Présentation de l’éditeur Repartir d’une lecture à nouveaux frais de la Métaphy
Présentation de l’éditeur Repartir d’une lecture à nouveaux frais de la Métaphysique d’Aristote en essayant de prêter l’oreille à la manière dont elle parle en grec, tel est le projet de ce livre. Cela veut dire d’abord oublier ce qui nous a été transmis si longtemps dans le latin de la scolastique médiévale. C’est se donner la chance de rencontrer une pensée à même la langue. On comprend alors que le mot eidos ne peut pas se traduire par « idée » : il désigne avant tout le « visage » que quelque chose ou quelqu’un tourne vers nous, de même le mot theoria renvoie, lui aussi, à la vue d’un spectacle qui s’offre à nous. Si les fameuses « catégories » d’Aristote sont dépendantes des structures de la langue grecque, ce n’est pas une limite : c’est une chance dont Aristote se saisit pour avancer dans la pensée de l’être. Ce parcours au plus près de la langue ne se réduit pas à un monologue au sein de la seule parole occidentale mais s’ouvre à une confrontation entre la Grèce et la Chine sur les pas de François Jullien : comment entendre sans conflictualité un tel vis-à-vis entre une pensée non métaphysique du Grand Procès (Tao) ou de la « propension des choses », et une histoire de la métaphysique dont Aristote est une prestigieuse entame et dont le philosophe sinologue voudrait nous délivrer ? Bernard Sichère a enseigné la philosophie. Auteur de quelques romans et récits, il a retraduit la Métaphysique d’Aristote (1971). Il a participé durant plusieurs années, aux côtés de François Jullien, au « Cours de philosophie méthodique et populaire » à la Bibliothèque Nationale de France. Aristote Bernard Sichère Aristote Au soleil de l’être CNRS ÉDITIONS 15, rue Malebranche – 75005 Paris © CNRS ÉDITIONS, Paris, 2018 ISBN : 978-2-271-11853-0 ISSN : 1248-5284 SOMMAIRE Introduction : penser à même la langue Chapitre 1 En quel sens y a-t-il une « théorie des idées » chez Platon ? Chapitre 2 Comment commencer à penser ? Chapitre 3 Les « catégories » d’Aristote : leçon du linguiste, leçon du philosophe45 Chapitre 4 Temps et verbe : le « parfait » grec comme élément d’une pensée du temps Chapitre 5 Vous avez dit « bonheur » ? Chapitre 6 Astrologie et théologie : « car le dieu est cela même » Chapitre 7 Inventer l’histoire de la philosophie Chapitre 8 La Grèce, la Chine : dialogue avec François Jullien Bibliographie Glossaire Index des noms Il faut apprendre à lire les grands philosophes à même la langue, puisque c’est dans l’élément de la langue que la pensée pense. Écrit en marge de la nouvelle traduction de la Métaphysique d’Aristote que j’ai proposée, ce texte invite à accueillir la pensée d’Aristote à partir des mots essentiels qui la scandent. C’est ainsi qu’on revient sur le mot eidos, qui déjà chez Platon veut tout dire sauf « idée », ou qu’on écoute le grand Émile Benveniste nous parler des « catégories » d’Aristote, mais curieusement sans jamais traduire ce que dit le mot grec katêgoria. C’est dans la même attention au texte grec qu’on montre que l’intelligence qu’avait Aristote des ressources de la forme verbale du « parfait » grec est au cœur de sa pensée du temps, ou qu’on explique pourquoi le mot eudaimônia, qui est le couronnement de l’éthique grecque, ne peut s’entendre grâce à notre mot « bonheur », décidément trop court dès lors qu’aucun « démon » ne l’éclaire. On examine de même ce qu’Aristote croit pouvoir penser en « théologien » de celui qu’il appelle « le dieu », ou comment la Métaphysique suppose une pensée inédite de l’histoire de la philosophie en tant qu’histoire « de » l’être. Enfin, on tente de mesurer, à la lumière des écrits de François Jullien, ce que la pensée aristotélicienne de l’être, revisitée et mise en regard de la pensée chinoise, propose aujourd’hui comme ressource pour surmonter les impasses d’une métaphysique devenue pensée de l’arraisonnement technique de tout ce qui est. Introduction : penser à même la langue Peu de temps après sa première rencontre avec Heidegger qui devait décider de son propre destin philosophique, Jean Beaufret releva et nota cette confidence du penseur allemand selon laquelle, s’il voulait véritablement comprendre sa pensée, il lui faudrait se mettre à l’école d’Aristote. Sur quoi Heidegger lui avait donné rendez-vous dans vingt ans, durée qui semblait à ses yeux nécessaire pour entrer réellement dans une telle pensée et en mesurer l’enjeu. Beaufret se mit donc à l’ouvrage et c’est dix-sept ans plus tard, avant donc la date minimale indiquée par Heidegger, qu’il put, triomphant, s’exclamer qu’il avait enfin « compris Aristote ». Cela voulait dire qu’il avait enfin mesuré ce qui lui manquait encore, non seulement pour entrer plus avant dans ces textes situés à l’orée de l’histoire de la métaphysique, mais également pour saisir à fond la pensée de Heidegger, une pensée en rupture avec bien des discours contemporains à commencer par celui de Sartre. C’est en effet en réponse aux questions du jeune Beaufret, témoin auprès de lui de ce qui se jouait au lendemain de la guerre sur la scène philosophique française, que Heidegger devait se résoudre à écrire la fameuse Lettre sur l’humanisme, dans laquelle il s’efforçait notamment de préciser en quoi sa pensée de l’Être demeurait profondément hétérogène à l’humanisme existentialiste alors en plein essor. Cette anecdote me touche profondément, et pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’elle donne une idée assez juste et frappante de ce que peut être véritablement une amitié philosophique : le partage, à la fois intellectuel et humain, d’une passion commune, peu compréhensible aujourd’hui malheureusement, pour la cause de la pensée, die Sache des Denkens. Cette passion, aux alentours du Ve siècle avant Jésus-Christ, les Grecs ont découvert le nom capable de l’exprimer : le beau nom de philosophia. Il est bien trop prématuré de traduire d’emblée ce mot dans le français d’aujourd’hui, dans la mesure où ce qui a pu parler dans ces temps anciens en langue grecque n’est pratiquement plus chez nous audible d’aucune manière. Car qui de nos jours accepterait de se mettre au travail pendant vingt années pour se mesurer véritablement à la pensée d’un penseur, dès lors que désormais le prêt-à-penser informatisé suffit ? On sait que le mot « philosophie » traîne désormais un peu partout, dans les ruisseaux notamment où tout un chacun peut le ramasser pour se faire reconnaître comme philosophe dans le brouhaha médiatique. On mesure d’ailleurs la perte générale à considérer la manière dont certains envisagent de nos jours la leçon de la pensée grecque. C’est ainsi que l’un, polémiste sommaire, n’a pas hésité à faire la leçon au méchant Platon « idéaliste » au nom d’une prétendue apologie du corps d’essence « matérialiste » : on se contentera de noter, à propos de Michel Onfray, puisque c’est de lui qu’il s’agit, que dénoncer n’est pas penser et qu’il faudrait d’abord apprendre à lire, Platon par exemple. Et c’est ainsi également qu’un autre, apparemment de plus haute envergure, a imaginé pouvoir se déprendre de la pensée grecque de l’être en assénant tout à trac que « les mathématiques sont l’ontologie » : moyennant quoi il ne serait plus utile de lire sérieusement ni Platon ni Aristote, ni aucun de ces attardés (Heidegger par exemple) qui en sont encore à essayer de se mettre « en quête de l’être ». On répondra d’abord à Alain Badiou, auteur de L’Être et l’Évènement, que cette thèse sur l’ontologie n’est pas nouvelle, puisque Aristote déjà avait cru bon de consacrer les deux derniers livres de sa Métaphysique à la réfutation d’une illusion qui courait alors dans une certaine fraction du platonisme, et que Lacan, en tout cas, avait été plus prudent que lui en énonçant finalement que « la chose analytique ne sera pas mathématique ». On dira encore qu’asséner non plus n’est pas penser, par exemple quand le même Badiou profère ailleurs qu’« il n’existe aucun Dieu », alors que Nietzsche au moins nous invitait à comprendre que ce qu’il nommait la « mort de Dieu » invitait à une pensée plus forte, plus tendue et plus aventureuse que la constatation plate d’une inexistence. Essayons donc malgré tout de faire entendre un tant soit peu ce qui peut encore vibrer dans ce vieux mot de philosophia : en l’occurrence, que veut dire le verbe philein et que veut dire le mot sophia ? Commençons par le verbe, qui draine l’expression entière. Il ne s’agit pas d’un sentiment, d’un vécu : les Grecs, pour parler clair, n’avaient pas de « vécus » au sens psychologique que ce terme a fini par prendre de nos jours, mais ils faisaient en revanche des « expériences » et connaissaient des « épreuves ». Disons qu’ils se trouvaient éprouver un certain nombre de passions (pathèmata) au sein de cet Être depuis toujours présent qui les avait précédés et au sein duquel ils avaient à trouver leur place en deçà de uploads/Philosophie/ bernard-sichere-aristote-au-soleil-de-l-x27-etre-cnrs-editions-2017.pdf
Documents similaires
-
27
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 20, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.7834MB