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Grand Place, 45 bte L3.01.01, 1348 Louvain-la-Neuve, Belgique https://uclouvain.be/fr/facultes/theologie Religion et philosophie chez Averroès et Maïmonide Vers la constitution d’une identité croyante Mémoire réalisé par Arthur Dorin Teodorescu Promoteur(s) Marc Maesschalck Lecteur(s) Abdessamad Belhaj Année académique 2016-2017 Master en sciences des religions, à finalité approfondie Faculté de théologie (TECO) Arthur Teodorescu, Religion et philosophie chez Averroès et Maïmonide, UCL, 2016-2017 1 Introduction « Conficitur inde veram esse philosophiam veram religionem, conversimque veram religionem esse veram philosophiam » (Erigène, De praedestinatione, dans Gilson, 1921, p. 7). De quelque manière les philosophes questionnés dans ces pages auraient-ils pu se rapporter à cette phrase, ils l’auraient certes immédiatement comprise. Ce qui pour nous, aujourd’hui, n’est peut-être pas tellement assuré, en raison de la séparation de longue date intervenue entre des domaines qui sont devenus, en ce qui nous concerne, imperméables. Ce travail se propose d’investiguer un rapport particulier qu’ont pu entretenir au cours de l’histoire la religion et la philosophie. Ce rapport est abordé d’un point de vue qui se veut philosophique, sans pourtant se subsumer à une philosophie de la religion, telle que la discipline s’est développée à partir des Temps Modernes, à travers les Lumières, l’idéalisme allemand, le positivisme du XIXème siècle etc. et jusqu’à la contemporanéité qui est la nôtre, postmoderne ou déjà au-delà de ce label. En choisissant un moment délimité dans l’histoire, le XIIème siècle, avec deux penseurs issus de traditions religieuses différentes, mais dont chacun a marqué d’une manière insigne sa respective tradition et pas seulement, nous entendons explorer la façon dont ce rapport a pu avoir un rôle dans la constitution d’une identité croyante que chacune de ces traditions a ultérieurement englobée, réfutée ou oubliée, tout en gardant ses traces. Pour cette tâche nous avons choisi deux philosophes de premier rang, Averroès/Ibn Rushd (1226-1198) et Maïmonide/(Rabbi) Moshe ben Maïmon (1238-1204), non seulement en raison de leur quasi-contemporanéité, ou de leur origine commune cordouane, mais surtout parce que, même si leur biographies ne se sont jamais intersectées, leur parallélisme traverse, avec des détours dus aux traditions religieuses respectives pourtant significatifs, un même milieu intellectuel qui était en gros celui de l’aristotélisme arabe médiéval. Et plus important Arthur Teodorescu, Religion et philosophie chez Averroès et Maïmonide, UCL, 2016-2017 2 encore, tous les deux se sont explicitement posés le problème du rapport entre religion et philosophie. En général, à l’époque, les philosophes étaient aussi théologiens ou avaient au moins connaissances poussées de théologie, tandis que la réciproque n’était toujours valable. Le besoin de penser la relation entre la vérité de la foi révélée et celle obtenue par l’exercice de la raison humaine, entre la tradition religieuse et celle d’une pratique philosophique n’était aucunement une nouveauté au XIIème siècle, partout où l’héritage de l’Antiquité païenne, grecque notamment, avait déjà rencontré un des trois monothéismes abrahamiques, ou parfois même deux ou toutes à la fois. Comme « la vérité ne peut contredire la vérité », se manifestaient tentatives ou bien de les concilier, ou bien d’éliminer la « fausse » vérité (philosophique, d’habitude) en bénéfice ou par l’intermède de la vraie (en général, sinon toujours, religieuse). Au besoin, le bras séculier était là pour trancher la dispute. Méthodologiquement, nous allons nous adresser à nos philosophes mêmes, à travers un choix de textes, accompagnés bien entendu de leurs commentaires datant de notre époque, concernant les lieux de rencontre ou, et c’est la même chose, de divergence entre la philosophie et la religion, concernant des nœuds problématiques d’importance fondamentale pour la compréhension du monde et l’action et la liberté humaines. Des questions relatives, par exemple, à l’existence, l’unicité et l’incorporalité de Dieu, à l’éternité ou à la création du monde, à la causalité divine, étaient abordées en égale mesure par les philosophes et les théologiens (qui empruntaient souvent aux premiers d’une manière plus ou moins appropriée les outils, ce qui rend plus difficile, et parfois impossible, la différenciation, surtout lorsque le philosophe et le théologien habitent la même personne). On peut constater en ce sens un double mouvement dans la connexion entre le philosophique et le religieux. Dans le premier, allant de la philosophie à la théologie, les contenus de la foi sont munis d’un fondement argumentatif supposé certifiant, censé donc la confirmer. Dans l’autre, inversement, la philosophie reçoit de la religion du « matériau » pour son exercice, c’est-à-dire des thèmes ou des concepts, mais aussi des exigences et des finalités autres que celles qu’elle avait habituellement de par et pour elle-même. Nous nous proposons de montrer comment, au carrefour de cet échange pourtant asymétrique, à partir d’une identité primaire, « naturellement » héritée par le même individu dans le cadre de sa communauté religieuse d’origine, le rapport qui s’établit entre philosophie et religion ou religion et philosophie permet à celui qui y est exposé la constitution d’une identité seconde, que nous appellerons « identité croyante », terme qui ne relève du tout de l’époque médiévale dont nous nous occupons et qui devra être explicité. Il faut pourtant préciser du début qu’il s’agira Arthur Teodorescu, Religion et philosophie chez Averroès et Maïmonide, UCL, 2016-2017 3 évidemment d’une identité « textuelle », les textes aujourd’hui disponibles étant tout ce qui nous reste des penseurs du passé On se trouve, historiquement parlant, au XIIème siècle, loin encore du changement de paradigme qui a permis dès les débuts des Temps Modernes l’apparition de l’idée (moderne) de sujet. Comment poser alors la question de l’identité sans tomber dans un des plus évidents anachronismes ? Si le sujet dans le sens moderne n’était pas encore pensé, les médiévaux avaient quand même hérité de leurs anciens (et des nôtres) le concept de l’ « âme », avec une fonction même partiellement analogue dans leurs constellations conceptuelles. Retrouvée et repensée dans la perspective d’une « archéologie du sujet», la notion philosophique de l’âme, lieu de l’intellection, parmi d’autres fonctions, pourra jouer le rôle d’un opérateur dans la constitution de la nouvelle identité. Finalement, notre identité croyante sera confrontée avec des perspectives qui nous sont contemporaines, fournies par la sociologie ou la psychologie sociale des religions. Nous avons pensé utile, tout au début, de précéder notre démarche, en indiquant aussi une grande partie du cheminement à suivre, d’un chapitre introductif concernant le rapport entre philosophie et religion dans le Moyen Âge latin, c’est-à-dire là où il nous reste le plus accessible. Deux éminents historiens-philosophes, l’un du siècle passé, l’autre contemporain, nous guideront ici, Étienne Gilson et Alain de Libera. Avec le premier, en partant de sa défense de l’existence et du sens d’une « philosophie chrétienne », on essayera surtout de comprendre le fonctionnement d’un rationalisme religieux (chrétien, en occurrence) en philosophie. Du second on retiendra ici notamment l’ouverture vers le « héritage caché » de la philosophie médiévale juive et musulmane et ses conséquences sur plusieurs traditions philosophiques à l’époque proprement dite et parfois jusqu’aux nos jours. Les deux chapitres suivants abordent la pensée de Maïmonide à partir des textes de son Guide des égarés et, en moindre mesure, de la Mishné Torah, en cherchant de comprendre pourquoi et comment le rabbin-philosophe a envisagé sa problématique, celle de l’existence, l’unicité et l’incorporalité de Dieu (chapitre II) et, conjointement, celle de la dispute entre l’éternité et la création (temporelle ?) du monde (chapitre III), à la lumière du même rapport qui nous préoccupe. Dans l’exposition, l’ordre des questions reste celle justifiée par l’auteur, et elle n’est pas anodine. On pourra identifier ici les marques du premier sens de la susdite relation, celui qui va de la philosophie vers la théologie. Arthur Teodorescu, Religion et philosophie chez Averroès et Maïmonide, UCL, 2016-2017 4 Comme le recours à la dialectique en tant que discipline et méthode de pensée est extrêmement important et non moins suspect, en cas de mauvais usage, chez tous les deux philosophes étudiés, le bref excursus comparatif qui lui est dédié (chapitre IV) est censé éclairer notre démarche en amont, vers Maïmonide, comme en aval, vers Averroès. Le chapitre suivant (V) regarde, en présentant la pensée d’Averroès exposée dans son Discours décisif, moins l’« harmonie » entre la philosophie et la religion évoquée par des traductions en anglais dans certaines versions du titre, mais justement l’acte de philosopher en tant qu’obligation religieuse (pour ceux qui en sont capables). Cette défense de l’exercice philosophique entreprise avec les moyens (dialectiques) de la science du droit religieux islamique sera interprétée dans la perspective du deuxième sens du mouvement mentionné, c’est-à-dire de la religion vers la philosophie. Le même sens du mouvement sera poursuivi dans la première partie du chapitre VI, comparatif comme le IV, où le traitement du problème de la causalité divine chez Maïmonide sera centré sur son concept d’ « épanchement », qui, en dépit de sa parenté avec le concept néo- platonicien d’émanation, nous semble plutôt inspiré de la tradition scripturaire. Au contraire, le premier sens de la relation, donc de la philosophie vers la religion, pourra être mis en évidence à partir de la conception sur la causalité avancée par Averroès, dans son Incohérence de l’incohérence. Finalement, le uploads/Philosophie/ averroes-et-maimonide.pdf

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