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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article David Corfield Philosophiques, vol. 37, n° 1, 2010, p. 95-109. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/039714ar DOI: 10.7202/039714ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 5 mars 2013 03:38 « Lautman et la réalité des mathématiques » PHILOSOPHIQUES 37/1 — Printemps 2010, p. 95-109 Lautman et la réalité des mathématiques DAVID CORFIELD University of Kent D.Corfi eld@kent.ac.uk RÉSUMÉ. — Cet article examine la thèse de Lautman selon laquelle la réalité des mathématiques doit être approchée par la « réalisation des idées dialecti- ques ». Pour ce faire, nous reprenons deux exemples que Lautman a lui-même traités. La question est de savoir si on peut ou non mieux décrire les idées dia- lectiques comme mathématiques, particulièrement maintenant que les moyens mathématiques d’approcher ces idées au niveau de généralisation appropriée existent. Ainsi, la théorie des catégories, inconnue de Lautman, peut donner une description très approfondie de l’idée de dualité. Je soumets de plus que les instances, données par Lautman, de la réalisation des idées dialectiques en dehors des mathématiques et de la physique mathématique sont assez mai- gres, ce qui suggère fortement que les idées qu’il a décrites si admirablement sont immanentes à la pratique des mathématiques, au lieu d’appartenir à « une réalité idéale, supérieure aux mathématiques ». ABSTRACT. — This paper examines Lautman’s claim that the reality of math- ematics is to be addressed through the “realisation of dialectical ideas”. This is done in the context of two examples treated by Lautman himself. The question is raised as to whether we might better describe dialectical ideas as mathemat- ical ones, especially now that we have mathematical means to approach these ideas at the right level of generality. For example, category theory, unknown to Lautman, can describe the idea of duality very thoroughly. It is argued that the instances given by Lautman of the realisation of dialectical ideas outside of mathematics and mathematical physics are rather slight, leading us to con- clude that the ideas he so brilliantly describes are immanent to mathematical practice, rather than belonging to “an ideal reality, superior to mathematics”. Lautman et la réalité des mathématiques C’est avec un grand plaisir que j’ai accepté l’invitation à collaborer à ce volume. Il y a plusieurs années, alors que j’étudiais à Paris en vue d’une carrière possible en psychanalyse, j’en vint à m’intéresser à la philosophie des mathématiques, ce qui n’a rien d’étonnant si l’on se rappelle la façon dont la théorie psychanalytique en France met à contribution les entreprises intellectuelles les plus diverses. Bref, le nom d’Albert Lautman fut prononcé, et je dénichai à la librairie du Centre Georges Pompidou un livre de lui, une édition de ses œuvres publiée en 1977 chez 10/18. À l’époque, une grande partie du cadre philosophique de son travail m’échappa, mais je fus fasciné par les exemples variés de similarité de structures que j’y trouvai et qui me rappelèrent ce que j’avais le plus apprécié au cours de mes études de premier cycle en mathématiques.Au même moment, inspiré par la lecture de Uses and Abuses of the History of Topos Theory de Colin McLarty (1990), je me 96 • Philosophiques / Printemps 2010 familiarisai avec la théorie des catégories, en particulier grâce à l’ouvrage de Lambek and Scott, Introduction to Higher-Order Categorical Logic, et il ne fut pas diffi cile d’en inférer que si Lautman avait survécu à la guerre, il aurait adopté sans réserve la théorie des catégories. Peu après, je retournai à Londres pour poursuivre des études en vue de l’obtention d’une maîtrise et d’un doctorat en philosophie des mathématiques, et c’est seulement alors que je commençai à mesurer le gouffre séparant le traitement des mathéma- tiques par Lautman de l’approche philosophique analytique dominante qui prévalait aux États-Unis et au Royaume-Uni. Alors que Lautman pouvait parler des connections de Galois et des fonctions thêta, de la dualité de Poin- caré et de la théorie des corps de classes, celles-ci demeuraient des sujets de discussion pour la philosophie anglophone aussi probables que la saison des moussons dans le sud de l’Inde, ou le cycle reproducteur du petit rhino- lophe. La meilleure occasion que je puisse imaginer de m’occuper de mathé- matiques véritables me fut fournie grâce à l’invitation de Lakatos d’appliquer la structure de son programme de recherche, conçue pour la science, aux mathématiques. Tout en tenant compte de ses exigences, les sujets étudiés pouvaient être choisis à volonté dans les parties des mathématiques jugées les plus attrayantes. La structure quelque peu rigide de Lakatos, qui instau- rait une rivalité complète entre des programmes de recherche parallèles, ren- dait cependant très diffi cile de traiter du sujet favori de Lautman, à savoir l’imbrication des théories dans les mathématiques du xxe siècle. Voici donc une occasion de retourner à Lautman et aux origines des thèses que je soutiens depuis vingt ans : 1. Plutôt que d’accorder à la logique la priorité philosophique sur les autres parties des mathématiques, nous devrions la considérer comme n’importe quelle autre branche, c’est-à-dire comme un lieu où des concepts clés se manifestent de manière récurrente. 2. La réalité des mathématiques doit être abordée par le biais de ces manifestations récurrentes, la « réalisation des idées dialectiques » comme le formule Lautman, et non par le biais des notions quiniennes d’engagement ontologique. [2] Je désire examiner dans le présent article la deuxième de ces thèses dans le contexte de quelques exemples fournis par Lautman, et soulever certaines questions concernant la nature mathématique de ses « idées dialec- tiques ». 1. La montée vers l’absolu1 S’il y a un chapitre dont je me souviens bien vingt ans plus tard, c’est de La montée vers l’absolu de Lautman. Ici nous trouvons, conjuguées d’une 1. En français dans le texte [NDLT]. Lautman et la réalité des mathématiques • 97 manière brillante, les manifestations dans la philosophie et dans les mathé- matiques d’une idée concernant l’imperfection et la perfection. Cette idée en deux parties est celle dans laquelle il est affi rmé que tout cas d’imperfection présuppose une perfection correspondante, et qu’il est possible de comprendre les attributs de la perfection à travers les défauts de l’entité imparfaite qui lui est associée. La réalisation de cette idée se manifeste en philosophie dans l’ar- gument de Descartes selon lequel nous pouvons connaître l’existence d’un être parfait, ainsi que ses attributs, en prenant conscience de nos propres imperfec- tions. Par exemple, nous doutons parfois au lieu de savoir, ce qui constitue une imperfection, par conséquent nous pouvons affi rmer qu’un être parfait est omniscient. Lautman consacre davantage de temps à des exemples mathématiques tirés de la théorie algébrique des nombres et de la topologie algébrique.  est imparfait, parce qu’il ne permet pas d’effectuer la division du poly- nôme x2 − 2. Il manque à  un élément qui corresponde à la racine carré de 2, quelque chose qu’un  parfait doit par conséquent comporter. Le corps ( 2) est un pas vers la perfection, mais nous pouvons faire également la même démonstration pour les autres polynômes, par conséquent le  par- fait doit se confondre en fait avec sa propre fermeture algébrique. Tournons- nous à présent vers la topologie : le cercle est imparfait, parce qu’un lacet peut ne pas y être contractile à un point. Un lacet dessinant un seul circuit autour d’un cercle, par exemple, ne peut pas être contracté à un point. D’un autre côté, le lacet occupant le même circuit dans un cercle faisant deux fois le tour du cercle original est contractile. Cela dit, bien que ce cercle doublé comporte moins d’imperfection, il demeure que tout chemin dans celui-ci formé d’une boucle dans le cercle original et enroulé un nombre pair de tours non égal à zéro ne sera pas contractile. Dans ce cas, le cercle parfait est une hélice. Ces deux exemples tirés des mathématiques ont beaucoup en commun : un treillis de corps intermédiaires, d’une part, et un treillis de revêtements intermédiaires, d’autre part, peuvent y être associés à certains treillis de sous-groupes. Comme l’a observé Jean Dieudonné dans sa préface à l’édition 10/18, en choisissant ces exemples, Lautman a fait preuve d’une grande sensibilité concernant le type de similarité de structures qui prévaut dans les mathéma- tiques contemporaines, et dont le langage de la théorie des catégories rend compte extrêmement bien. En effet, l’introduction par Grothendieck de la notion de foncteur fi bre constitue un moment très important dans l’unifi ca- tion des constructions uploads/Philosophie/ lautman-et-la-re-alite-des-mathe-matiques-corfield.pdf

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