ESSENCE, EXISTENCE ET HISTOIRE DU BEAU Vincent Citot Association Le Lisible et

ESSENCE, EXISTENCE ET HISTOIRE DU BEAU Vincent Citot Association Le Lisible et l'illisible | « Le Philosophoire » 1999/1 n° 7 | pages 55 à 128 ISSN 1283-7091 DOI 10.3917/phoir.007.0055 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-1999-1-page-55.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Association Le Lisible et l'illisible. © Association Le Lisible et l'illisible. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Que peut faire la philosophie avec un tel concept, y a-t-il quelque chose à penser derrière cet éparpillement d’emplois sans unité apparente ? Est-il possible de lui donner un peu de cette densité et de cette unité qui invite à philosopher ? Notre propos est donc de repenser l’unité du concept de beauté par-delà la multiplicité de ses emplois et occurrences. Nous défendrons donc la thèse suivante : le beau est univoque. Le beau n’a qu’un seul sens et c’est en un sens unique que nous l’employons, du moins quand nous usons à bon escient de ce terme, il est vrai largement galvaudé. La recherche dons laquelle nous nous engageons doit affronter plusieurs difficultés de principe liées à la nature même de son objet. Le beau, en effet, n’est pas un objet à proprement parler, ou alors c’est un objet idéal, un pur concept, censé référer à une expérience intime et irréductiblement singulière. Une philosophie du beau est-elle possible si le beau n’existe que sous la forme d’expériences individuelles irréductibles et incommunicables ? A y regarder de plus près, ce n’est pas tant l’expérience du beau comme telle qui n’est pas communicable ou verbalisable, c’est le contenu concret de cette expérience, la singularité de ce qui est vécu sur le mode de la beauté. Mais notre objet d’étude est le beau dans toute sa généralité, et non la façon dont il peut exister sous telle ou telle modalité particulière, la façon dont les uns et les autres se l’approprient selon leur propre idiosyncrasie. De fait, la beauté elle-même doit être un sentiment largement partagé et communicable, sinon, pourquoi y ferions-nous constamment référence à travers des formules comme “Regarde comme c’est beau !”, “Est-ce que tu trouves cela beau ?” ou tout 1 Nous présentons ici une version corrigée de l’article paru originairement en 1999. Les corrections apportées ne portent pas sur le fond du propos, sur les thèses qui y sont soutenues ou sur la structure générale de l’article. Il s’agit pour l’essentiel de corrections de forme et de présentation. L © Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 04/08/2022 sur www.cairn.info par Ahmed Abdi (IP: 87.64.211.244) © Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 04/08/2022 sur www.cairn.info par Ahmed Abdi (IP: 87.64.211.244) L’Art 56 simplement quand nous nous exclamons : “C’est beau !”. Si ce terme n’avait pas de sens, il ne ferait l’objet d’aucun consensus, d’aucune querelle, il serait un simple « signifiant flottant ». Or, précisément, même s’il est vrai que ce terme aurait tous les atouts pour jouer ce rôle de « signifiant flottant » qui comblerait un défaut de sens, nos pensons au contraire qu’il a un sens authentique et discernable. Que voulons-nous dire quand nous disons “c’est beau !” ?, tel est donc notre question de départ. S’il est demandé à quelqu’un qui dit “c’est beau !” ce qu’il entend au fond par là, il va certainement bégayer qu’il “trouve ça beau, c’est tout” ; à moins qu’il ne réponde pourquoi il y trouve de la beauté (ce qui n’était pas la question), ou encore qu’il refuse de répondre en taxant d’ “insensibles” ceux qui demandent des explications supplémentaires. Le beau apparaît comme une notion universelle dont nous n’aurions rien à dire. Les vraies questions porteraient davantage sur la préférence que sur la beauté, car il est plus aisé de rendre raison de ses préférences ; il s’agirait d’interroger “ce que l’on aime” dans une chose belle, etc.. Pourtant, la question de l’amour ou de la préférence n’est pas du tout celle de la beauté. Bref, personne ne semble véritablement savoir ce qu’il dit quand il prononce ces mots vides (et néanmoins communément employés) “c’est beau”. En somme, il nous faut reprendre le questionnement socratique : « Qu’est-ce que la beauté ? », non pas la beauté de tel ou tel objet, ne pas considérer tel ou tel exemple de chose belle, mais bien la beauté en tant que telle. A cette fin, il faudra se garder de restreindre artificiellement le sens de ce terme. Les penseurs pressés qui se sont intéressés néanmoins à cette question ont eu tendance à disserter sur le beau en général à l’occasion de l’une de ses manifestations, jugée privilégiée ou exemplaire, sur ce qui est reconnu (implicitement la plupart du temps) comme le lieu archétypal du beau : l’œuvre d’art. Il y aurait là une référence assurée, propice à donner un support valable à la réflexion. Les autres acceptions du terme semblent fades, et il n’y a qu’un pas à franchir pour dire qu’en dehors de la sphère de l’art, le beau n’a plus cours, si ce n’est en un sens dérivé, emprunté, galvaudé. Mais, comme ce recentrement de la question amène à considérer les œuvres d’art et leur histoire, ce moment arrive fatalement où le penseur cherche à évaluer son concept de beauté à l’aune de la production artistique moderne et contemporaine. Constatant, empiriquement, pour ainsi dire, que l’art contemporain réserve un funeste destin à la notion de beauté, il aura vite fait d’abandonner cette notion finalement encombrante, et il lui préférera une réflexion bien menée sur les œuvres elles-mêmes. De philosophe, il devient alors positiviste, historien ou esthète, et la notion de beauté elle-même est perdue. Du beau, il ne reste plus qu’une vague idée métaphysique, celle dont parlait Platon, une idée sans fondement et sans avenir. © Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 04/08/2022 sur www.cairn.info par Ahmed Abdi (IP: 87.64.211.244) © Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 04/08/2022 sur www.cairn.info par Ahmed Abdi (IP: 87.64.211.244) Essence, existence et histoire du beau 57 Si nous voulons, comme c’est notre ambition, donner au concept de beauté la thématisation qu’il mérite, alors il faudra se garder de restreindre le sens du beau au cadre des beaux-arts. Il faudra considérer l’essence du beau par-delà ses divers emplois et par-delà les oppositions traditionnelles du “beau naturel” et du “beau artistique”. Le beau est d’abord et avant tout un sentiment, un affect. Nous défendrons l’idée que ce sentiment n’advient jamais gratuitement ou fortuitement : il suppose une certaine activité du sujet qui l’éprouve, et non seulement qui l’éprouve, mais aussi qui le provoque et lui donne son âme. Le sentiment du beau, donc, n’est intelligible que comme un certain rapport : le rapport du sujet intentionnel à un objet de la perception. Ce rapport singulier aux choses et au monde qui occasionne dans le sujet le sentiment du beau, nous l’appelons l’intentionnalité esthétique. L’esthétique, en ce sens, n’est pas la pure sensibilité (rétinienne, auditive, etc.), mais l’expérience en tant que telle du beau. Il y a du beau parce que le sujet est capable d’esthétiser son environnement, et parce que ce dernier se prête à ce jeu. Autrement dit, l’analyse de la structure de l’intentionnalité esthétique sera pour nous le fil conducteur de la compréhension du sentiment du beau. Le beau n’existe comme sentiment qu’à l’occasion d’une expérience esthétique, c’est-à-dire d’une esthétisation intentionnelle du monde. L’analyse de l’intentionnalité esthétique sera donc le premier moment de notre recherche. La nécessité du second moment se comprend à partir de l’étude du premier : l’intentionnalité esthétique est l’esthétisation de quelque chose. Il faudra bien analyser cette chose, que l’on dit être belle, et que l’on dit aussi être le motif même de son esthétisation par le sujet. L’intentionnalité esthétique aurait sa justification et sa motivation dans la nature elle-même de l’objet beau. C’est dans le même sens que uploads/Philosophie/ phoir-007-0055.pdf

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