308 REVUE DE SYNTHESE: IV' S. N° 2, AVRIL-JUIN 1987 indivis, apres avoir ete db

308 REVUE DE SYNTHESE: IV' S. N° 2, AVRIL-JUIN 1987 indivis, apres avoir ete dbgage de l'illusion unitaire comme monde, se donne essentiellement (p. 225) dans la pratique finie comme transcendance non-thEtique, Autre non-positionnel (p. 224). Il y a un principe immanent d'agir, irreflexif — indedoublable —. Le Monde, qui n'est pas une illusion, est le signal/support (p. 235) du sens (p. 243) ou de 1'Autre non-thetique. C'est un grand livre assurtment qui justifie pleinement l'avertissement de l'auteur : « il y a lä « matiere ä critique », mais on souhaite qu'elle ne dissimule pas la realitd de I'entreprise » (p. 6). La critique devra se justifier autant que l'ouvrage qu'elle visera, sous peine d'hallucination. Qui plus est, 1'ecriture est sobre, racee. L'ensemble respire d'ailleurs Ia puissance et la serenitt ; celles-ci sont rendues totalement effectives par la vigilance et 1'exigence theorique interne les plus aigues, les plus sceptrales, les plus « reelles ». Serge VALDINOCI. HISTOIRE DES SCIENCES ET tPISTEMOLOGIE Brian EASLEA, Science et philosophie. Line revolution, 1450-1750. La chasse aux sorcicres. Descartes. Copernic. Kepler. Trad. de l'anglais par Nina GODNEFF. Paris, Ramsay, 1986. 15 x 25, 336 p., index. Cet ouvrage d'un historien britannique des sciences a paru en 1980 sous le titre plus exact de Witch-Hunting, Magic and the New Philosophy (Chasse aux sorcieres, magie et philosophie nouvelle). Je remarque que le sous-titre de la traduction francaise qui precise quelque peu le titre, a le tort d'y ajouter l'incroya- ble dCfile suivant qui est certainement une invention dblirante de gallocentrisme : « Descartes. Copernic. Kepler ». Oublions ce bouleversement pseudo-chrono- logique oü l'auteur n'est certainement pour rien et soulignons l'interet d'un travail qui, transplante dans le milieu francophone de l'histoire des sciences, y detonne heureusement. On n'a guere 1'habitude, en effet, dans ce milieu, de s'inter- roger sur la difference et l'inegalit8 traditionnelle des sexes, sur la misogynie magique de la chasse aux sorcieres, sur la misogynie Egale, mais moins trouble, de la science moderne, sur les rapports des croyances demonologiques d'une part, des doctrines mEcanistes d'autre part, avec les in6galites sociales et l'opposition des pauvres et des privilCgi6s dans des contextes successifs de peur traumatisante de la nature et de confiance en sa reduction A un mtcanisme conqucrant. M. Easlea se garde notamment de prendre pour argent comptant !'identification classique du mbcanisme avec une sorte d'bpanouissement de l'intelligibilitC en matiere de sciences de la nature, these qui veut ignorer des conceptions mecanistes I'audace souvent extravagante, les refus parfois insoutenables, les echecs et les obscu- COMPTES RENDUS 309 rites, pour ne retenir que leurs triomphes, et affirmer, avec l'aplomb d'un manque total d'esprit historique, l'avbnement de la Raison et l'accession ä la Write ou la sortie definitive hors des tenbbres de 1'ignorance et de l'absurdite. Le besoin de comprendre scion quelles transformations s'est produite, dans la societe europeenne,l'exasperation de la chasse aux sorcibres, suivie de son declin et de sa disparition (1'exasperation : 1580-1650, disparition quasi complbte : vers 1670 en France) n'empeche pas I'auteur de decrire les traits conceptuels de la cosmologie aristotelicienne, puis de I'astronomie de Ptolemee et de la revolution marquee par le nom de Copernic, puls par ceux de Galilee, de Kepler, de Descartes, de Newton (de ces quatre, le premier et le dernier exclus de la couver- ture, on ne sait trop pourquoi). Ces chapitres paraltront moins originaux au lecteur francais, encore que ce qui est dit de Descartes a propos de son explica- tion mecaniste du magnetisme manifeste un souci de precision peu frequent de ce c8te-ci de la Manche, oü les Principia cartesiens ne sont que peu etudies. La reduction de certaines « sympathies » ä des explications mecanistes du style de la magie naturelle est bien vue (les plaies de l'assassine qui se rouvrent ä l'appro- che de l'assassin, cf. p. 138, voir aussi p. 35, 146, 166, sont « reinterpretees » dans la traduction francaise des Principes, iv, n° 187, cf. ma note A ce sujet, Revue phiios., 1984, p. 219-220). C'est que l'auteur se montre attentif aux accom- modements non moins qu'aux conflits de la mentalite demonologique avec la magie naturelle dont le representant le plus eminent, le chancelier Bacon, est peut-etre trop sommairement evoque, bien que son accord avec la religion et sa conception utilitaire de la science nouvelle soient soulignes ä bon droit. « Il n'etait nullement evident, ecrit B. Easlea, dans les annees 1650, que les tenants de la magie naturelle purifiee, ou philosophie mecaniste, finiraient par l'emporter — ce qui conduit ä s'interroger sur les raisons de la victoire, au tour- nant du siècle, de la cosmologie fort peu plausible des philosophies mEcanistes et du succtis de Ia theorie preformationniste de I'emboftement » (p. 11). La reponse (ibid.) tient essentiellement en ceci : « la disparition des proces de sorcellerie au cours de la seconde moitie du xvtt• siècle s'explique par la stabilite et ('assurance croissante des classes privilbgiees [...] et par la volonte bien arretee de s'appro- prier le monde physique. » Le mecanisme, envisage d'un point de vue purement theorique, gagne en effet contre l'horreur du vide, mais s'epuise en subtilites contre le magnetisme, des les debuts de sa kitte. Finalement, il doit ceder la place e l'attraction gravitationnelle dont la science newtonienne reconnait d'experience la realite et la determine avec rigueur, en conservant du mecanisme seulement l'esprit nouveau de conquete et de maitrise, tout en en depassant les limites, c'est-ä-dire sea prejuges theoriques et son recours insuffisant aux operations de mesure, par l'emploi systematique d'un mathematisme experimental issu, moins paradoxalement qu'il n'y paralt, de la persistance d'une tradition baconienne, il est vrai elargie par l'enseignement de 1'ecole de Galilee et aussi de celle de Descartes, non moins que de Kepler. Cc qu'il convient de mettre en relief dans la reflexion generalement bien documentee de l'Auteur, c'est ce fait remarquablement peu percu dans 1'ecole fransaise d'histoire des sciences que le triomphe, püis le depassement des conceptions mecanistes non seulement se sont accompagnbs de luttes sociales 310 REVUE DE SYNTHESE : IV' S. N° 2, AVRIL-JUIN 1987 d'une extreme durete, mais meme en ont fte largement conditionnds. Le mbcanisme, nous dit l'Auteur, n'apportait pas seulement certaines valeurs de clart6 et de puissance d'explication, ainsi qu'il Ie reconnait volontiers ; cette Philoso - phie « btait generalement regardee comme une philosophic "antisubversive", soutenant la religion et l'ordre social face ä la menace de la magic naturelle et des "illumines" [...J eile legitimait et faisait apparaitre comme possible l'appro- priation du monde naturel sans mettre on cause la nature miraculeuse des oeuvres du Christ » (p. 239). Au contraire, la « magic naturelle » non purifiEe, comme dit B. Easlea, c'est-ä-dire soit naturaliste, soit plus ou moms illuminbe, avait partie life, notamment pendant Ja Revolution anglaise, avec les mouvements de revolte des desheritbs, Levellers (Niveleurs) et autres, parfois athEes, souvent egalitaris- tes, toujours dangereux aux yeux des possbdants ; quelle que füt lour eventuelle religiosite, les uns niant 1'existence du diable, les autres gardant des liens plus btroits aver les croyances dCmonologiques (communes aux sorciCres et ä leurs perstcuteurs, c'est-ä-dire ä des d6shCritCs de sexe principalement feminin et aux nantis d'avant les solutions mCcanistes), ils representaient une menace de subversion sociale pour les classes dirigeantes. Il est significatif qu'ä peine dCbarrasse, aprCs des hesitations, de Charles Ie', Cromwell, en 1649, Ecrase les Niveleurs. Les grandes doctrines en apparence les plus EthCrees n'organisent pas seulement de purs concepts et l'on risque de ne pas bien comprendre ces con- cepts eux-memes si Pon fait abstraction des forces sociales qui les soutiennent et contribuent ä leur confCrer une trouble et precaire Evidence on masquant leurs limites et leurs difficultEs theoriques. Quelques erreurs ou insuffisances appellent pourtant des rectifications. Ainsi, la glande pineale, centre du cerveau pour Descartes, est cc qu'on nomme aujourd'hui 1'epiphyse et non l'hypophyse (p. 145). Plus importante est la presentation erronke de 1'expErience du Puy-de-Dome : il n'est pas sflr que l'idEe on soit venue ä Pascal plut8t qu'ä Descartes, cc qui est secondaire, la creation essentielle restant en la matitre la propriEtC de Torricelli. Ce qui est stir en revanche et capital est ceci : 1°) Descartes a nettement prCvu Ie resultat ; 2°) cc resultat ne 1'a nullement derange dans ses convictions de partisan du plein. Bel exemple contre tout « experimentum crucis », dont on ne trouve plus aucune trace dans 1'exposC de 1'expErience tel quo l'offre l'ouvrage 1. D'autre part, s'il n'avait tente de dCpeindre Thomas Hobbes sous les traits d'un athAr, dons la ligne des ragots d'epoque et A l'encontre de tout cc que Von pout tirer des textes memes de 1'interessE et de ses relations amicales avec Mersenne et Gassendi, sous les traits aussi d'un matErialiste (cf. p. 196-197), alors que son mEcanisme a absolument besoin d'un ordonnateur supreme et que son pseudo-matCrialisme est unifie sous une necessit6 venue d'en-haut, l'auteur aurait mieux situb, en plein accord avec sa these d'ensemble, la pensbe de Hobbes du c6td des privilCgies auxquels le rattachaient ses liens avec la cour uploads/Philosophie/ bernhardt1987-article-histoiredessciencesetepistemol 1 .pdf

  • 31
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager