SUJET MORAL ET SOI ÉTHIQUE CHEZ FOUCAULT Frédéric Gros Centre Sèvres | « Archiv
SUJET MORAL ET SOI ÉTHIQUE CHEZ FOUCAULT Frédéric Gros Centre Sèvres | « Archives de Philosophie » 2002/2 Tome 65 | pages 229 à 237 ISSN 0003-9632 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2002-2-page-229.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Centre Sèvres. © Centre Sèvres. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Cette difficulté que j’éprouve, tout en reconnaissant volon- tiers la pertinence extrême de ce thème, à parler de la subjectivité, dans ce qu’on a coutume d’appeler le « dernier Foucault » ¢ puisqu’on sait bien que si l’on reconnaît deux Heidegger et deux Wittgenstein, on s’accorde au moins sur trois Foucault ¢, cette difficulté provient d’un rapport, celui même que Foucault entretient avec la philosophie. Car après tout, évoquer la philosophie foucaldienne du sujet, c’est parler de quelque chose qui existe à peine et qui, en tout cas, ne connaît pas de thématisation séparée. Je veux dire par là que des concepts comme ceux de subjectivation, de pratiques de soi, de rapport à soi, sont très peu définis en et pour eux-mêmes, et sont peut-être davantage compris comme grilles de lecture de phénomènes historiques que comme des concepts à explorer de manière parfaitement autonome et dans leur dimension proprement philo- sophique. De même, des notions comme la maîtrise de soi ou le souci de soi ne constituent en aucun cas des pensées foucaldiennes du sujet ou des décisions philosophiques à part entière, mais désignent plutôt des structu- rations historico-éthiques du sujet : la structuration éthique de la Grèce classique pour la maîtrise de soi, et celle de la période hellénistique et romaine pour le souci de soi. On retrouverait du reste le même problème à propos de termes comme ceux de discipline ou de norme, qui renvoient simultanément à une ontologie du pouvoir, à la question de sa nature et à une configuration historique déterminée. Ce que nous voulons simplement dire ici, c’est que les concepts de Foucault sont souvent indissociables de la réalité historique qu’ils préten- dent lire et révéler, et ils y « collent » toujours forcément, de telle sorte qu’on ne sait jamais si les concepts dominants de Foucault sont des concepts purs, des notions articulées dans un ensemble conceptuel relativement autonome, ou s’il n’y a jamais là que des grilles de lecture, des manières de rassembler, ou de configurer un domaine d’archives. Sans doute, tout ce problème que je pose là trouverait, sinon sa résolution, du moins son cadre d’expression plus Archives de Philosophie 65, 2002 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.35.173.236 - 24/04/2020 16:00 - © Centre Sèvres Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.35.173.236 - 24/04/2020 16:00 - © Centre Sèvres juste dans une réflexion plus large sur la manière dont Foucault a bouleversé le partage entre le champ historique et le champ philosophique, dont il a montré, de manière du reste très hégélienne, que la pensée trouve dans l’histoire non pas l’élément de son illustration mais de son existence. Aujourd’hui, que dire du sujet ? Pour commencer, on pourrait dire que, de 1980 à 1984, Foucault ne cesse de poursuivre un seul et même but : écrire une histoire de ce qui noue un sujet à la vérité. On a l’habitude de faire du dernier Foucault le Foucault de l’Histoire de la sexualité, mais sur les cinq années de cours, un seul est consacré à la sexualité grecque, tous les autres interrogeant inlassablement le même thème : quelles sont les formes historiques qui assurent en Occident le nouage du sujet à la vérité ? De l’étude de la pénitence chrétienne à la parrhêsia grecque, de celle de la conversion platonicienne à l’ascétique stoïcienne, toujours une même question têtue revient : selon quelles formes, quelles procédures, et avec quels effets de subjectivation, un sujet va-t-il se lier, se nouer à une vérité, quelles formes de subjectivation s’articulent sur quelles formes de véridiction ? Et cette interrogation s’impose avec telle- ment d’intensité à Foucault qu’il va affirmant qu’en étudiant autrefois le fou et le criminel, c’était cette même question qui se posait à lui. On pourrait prendre comme figure emblématique de ce questionnement Œdipe, dont Foucault reprend en 1980, pour la deuxième fois, l’analyse de la tragédie. Pour Foucault, Œdipe est par excellence un homme de vérité, mais au sens où l’on parle par exemple d’un homme d’expérience : c’est-à-dire forgé, formé, transformé par l’expérience. C’est de cette manière qu’Œdipe est un homme de vérité : son destin tient à la recherche d’une vérité (la vérité de ce crime qui, au sens propre, empoisonne sa ville), et la conquête de cette vérité, selon des procédures réglées, concurrentes, signifiera en même temps la redéfinition radicale de son être. On pourrait dire que si Freud voit dans la tragédie de Sophocle celle de la vérité du désir, désir qui serait en son fond incestueux et criminel, Foucault, lui, voit à l’œuvre dans Œdipe un désir de vérité, une vérité qui serait telle qu’elle transforme la vie d’un homme. Ce que découvre Œdipe, alors même qu’il recherche la vérité judiciaire, puri- ficatrice, c’est sa vérité. Comment comprendre alors l’enjeu de la philosophie, à travers ces dernières recherches de Foucault, en tentant de construire les concepts de subjectivité et de réalité ? La philosophie n’apparaît-elle pas dès lors comme l’invention de la réalité et la transformation des subjectivités ? La philosophie comme invention éthique de la réalité Le cours de 1981 au Collège de France se clôt sur une problématique qui se trouvait au centre de L’Archéologie du savoir, mais elle était alors FR. GROS 230 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.35.173.236 - 24/04/2020 16:00 - © Centre Sèvres Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 191.35.173.236 - 24/04/2020 16:00 - © Centre Sèvres centrale au sens où elle représentait pour cet ouvrage un point d’effondre- ment. Cette problématique est simplement celle du rapport entre le discours et les pratiques concrètes, et ce que peut bien vouloir dire, dans le cadre de cette alternative, la « réalité ». Foucault dresse (11 mars 1981) le bilan de plusieurs mois de lecture patiente de textes : lisant Plutarque, Lucien, Musonius Rufus, Hiéroclès, il a décrit le mouvement de conjugalisation des aphrodisia. Le mariage devient, avec ces textes, le lieu exclusif du plaisir réglé, authentique, légitime, durable. Le couple marié devient le lieu et la forme même de la vérité du plaisir. Si, par ailleurs, continue Foucault, on interroge les historiens, on s’aperçoit qu’effectivement la pratique matrimo- niale s’intensifie, s’étend, s’institutionnalise et prend une dimension publi- que toujours plus marquée. A première vue, il n’y a rien ici dont on doive s’étonner. La philosophie ne ferait jamais que démarquer le réel, le traduire sous forme de concepts ou de codes. Au fait de vivre comme l’on vit, la philosophie, supplément d’âme, superposerait le discours justifiant pour- quoi il faut vivre comme l’on vit. De la pratique du mariage à sa philosophie, on glisserait par un mouvement continu. Mais Foucault ici s’étonne, là où nul ne devrait s’étonner. Parce que, explique-t-il, le réel n’a jamais été la raison d’être du discours vrai sur ce réel. La monogamie est devenue une pratique étendue, une réalité sociale importante. Les historiens l’attestent. Mais qu’un jeu de vérité, que des structures de véridiction, que des énoncés philosophiques soient venus s’articuler sur cette pratique, est en soi un événement, qui compte beaucoup pour une histoire de la vérité. Il est clair que sur ce rapport entre réalité et discours sont possibles diffférentes analyses. La première et la plus évidente consisterait à voir dans le discours le simple redoublement représentatif du réel. Le discours serait le reflet des pratiques. Un second type d’analyse (dans lequel on retrouverait facilement le schéma marxiste) verrait au contraire dans le discours une manière de masquer plutôt que de révéler le réel. Le réel du discours serait alors précisément dans ce qu’il ne dit pas du réel. Un dernier type d’analyse (proche d’un modèle à la Max Weber) pourrait voir dans le discours une manière de rationaliser le réel. Le discours vrai serait une codification, une systématisation de pratiques éparses. Il s’agit donc bien uploads/Philosophie/ aphi-652-0229.pdf
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- Publié le Jan 03, 2022
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