1 APPRENTISSAGE ET ACTIVITE Pierre Pastré Professeur du CNAM Chaire de communic

1 APPRENTISSAGE ET ACTIVITE Pierre Pastré Professeur du CNAM Chaire de communication didactique Lorsque j’ai cherché à donner un corps et une structure à ce qui allait devenir la didactique professionnelle, j’étais animé par deux intuitions. La première représente le motif qui m’a poussé à entreprendre une carrière de chercheur : la conviction qu’il existe un développement cognitif chez les adultes, contrairement à ce que laissait entendre Piaget, pour qui à partir de 15 ans un humain est arrivé au stade ultime de son développement cognitif. Il ne lui resterait plus alors qu’à apprendre (acquérir des connaissances dans des domaines spécialisés, mais sans nouveau développement des instruments généraux de sa cognition), - car on peut toujours continuer à apprendre, mais avec les moyens du bord -,… et à vieillir ! On pouvait à la rigueur admettre, dans une telle perspective, que les adultes connaissent des épisodes de développement personnel liés à la construction de leur expérience à partir de leur vécu. Mais un développement cognitif au sens strict du terme était considéré comme théoriquement impossible. J’avais l’intuition que les faits venaient – parfois - infirmer la théorie et cette contradiction entre les faits observés et la théorie en vigueur fut une motivation puissante pour chercher à comprendre comment des adultes pouvaient bien se développer d’un point de vue cognitif. On l’aura compris : mon objet de recherche était l’apprentissage, au sens le plus large du terme, sans chercher pour le moment à distinguer apprentissage et développement, et notamment l’apprentissage chez les adultes. La deuxième intuition qui m’animait était qu’il fallait chercher à comprendre l’apprentissage en cherchant à comprendre l’activité, sans les séparer. Je reviendrai plus bas sur cette articulation entre activité et apprentissage qui me paraît essentielle ; mais je peux dire dès maintenant que c’est cela qui m’a poussé à aller observer l’apprentissage, non pas dans les écoles, mais dans les lieux de travail. Exprimer cela de façon aussi tranchée ne peut manquer de faire apparaître, chez l’auditeur ou le lecteur, un sursaut de surprise, voire d’indignation : comme si on ne travaillait pas dans les écoles ! Alors expliquons-nous : je veux parler de ce qu’on appelle traditionnellement les milieux de travail (usines, ateliers, bureaux, où on agit pour produire des biens et des services, et pour y gagner sa vie), par opposition au milieu scolaire, où le but est spécifiquement et formellement d’apprendre. Bref, reconnaissons-le bien volontiers : on travaille aussi à l’école, et doublement, puisqu’on y rencontre des enseignants, dont le travail et le métier s’accomplit dans des écoles, comme d’autres le font dans des ateliers, des hôpitaux ou des bureaux ; et que l’activité des élèves constitue un gros et vrai « travail », mais au sens large du terme. Cependant, et c’est ce qui m’importait, dans les écoles on travaille pour générer de l’apprentissage et je voulais pouvoir observer l’apprentissage à l’état naturel en quelque sorte, sans qu’il soit inscrit dans une intention d’apprendre et une institution qui le porte. Je développerai mon propos en deux parties, de longueur inégale. La première partie, la plus brève, décrira le cadre général dans lequel je souhaite inscrire ma réflexion. Elle portera le titre du papier : activité et apprentissage. Dans la deuxième partie, je me propose d’identifier des grandes classes de situations d’apprentissage, en cherchant à comprendre pour chacune la logique interne qui la sous-tend. Je développerai bien entendu surtout la classe de situations d’apprentissage que j’ai le plus étudiée : l’apprentissage par construction d’un milieu ou d’une situation-problème. Ceci me permettra de revenir in fine sur une des questions d’Yves Lenoir qui a structuré les journées d’études de Sherbrooke 2005 : faut-il 2 parler de didactique professionnelle ou de didactique des savoirs professionnels ? J’essaierai de motiver la réponse que je donne à cette question. I/ ACTIVITE ET APPRENTISSAGE 1/ Les deux sens de la notion d’apprentissage L’apprentissage est une notion qui peut revêtir deux sens : 1/ dans son sens premier, l’apprentissage est, chez l’homme, un processus anthropologique fondamental, qui accompagne toute activité et qui fonctionne de telle sorte qu’un humain ne peut pas agir sans qu’en même temps il ne produise des ressources pour gérer et orienter son action. Autrement dit, toute activité s’accompagne d’apprentissage, plus ou moins, bien entendu. C’est la raison pour laquelle la première et la plus primitive forme d’apprentissage est l’apprentissage sur le tas, par immersion, par frayage : l’apprentissage accompagne l’activité comme un de ses éléments constitutifs. Rabardel (2004) a théorisé cela en reprenant une distinction qu’on trouve chez Marx et en distinguant activité productive (en travaillant, l’homme transforme le réel) et activité constructive (en transformant le réel l’homme se transforme lui-même). Il faut bien voir que ces deux formes de l’activité constituent un couple insécable : il ne peut pas y avoir d’activité constructive sans une activité productive qui lui sert de support. Et, inversement, une activité productive entraîne nécessairement, ne serait-ce que de façon minime, une activité constructive. C’est ce qui se passe notamment quand des humains sont au travail. Le but de leur action est l’activité productive : produire des biens ou des services. Mais cette activité productive s’accompagne, à titre d’effet inévitable en quelque sorte, d’une construction de l’expérience et des compétences, plus ou moins importante selon les cas, qui relève de l’activité constructive. Mais si on ne peut séparer activité productive et activité constructive, il n’est pas question de les confondre. Et parmi les différences qu’on peut observer entre elles, il en est une qui est d’importance : pour une action donnée, l’activité productive se termine avec la fin de l’action (le but atteint ou échoué) ; alors que l’activité constructive peut se poursuivre bien au-delà, puisque l’agent peut toujours apprendre de son action passée. C’est le principe des analyses de pratiques, debriefings, retours d’expérience, etc… Autrement dit, l’activité constructive, donc l’apprentissage, fonctionne selon un empan temporel qui est le moyen terme ou long terme, alors que l’activité productive se situe dans le court terme. 2/ C’est ainsi qu’on arrive au 2e sens de la notion d’apprentissage : d’un point de vue anthropologique, l’apprentissage est tellement important qu’on a voulu en faire une activité à part, l’instituer en quelque sorte comme pratique spécifique, faisant en sorte que des « élèves » soient systématiquement placés dans une situation institutionnelle où le but de l’activité devient l’activité constructive. C’est un renversement : dans les situations naturelles, le but de l’action est celui de l’activité productive et l’activité constructive n’est qu’un effet, généralement non intentionnel, de l’activité productive. Dans une « école » (au sens le plus large du terme), c’est l’activité constructive qui devient le véritable but de l’action et les activités productives, les tâches assignées aux élèves, ne sont plus que des moyens permettant d’entraîner l’apparition d’une activité constructive. Mais cette activité constructive resterait relativement indéterminée (comme c’est le cas dans les situations naturelles), si, pour la préciser, on ne lui désignait un objet : les savoirs. Ainsi ma thèse est que c’est à partir du moment où l’apprentissage, processus anthropologique fondamental chez les humains, est institué dans des lieux spécialement dédiés au développement de l’activité constructive, qu’on est amené à donner une place centrale aux savoirs, qui deviennent ainsi l’objet de l’apprentissage. Quand on veut analyser l’apprentissage dans des activités naturelles, professionnelles par exemple, il n’est pas nécessaire de faire appel à la notion de savoir, ce 3 qui ne veut pas dire du tout que dans l’activité professionnelle il n’y a pas de la conceptualisation, comme nous allons le voir. 2/ Modèle opératif et modèle cognitif La didactique professionnelle est née d’une volonté de renversement, de nature épistémologique, dans la manière d’envisager, par rapport à l’apprentissage, les relations entre l’activité et le savoir. Dans la pratique scientifique, l’action n’est pas absente, mais elle est subordonnée à la production de savoirs. Dans la pratique scolaire, l’action n’est pas non plus absente – il suffit de voir tout le développement des méthodes actives -, mais elle est également subordonnée à la transmission de savoirs. C’est ainsi que se sont constituées les didactiques disciplinaires : le véritable objet de l’apprentissage est un savoir et l’action va servir de véhicule à l’acquisition de ce savoir. Cela veut dire qu’on peut très bien concevoir des « didactiques de savoirs professionnels », sur le modèle des didactiques des disciplines, en en important les concepts. Mais cela veut dire qu’on décrit alors ce qui se passe dans une école (professionnelle), et non l’activité telle qu’elle se déploie dans un atelier, dans un bureau ou dans un cabinet médical … ou même dans une salle de classe, si l’on veut analyser l’activité de ces professionnels de l’apprentissage que sont les enseignants, comme il existe ailleurs des professionnels de la santé, du droit ou de la conduite de systèmes techniques. Ces professionnels de l’apprentissage développent une activité spécifique, dont on peut chercher à analyser l’organisation : appliquée à l’activité enseignante, la didactique professionnelle fait le choix de se centrer sur l’activité de l’enseignant, et non sur les savoirs qu’il a mission uploads/Philosophie/ apprentissage-et-activite-pierre-pastre-professeur-du-cnam-chaire-de-communication-didactique.pdf

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