindre ce but. Bien plus, les traitements quantitatifs ne laissaient pas apparaître de différences significatives (ce qui ne veut pas dire que tel serait le cas aujourd'hui). Alors même qu'une différence apparaissait fondamentale : dans la « même » situa- tion, avec les mêmes énoncés de consigne, les élèves ne faisaient pas la même chose avec le langage, ne disaient pas les mêmes choses, n'existaient pas dans leurs textes de la même manière. C'est ce constat qui m'avait amenée à parler de pratiques langagières différentes, sans doute ce même constat me conduirait au- jourd'hui à relier ces pratiques différenciées à un rapport au langage, lui-même dif- férent, les unes me semblant dépendre de l'autre. Une recherche ayant pour objet les difficultés d'apprentis en CFA agricoles (Bautier 89) me conduisait également à sortir d'un cadre mono disciplinaire, sociolinguistique ou psycholinguistique, pour tenter de tenir ensemble ces deux dimensions des recherches sur le langage et de rendre ainsi raison des productions linguistiques et cognitives en relation avec ce que j'appelais à l'époque identité sociale et socialisation. Cette démarche de complexification des cadres de recherche trouve aussi son origine dans les insuffisances des travaux statistiques qui ne mettent en évidence que des corrélations entre résultats des élèves et origines sociales, lesquelles restent alors à interpréter. Ces travaux ne permettent pas d'éclairer ceux des pro- cessus qui sont situés dans l'interaction entre l'élève et l'école et à propos des- quels on peut, sans trop de risques, faire l'hypothèse qu'ils ont à voir avec les diffi- cultés scolaires des élèves. Une autre raison réside dans la façon même de consi- 42 (3) É. Bautier, “ Pour un modèle d’analyse du discours écrit scolaire ”, Thèse de 3 e cycle de linguisti- que, université de Paris V, 1978. dérer la question de la difficulté et de l'échec scolaires : comme la résultante d'un certain nombre de manques culturels, linguistiques, voire familiaux, subsumés sous l'expression d'handicap socio-culturel. Non seulement, cette conception exempte l'école et les enseignants de penser leur propre rôle dans les difficultés des élèves, mais elle ne permet pas d'analyser « positivement » (4) ce qui peut être éléments de difficultés, c'est-à-dire de chercher « à comprendre ce qui “se passe” à l'école pour un élève, quelle activité, langagière, il met en œuvre, quels sens ont pour lui la situation scolaire, de langage en particulier, les savoirs, ap- prendre, l'expérience scolaire elle-même ». Le sens qu'a pour les élèves, la con- frontation à des pratiques et des objets langagiers n'est pas davantage pris en considération par les approches macro ou micro-sociologiques qui appréhendent la scolarisation plus comme champ où se révèlent, ou se construisent, des logi- ques et des processus sociaux d'ordre général, que comme espace-temps d'acti- vités spécifiques, liées à des objets et des contraintes propres, et dans lesquelles les logiques et processus sociaux ne font pas que se révéler et s'incarner, mais se spécifient, voire se transforment. Ainsi, même si on trouve chez Bourdieu et Pas- seron (La Reproduction, 1970), la notion de rapport au langage, celle-ci désigne un exemple des différences culturelles de classe utilisées par le système scolaire pour assurer la domination d'un groupe social. Mais cette désignation reste très générale : « (le système scolaire) exige uniformément de tous ceux qu'il accueille qu'ils aient ce qu'il ne donne pas, c'est-à-dire le rapport au langage et à la culture que produit un mode d'inculcation particulier ». Une telle perspective qui n'a d'ailleurs pas pour objet de comprendre comment les sujets sont, en tant que tels, confrontés à cette situation et y réagissent, ne peut ni tenir compte d'une théorie du sujet, ni l'élaborer. Ce faisant, elle ne peut prendre en considération la variété et la complexité des situations des sujets, d'une part, des sujets en situations lan- gagières toujours particulières, d'autre part. En revanche, si l'on veut comprendre les difficultés des élèves (et non le fonctionnement du système scolaire), on ne peut que retenir la nécessité, évoquée par Delcambre et Reuter (2000), de lier étroitement les analyses du rapport au langage à celle des tâches qui ont suscité les données langagières soumises aux analyses. La notion de « rapport au savoir », comme au langage, vient donc s'inscrire en rupture avec des conceptions dominantes situant les causes de l'échec scolaires dans les seules uploads/Philosophie/ du-rapport-au-langage-question-d-x27-apprentissages-differencies-ou-de-didactique.pdf

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