André KOPACZ LA PLENITUDE ONTOLOGIQUE DU VIDE Thèse présentée et soutenue publi
André KOPACZ LA PLENITUDE ONTOLOGIQUE DU VIDE Thèse présentée et soutenue publiquement le 17 avril 2015 en vue de l’obtention du doctorat en Philosophie de l’Université Paris Ouest-Nanterre-La-Défense sous la direction de M. Jean Seidengart Jury : Mme N. Depraz, Professeur de Philosophie à l’université de Rouen M. J. Barash, Professeur de philosophie à l’Université d’Amiens (Rapporteur) M. F-D Sebbah, Professeur de philosophie à l’Université de Paris Ouest-Nanterre M. J-J Szczeciniarz, Professeur de philosophie à l’Université Paris 7- Diderot (Rapporteur) M. J. Seidengart, Professeur de philosophie à l’Université de Paris Ouest-Nanterre (Directeur) Remerciements Je remercie Monsieur le Professeur Seidengart pour sa disponibilité, son écoute et son apport conceptuel en cosmologie qui fut déterminant lors de cette recherche. Je tiens également à lui exprimer ma reconnaissance pour la liberté d'invention philosophique qu'il m'a accordée pour un travail ne s'apparentant pas à un commentaire érudit. 1 Introduction Plénitude du vide, que signifie ce paradoxe ? Une fiction de pensée, simple dans son principe, permettra d’éclairer cette apparente contradiction. On la doit, dans le cadre de la philosophie contemporaine, à E. Lévinas. Dans De l’existence à l’existant, l'auteur propose d'opérer, non pas une variation imaginative phénoménologique, mais, plus radicalement, une annihilation fictive de toutes choses. Imaginons le retour au néant de tous les étants, dit Lévinas, ceux-là même qui constituent la réseau de l’univers, du microcosme au macrocosme. Que reste- t-il après cet anéantissement ? Plus rien ne semble devoir subsister. « Mais ce rien n'est pas celui d'un pur néant. Il n'y a plus ceci, ni cela; il n'y a pas «quelque chose» Mais cette universelle absence est, à son tour, une présence, une présence absolument inévitable.»1 Ce qui persiste, c’est un néant qui ne tarde pas à se retourner en une présence pure que l’on exprimera par cette courte formule : il y a. «Cette «consumation» impersonnelle, anonyme, mais inextinguible de l’être, celle qui murmure au fond du néant lui-même, nous la fixons par le terme d’il y a. L’il y a, dans son refus de prendre une forme personnelle, est l’«être en général »2. L'expression «il y a» n'est certes pas un concept mais permet de saisir ce qu'il faut entendre par présence pure. Elle est l'équivalent français du «es gibt» heideggérien bien qu'elle ne contienne aucune idée de donation. Cette universalité du concept, «l’être en général», indique que son corrélat effectif aurait une certaine amplitude qui dépasserait la finitude ontique. Lévinas est, sur ce point, on ne peut plus explicite, lorsqu'il commente dans un autre de ses ouvrages ce qu'il entendait déjà par la formule «il y a» : «Quelque chose qu’on peut ressentir aussi quand on pense que même s’il n’y avait rien, le fait qu’«il y a» n’est pas niable. Non qu’il y ait ceci ou cela; mais la scène même de l’être est ouverte: il y a. Dans le vide absolu, qu’on peut imaginer d’avant la création – il y a » 3. C'est tout le champ antéprédicatif de l'immatériel qui s'ouvre alors. 1 E. Lévinas, De l'existence à l'existant, Vrin, p. 94. 2 Ibid. 3 E.Lévinas, Ethique et infini, Fayard, biblio essais, p. 38 2 Nous voici transportés dans une dimension cosmologique ou, plutôt acosmique, devrait-on dire, car toute chose, tout monde a été consumé pour obtenir cette rémanence ontologique.4 C'est ainsi qu'il s'agirait de lire, selon Lévinas, le titre du livre de Blanchot, «L'écriture du désastre» où «désastre » signifierait, en dehors de toute connotation dépréciative, « comme de l’être qui se serait détaché de sa fixité d’être, de sa référence à une étoile, de toute existence cosmologique, un dés-astre »5. Que Lévinas situe son expérience de pensée dans un cadre créationniste ne pose pas problème en soi. Certes, du point de vue du physicien, son approche du vide comme contenant neutre ou espace absolu antérieur à tout ce qui pourrait s’y loger par le fait d’une création ou non paraît ne pas tenir compte des apports de la cosmologie contemporaine. Mais ce qui importe ici, c'est le sens d'une telle fiction, le sens de l’espace en tant que présence pure suivant laquelle, en l’espace, il y a en soi. En fait, ce qu’opère l'auteur de De l'existence à l'existant n'a rien de véritablement original. La fiction de la néantisation traverse l'histoire de la philosophie au moins depuis le Moyen-Age. L'intérêt de la chose est que Lévinas opère cette fiction dans le cadre d'une problématique de l'ontologie contemporaine. Elle impose de penser l'effectivité et la nécessité absolue de la présence pure. Face à cette présence irréductible, la négation découvre les limites de son pouvoir. Elle ne trouve plus aucune prise sur laquelle s'exercer. Chaque négation a l'efficace d'un coup d'épée dans l'eau mesuré à ce néant de déterminations ontiques. La nécessité de la présence constitue une sorte de chape de plomb, d'autant plus lourde qu'elle n'est rien (d'ontique). La négation s'y révèle sans portée car sans objet. La présence pure est à la fois la moindre des choses et la plus grande des nécessités. Elle est donc la première et l'ultime des réalités. Ultime parce qu'indéniable, première car fondamentale. Présence aussi de tout et de rien. De tout, car de tout étant, elle est en effet le fondement. De rien, car, suivant son indépendance ontologique, elle n'est la propriété d'aucun sujet ni d'aucun objet. Cette inanité de la négation valant pour elle-même évoque la critique bergsonienne du néant. Bergson démontre en effet que là où l'on s'attendait à trouver un étant qui vient à manquer, c'est toujours un autre étant qui remplit la 4 E.Lévinas, De l'existence à l'existant, Vrin, p. 121. «Le monde des formes s'ouvre comme un abîme sans fond. Le cosmos éclate pour laisser béer le chaos, c'est-à-dire l'abîme, l'absence de lieu. L'il y a. » 5 Ibid. p. 40-41. 3 place. «Le plein succède toujours au plein »,6le réel n'est qu'affirmation. A une réalité se substitue toujours une autre réalité. «Si la réalité présente n'est pas celle que nous cherchions, nous parlons de l'absence de la seconde, là où nous constatons la présence de la première. »7 Une intelligence qui ne serait qu'intelligence, comme le dit Bergson, c'est-à-dire qui n'aurait ni désir, ni regret mais serait directement branchée sur le réel, sans aucune considération psychologique, ne constaterait que de l'étant présent, succédant immanquablement à un autre étant présent. Demeurant exclusivement dans la sphère ontique, l'analyse bergsonienne serait oublieuse de la différence ontologique entre l'être et l'étant. Lévinas estime en effet que celle-ci ne vise que la nécessité de la réalité ontique, et manque la question de l’être. Qu'en est-il alors de l’être en tant qu’être ? Pour une pensée de la plénitude et de la positivité comme celle de Bergson, ce qui importe est de montrer qu'il n'y a jamais de rien, de néant ou d'absence en soi, et qu'à ce titre, ce sont là de pseudo-concepts. Toujours il s'agit de demander à ceux qui seraient prêts à accorder une quelconque légitimité et autosuffisance à ces idées, de quoi ce rien est-il l'absence, de quoi ce néant est-il la néantisation. C'est donc la positivité de son corrélat qui valide un concept, quel que soit l'étant (ou l'être) auquel ce concept se réfère. Ainsi la fiction de pensée qui mène Lévinas à concevoir le vide absolu nous fait passer d'un type de réalité à un autre; de l'ontique à l'ontologique, du physique au métaphysique, du présent à la présence, mais jamais de quelque chose à un néant absolu. Dans cette perspective plus large, la critique bergsonienne du néant nous semble conserver toute son actualité. C'est en ce sens que l'on entend l'expression «plénitude ontologique du vide»: le vide y est plein de la présence pure ; présence indéniable, inéluctable, indépassable. Il nous est impossible de penser que l’être ne soit pas. Invariablement, on retombe sur son irréductible nécessité. Nécessité absolue, tel pourrait être l'un des premiers noms propres de l’être. «Le frôlement de l' il y a, c'est l'horreur.»8 Touchant à l'incommensurable, 6 Bergson, L'évolution créatrice, P.U.F., Quadrige, chapitre IV, p. 282. 7 Ibid, p. 273. 8 E. Lévinas, De l'existence à l'existant, Vrin, p.98. 4 l'approche de Lévinas se teinte d'une coloration affective. Cette «menace indéterminée de l'espace lui-même» n'est pas sans réveiller chez lui le souvenir des spectres shakespeariens d'Hamlet ou de MacBeth dont l'existence fantomatique se situe entre l’être et le néant. On pourrait y adjoindre l’effroi cosmique d’un Lovecraft. L 'il y a comme extension de la nuit joue également sur cette ambiguïté de la présence et de l'absence, de la persistance et de l'évanescence. La nuit, le silence des espaces infinis du libertin selon Pascal, inspire chez Lévinas l'horreur. Mais, alors que l'angoisse heideggérienne est liée à la possibilité de ne plus être, l'effroi chez Lévinas est soumis à la nécessité absolue de cette présence anonyme qui demeure indéfectiblement au-delà de toute négativité. Il s'agit là d'une présence qui ne peut pas ne pas être, obstinée dans son éternité plutôt que d'un Dasein irrémédiablement attaché à sa propre finitude et voué à la mort. Les solutions uploads/Philosophie/ plenitude-ontologique-du-vide.pdf
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- Publié le Apv 04, 2021
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