1 Gérard GRIG Master 1 Philosophie 02/12/2019 Autonomie, care et responsabilité
1 Gérard GRIG Master 1 Philosophie 02/12/2019 Autonomie, care et responsabilité. Issue des recherches féministes, la théorie de la sollicitude, dite du care, a évolué. Le care est le souci d'autrui comme individu singulier, qui évalue l'impact concret de ses choix et de ses actions, dans des situations particulières et inégales de dépendance. Néanmoins, l'accent mis par le care sur l'attachement et l’acceptation de la relation d'interdépendance, initialement attribués aux seules femmes, concerne maintenant l'ensemble de la société. Davantage, le care est devenu un moyen de rénover l'idée de démocratie, dans la mesure où il concerne la sphère privée, la sphère publique et les mécanismes du marché, tous domaines régis par des rapports de sexe, de race et de classe. De sorte que la remise en question de la notion classique de justice par le care a des conséquences sur ses composantes centrales que sont l’autonomie et la responsabilité. Dans le care donné ou reçu, l'autonomie est une compétence morale ou technique, tandis que la responsabilité consiste à savoir ce que l'on a à faire, plutôt qu'à savoir faire, et surtout à assumer les conséquences du choix du care. Or le travail du care ne concilie pas autonomie et responsabilité, contrairement à ce que sa théorie laisserait croire. Le care doit-il rester une pratique marginale qui double la société, pour la déconstruire, ou bien ne peut-il assurer l'harmonie de ses composantes que grâce au secours de la loi et de l'institution ? Ainsi, la théorie du care rend insuffisantes les notions traditionnelles d'autonomie et de responsabilité (I). Pourtant, le travail du care révèle en lui-même une dysharmonie entre autonomie et responsabilité (II). Néanmoins, l'équilibre entre autonomie et responsabilité, dans le travail du care, ne devrait-il pas être assuré par la loi et l'institution ? (III). I) La théorie du care rend insuffisantes les notions traditionnelles d'autonomie et de responsabilité. À l'origine, Carol Gilligan a critiqué l’échelle de développement moral de Kohlberg, car celui-ci situait les femmes dans les stades inférieurs de l’échelle. Ainsi, la théorie de Kohlberg identifie la liberté et le détachement comme des valeurs masculines. En vérité, elle se rattache aux conceptions déontologiques de la moralité. Mais la théorie du care, partie d'une critique de l'androcentrisme, qui est aussi celle du privilège des dominants, ne s'en tiendra pas à une attitude morale. En effet, selon Joan Tronto, l'expérience de la dépendance et du souci de l'autre, qui s'exerce dans des activités peu valorisées et mal rémunérées, a un sens social dans l'économie de marché. Avec Joan Tronto le care entre donc dans le débat public, quand elle définit le care comme « l’activité générique qui comprend tout ce que nous faisons 2 Gérard GRIG Master 1 Philosophie 02/12/2019 pour maintenir, perpétuer et réparer notre “monde” de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. ». D'ailleurs, elle inclut l'environnement comme enjeu du care en tant qu'écologie politique. La vulnérabilité est au centre de la critique de Joan Tronto, dans Un monde vulnérable. Les individus sont dans un rapport d'interdépendance pendant toute leur vie, pour satisfaire leurs besoins primordiaux, et ils sont davantage vulnérables pendant l'enfance, la vieillesse ou la maladie. Mais les besoins primordiaux concernent des biens qui sont importants pour un individu donné, qu’ils soient considérés comme nécessaires ou superflus par l’opinion générale. Ainsi, en associant responsability à sensitiveness, le care met en avant les notions de justice et de responsabilité à l'égard des personnes dépendantes et vulnérables, dans un souci particulier des autres, lesquels ne sont pas des sujets autonomes au sens classique, censés faire des choix loin de toute attache. Néanmoins, même si elle réintègre le sentiment, la théorie du care n’est pas irrationnelle. Elle propose une autre analyse de la rationalité morale. En cela, elle se rapproche de la démarche anthropologique de l’ethnographie, qui cherche à comprendre avec empathie le point de vue de ceux qu’elle étudie, dans leurs mots, dans leurs corps et dans leur façon particulière d’être, à l’occasion de leurs pratiques quotidiennes. Le déontologisme, illustré par la morale de Kant qui énonce des principes, donne une vision fausse de l’autonomie du sujet, dans la mesure où, dans la vraie vie, personne n’agit en fonction de principes, qui sont trop indéterminés, qui peuvent se contredire et susciter le fanatisme. D’autre part, le principe moral déresponsabilise le sujet. Pourtant, Kant reconnaît l’existence d’un « sentiment pathologique », qui précède la loi morale, tandis que le sentiment moral la suit, mais le sentiment ne joue aucun rôle dans la formulation de la loi morale, parce qu’il appartient à l’ordre de la nature. Kant a également énoncé le paradoxe de l’ « insociable sociabilité », car les hommes se font la guerre, mais ils ont besoin les uns des autres, ce qui manifeste leur interdépendance. De même, bien qu’elle s’éloigne du kantisme, la théorie de la justice de John Rawls reste abstraite. Elle tente pourtant de définir des principes de manière impartiale et rationnelle, à partir d’une situation hypothétique dite « position originelle ». Pour nous aider à dégager des principes de justice, la théorie de Rawls postule l’hypothèse d’un voile d’ignorance, portant sur notre place dans l’ordre social et sur la définition du bien. 3 Gérard GRIG Master 1 Philosophie 02/12/2019 Néanmoins, Rawls ne parvient pas à concilier le juste et le bien, à l’inverse de la théorie du care, parce que le bien ne peut être défini que dans des circonstances particulières. Selon Rawls, la justice n’exclut pas l’acceptation des inégalités, car on peut en profiter quand on est en bas de l’échelle sociale, à cause du ruissellement de la richesse ou de sa redistribution. Le care reconnaît que l’on ne peut pas être toujours juste avec tout le monde, bien qu’il s’efforce d’agir avec les autres, et non contre les autres. Pour évaluer le bien, il cherche un critère adapté à la particularité de chaque situation. Comme la théorie du care, l'éthique de la discussion d'Habermas accorde une place centrale à la parole et à la relation, mais dans l'éthique normative, la théorie d'Habermas ne s'écarte pas du déontologisme, tandis que le care ne s’attend pas à un accord. À l'inverse du déontologisme et de l’impartialisme, qui respecte absolument le principe moral indépendamment des conséquences, le conséquentialisme agit pour maximiser le lien social. Mais le care s'écarte du conséquentialisme, car le care ressortit plutôt à l'éthique de la vertu et à son perfectionnisme moral, qui consiste à vouloir être le meilleur agent moral dans une situation donnée, en jugeant selon son point de vue. En effet, nul n’agit en fonction d’un calcul rationnel, qui ne fait que changer, qui comporte une dimension sacrificielle et qui entrave la possibilité de l’engagement moral. Quant au déontologisme, la vertu est selon lui le respect de la loi morale, établie sans le souci des autres, et non la recherche de l’excellence morale. Entre une autonomie paradoxalement acquise avec le secours des autres, à l’issue d’un apprentissage, et une responsabilité active qui exclut l’indifférence, la théorie du care semble mettre en harmonie deux notions inséparables, avec la même logique. II) Pourtant, le travail du care révèle en lui-même une dysharmonie entre autonomie et responsabilité. L'étude du travail du care révèle une difficulté, qui est celle du développement harmonieux et conjoint de l'autonomie et de la responsabilité. Ce problème tient peut-être davantage au care lui-même qu'à un système politique. Comme pour le genre, il y a dans la théorie du care un fond idéologique, qui tient autant de la croyance que de la vérité scientifique. 4 Gérard GRIG Master 1 Philosophie 02/12/2019 Dans Le travail du care, Pascale Molinier ne cache pas les impasses et les apories du care, qu’elle rencontre pendant son enquête. Il existe ainsi une inflation de l'autonomie, au détriment de la responsabilité, qui semble être propre au care. En effet, l'autonomie, en tant que compétence morale et technique, se développe de façon vertigineuse dans le monde des travailleuses du care. Le travail domestique "mercenaire", que les femmes occidentales délèguent, pour s'émanciper, à des travailleuses migrantes attirées par le care drain de la mondialisation, est bien en réalité un travail de care, même si à première vue il concerne des objets et non des personnes. Ce travail demande une compétence très fine dans ce qu'il faut deviner pour maintenir le cadre de vie agréable des employeurs que l'on ne connaît pas et que l'on ne voit jamais, tout en donnant l’impression que ce travail n’a été fait par personne. Il existe ainsi des poétesses parmi les femmes de ménage. Mais il n'y a aucune reconnaissance de leur rôle véritable, ni l'octroi d'aucun statut de gouvernante, par l'attribution de responsabilités élargies "en titre". D'ailleurs, il existe chez ces travailleuses un conflit de responsabilités qui semble inévitable, et qui est aggravé par l’inégalité de la répartition des tâches dans leurs foyers. Elles donnent des soins, souvent au détriment de leurs propres besoins. En s'occupant des enfants des autres, on ne s’occupe pas des siens, si bien que les femmes de ménage ne peuvent pas faire uploads/Philosophie/ autonomie-care-et-responsabilite.pdf
Documents similaires










-
35
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 23, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2017MB