Tiers-Monde Aperçu critique des théories du développement en Amérique latine Ca

Tiers-Monde Aperçu critique des théories du développement en Amérique latine Carlos Ominami Citer ce document / Cite this document : Ominami Carlos. Aperçu critique des théories du développement en Amérique latine. In: Tiers-Monde, tome 20, n°80, 1979. pp. 725-746; doi : 10.3406/tiers.1979.2901 http://www.persee.fr/doc/tiers_0040-7356_1979_num_20_80_2901 Document généré le 24/05/2016 APERÇU CRITIQUE DES THÉORIES DU DÉVELOPPEMENT EN AMÉRIQUE LATINE par Carlos Ominami* Décidément, la problématique globale relative au Tiers Monde semble avoir gagné une grande bataille. De nombreux organismes, nationaux et internationaux, gouvernants, réunions de gouvernants, etc., ont fini par reconnaître l'urgence du problème. Nous ne nous proposons pas d'insister ici sur l'efficacité ou l'inefficacité des actions concrètes qui ont été entreprises dans ce sens. En effet, on a déjà beaucoup dit et écrit sur les « programmes d'aide au développement », le « dialogue Nord-Sud » ou plus récemment sur les faibles résultats de la réunion de la cnuced à Manille. Il s'agira ici d'amorcer une discussion sous un aspect, si l'on veut, particulier du problème, à savoir la conceptualisation théorique du phénomène à partir d'une analyse critique des principales formulations élaborées dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler « la théorie du développement ». Pour cela, nous ferons référence à une région géographique précise qui présente certains avantages pour ce genre de démarche. En effet, en termes concrets, l'Amérique latine, dans son ensemble, présente un niveau de développement qui la situe sur un plan ambigu par rapport aux pays capitalistes avancés et à la plupart des nations asiatiques ou africaines. L'image de l'Amérique latine comme étant la « classe moyenne internationale » illustre bien cette situation. En termes théoriques, on le sait, la région a inspiré l'élaboration de quelques-unes des principales lignes de force des interprétations générales du développement et du sous-développement. Sur ce sujet, sont * cepremap (Centre d'Etudes prospectives d'Economie mathématique appliquée à la Planification). Revue Tiers Monde, t. XX, n° 80, Octobre-Décembre 1979 726 CARLOS OMINAMI largement connus les apports d'économistes tels que Raul Prebich ou André-G. Frank. Bien évidemment, en Amérique latine, le nom de ces auteurs est étroitement associé à deux grands courants de la pensée économique. L'un est représenté par la Commission économique pour l'Amérique latine (cepal), l'autre par la théorie de la dépendance. En rappelant brièvement les aspects les plus marquants de la pratique économique concrète de la région, nous essayerons de mettre en évidence les limites théorico-méthodologiques de ces deux courants d'interprétation de la réalité du continent. D'ailleurs le choix d'une présentation historique de l'émergence de ces théories nous permettra de faire ressortir, dans ces conflits et interrelations réciproques avec les courants précédents, deux autres approches, d'importance inégale, qui compléteront ce qui, en toute rigueur, pourrait être appelé « l'impasse théorique actuelle ». DE RAUL PREBICH A L'IMPASSE THÉORIQUE ACTUELLE Les deux grands moments de la pensée économique latino-américaine opposent trois orientations théoriques principales : la théorie évolutionniste, la théorie de la cepal et la théorie de la dépendance. Il s'agit en premier lieu de l'affrontement qui, dans les années 1950, oppose le courant qui soutient la thèse classique de la spécialisation productive selon le principe des avantages comparatifs et celui qui, se fondant sur l'étude de Raul Prebich, met en évidence une tendance séculaire à la détérioration des termes de l'échange. Les hypothèses implicites de l'approche par les avantages comparatifs, intégration économique et sociale totale des unités qui interviennent dans le commerce international, concurrence parfaite, diffusion complète des fruits du progrès technique, homogénéité et relative immobilité des facteurs productifs, indépendance de la fonction de consommation, etc., traduisent, dans la théorie du développement, une conception « évolutionniste » dont on peut retrouver les formalisations principales chez J. Viner, B. F. Hoselitz et W. W. Rostow. Dans cette perspective, la réalité du continent est comprise comme la survivance d'une situation « traditionnaliste » produite par un « retard » dans le processus historique de développement. La libre action des forces du marché permettrait de DEVELOPPEMENT EN AMERIQUE LATINE 727 dépasser ce retard, en faisant en sorte que des pays comme ceux d'Amérique latine atteignent un stade de développement semblable à celui des pays capitalistes plus avancés. A cette conception qui ôte tout statut théorique à la notion de « sous-développement », R. Prebich et les économistes de la cepal opposent l'idée d'une économie internationale partagée entre un centre et une périphérie et dont la base objective serait le système de division internationale du travail (dit) mis en place au xixe siècle. L'inégale répartition des fruits du progrès technique et la détérioration des termes de l'échange qui s'en suit, auraient ainsi engendré un déséquilibre structurel entre les différentes nations, détruisant les prémisses de la théorie classique. Développement et sous-développement sont alors compris comme la résultante simultanée d'un processus unique qui lie structurellement et fonctionnellement cette double réalité qui coexiste à l'intérieur du complexe économique international. La politique de développement suppose dans ces conditions une nouvelle forme d'insertion dans la dit à travers un processus accéléré d'industrialisation. D'après la cepal, l'élan industrialisant ne peut venir que d'une modalité de croissance ayant pour base l'élargissement du marché interne. Pour y parvenir, il s'agit donc de définir une stratégie économique capable de surmonter ce que les économistes de la Commission appellent les « insuffisances dynamiques » du développement latino-américain, notamment moderniser l'agriculture et mettre en œuvre une politique des revenus de façon à créer un pôle dynamique de développement national et autosoutenu. I. — Sur les limites de l'approche desarrolliste De telles limites renvoient autant à la cohérence interne des propositions économiques de la cepal qu'aux contraintes qui empêchent la constitution d'un environnement social et politique favorable à leur mise en pratique. 1. L,a rupture non achevée avec l'orthodoxie : un exemple probant A plusieurs points de vue, les thèses de la cepal semblaient représenter une rupture avec l'approche classique. Les principaux axes de la pensée de la cepal conduisent, en effet, 728 CARLOS OMINAMI de façon implicite et parfois explicite, à une critique de la théorie évolutionniste. Dans ce sens, l'élaboration de la cepal constitue un apport majeur à la compréhension de la réalité économique latino-américaine. D'ailleurs, les études qui ont été menées dans le cadre de la cepal, qu'il s'agisse de l'inflation, de la répartition des revenus ou de l'impact de la diffusion de certains modes de consommation, constituent des références de premier ordre pour l'analyse des mécanismes concrets qui régissent le fonctionnement des économies de la région. On constate cependant dans l'univers cépalien une tendance toujours présente à réduire la portée de ces véritables ruptures théoriques. En est un exemple le retournement expérimenté par l'explication de la détérioration des termes de l'échange. D'un accent mis sur les différences de salaires, l'analyse s'est orientée vers une explication beaucoup plus ambiguë faisant intervenir les différences de l'élasticité-revenu de la demande des produits industriels et des produits primaires1. Personne mieux que W. Baer n'a exprimé cette ambiguïté dont il est question ici : « La théorie de la détérioration des termes de l'échange ne présente pas un défi à la théorie classique du commerce international... Dans n'importe quelle période donnée, tous les pays participants bénéficieront du commerce. Néanmoins, les bénéfices relatifs qui arrivent au pays de la périphérie dans le temps t-\-i pourraient être moindres que ceux du temps / »2. Cette première remarque renvoie à une seconde que, génériquement, nous pourrions désigner comme : 2. U abstraction du caractère capitaliste de Г économie mondiale Sans référence à la nature capitaliste et plus encore impérialiste des pôles dominants de l'économie mondiale, la conceptualisation centre- périphérie se dilue dans une description qui interdit toute explication du développement concret de cette économie. En ne tenant pas compte du type de rapports qui détermine et reproduit ce clivage au niveau international, on a donc tendance à banaliser un phénomène tout à fait crucial. 1. R. Prebich, El desarrollo de America Latina y algunos de sus principales problemas, et : International trade and payments in an era of coexistence commercial policy in the underdeveloped countries, aer, mai 1959. 2. W. Baer, La economia de Prebich y la cepal, Trimestre Economico, janvier-mars 1963, pp. 159-160, dans G. Guzman, El desarrollo latino-americano y la СЕРЛЬ, Barcelona, Editorial Planeta, 1976. (C'est nous qui soulignons.) DEVELOPPEMENT EN AMERIQUE LATINE 729 De fait, il apparaît tout simplement comme le produit de la loi atemporelle du développement inégal. Dans la conception de la cepal, les rapports des économies de la région avec les pays développés sont conceptualisés en termes de « dépendance externe ». Cette condition tend à s'épuiser dans les déséquilibres propres au commerce extérieur, mesurables à travers la balance des paiements. Il n'y a pas place, dans cette approche, à une théorie sur l'ensemble d'effets internationaux qui, en s'articulant de façon précise sur les conditions nationales, définissent le cadre général de la régulation économique dans une formation donnée. Nul besoin d'une grande démonstration pour affirmer que l'économie internationale impose des contraintes aux formes de gestion de la monnaie et du crédit, à la concentration et centralisation du capital ou l'intervention de l'Etat3, ce qui, uploads/Philosophie/ apercu-critique-des-theories-du-developpement-en-amerique-latine-carlos-ominami-pdf.pdf

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