Bruno BERNARDI LA FABRIQUE DES CONCEPTS recherches sur l'invention conceptuelle

Bruno BERNARDI LA FABRIQUE DES CONCEPTS recherches sur l'invention conceptuelle chez Rousseau PARIS HONORÉ CHAMPION ÉDITEUR 2006 www.honorechampion.com Ce livre, comme la thèse dont il est issu, n’aurait pas vu le jour sans les encouragements de Pierre-François Moreau. Les recherches personnelles qui l’ont préparé ont trouvé une autre stimulation dans celles menées collectivement au sein du Groupe Jean-Jacques Rous­ seau, avec Biaise Bachofen, Isabelle Bouvignies, André Charrak, Florent Guénard, Claire Koenig, Géraldine Lepan, Gilles Ollivo, Mathilde Panoff (t), Gabrielle Radica, Gabriella Silvestrini, Céline Spector, et Ghislain Waterlot. Diffusion hors France: Éditions Slatkine, Genève www.slatkine.com © 2006. Éditions Champion, Paris. Reproduction et traduction, même partielles, interdites. Tous droits réservés pour tous les pays. ISBN: 2-7453-1296-0 Pour Anne-Marie, Laure, Cécile, Claire et Luz A v e r t is s e m e n t Références Les références à Rousseau seront données dans l’édition des Œuvres complètes (OC), publiées sous la direction de B. Gagnebin et M. Raymond, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1959-1995,5 volumes. Exception sera faite pour les oeuvres suivantes : Institutions chimiques, texte revu par B. Bernardi et B. Bensaude-Vincent, Paris, Fayard, Corpus des œuvres philosophiques de langue française, 1999. Discours sur l ’économie politique, édition, introduction et commentaire sous la direction de B. Bernardi, Paris, Vrin, 2001. Principes du droit de la guerre, édition établie et présentée par B. Bernardi et G. Silvestrini, Annales J.-J. Rousseau, t. XLVI, Genève, Droz, 2005. Du contrat social, édition présentée et annotée par B. Bernardi, Paris, GF- Flammarion, 2001. Profession de foi du vicaire savoyard, édition présentée et annotée par B. Bernardi, Paris, GF-Flammarion, 1996. Lettre sur la vertu, AJJR, t. XLI, 1997, p. 318-327. Abréviations Premier Discours (Discours sur les sciences et les arts) Second Discours (Discours sur l'origine et les fondements de l ’inégalité parmi les-hommes) DEP (Discours sur l'économie politique) IC (Institutions chimiques) PDG (Principes du droit de la guerre) NH (Julie, ou La nouvelle Héloïse) Ms G (première version du Contrat social ou Manuscrit de Genève) CS (Du Contrat social ou Principes du droit politique) Emile (Émile ou De l ’éducation) PFVS (Profession de foi du vicaire savoyard) LEM (Lettres écrites de la montagne) AJJR (Annales Jean-Jacques Rousseau) In t r o d u c t io n Le titre insolite sous lequel est présenté ce volume demande quelques explications. Celles-ci auront trait à l’enjeu de ce travail, à son processus d’élaboration, enfin aux rapports entre sa méthode et son objet. 1. L e m o s in v e n ie n d i c o m m e q u e s t i o n p h ilo s o p h iq u e La stature philosophique de Rousseau n’a jamais sérieusement fait de doute : il s’est vu reconnaître, plus qu’aucun autre des philosophes français du XVIIIe siècle, comme un philosophe à part entière. Kant puis Hegel, en faisant de lui l’un de leurs interlocuteurs majeurs, y ont beaucoup contribué. Pourtant, le statut philosophique de son œuvre a été et reste - bien que la position du problème ait été déplacée par un siècle de recherches1 - dans une large mesure problématique. Dans la langue et la pensée, en France et dans l’Europe entière, au cours des vingt années à peine durant lesquelles Rousseau publie2, les termes de « philosophe » et de « philosophie » sont revêtus d’une signification bien particulière : Voltaire et l’Encyclopédie en sont les 1 En 1904, il y a cent ans précisément, était fondée, à Genève, l’Association J.-J. Rousseau. L’année suivante paraissait le premier volume des Annales Jean-Jacques Rousseau. Même si la fin du XIXe siècle avait vu paraître quelques études remarqua­ bles, cette date marque incontestablement la constitution du champ des études rousseauistes. Le temps serait sans doute venu de faire un bilan de ce siècle de recherches. 2 Les œuvres majeures de Rousseau, on l’oublie souvent, ont été publiées dans un laps de temps remarquablement court : avant 1751, date de parution du premier Discours, il est appréhendé comme Rousseau le musicien, et c’est à ce titre que D’Alembert s’assure ses services pour la publication de l’Encyclopédie. Les Lettres écrites de la Montagne (1764) et le Dictionnaire de Musique (1768) sont les dernières publiées sous son nom de son vivant. 10 L a f a b r iq u e d e s c o n c e p t s référants symboliques. Rousseau peut-il être désigné par le signifiant « philosophe » ainsi entendu ? Poser la question, tant une réponse positive ou négative est également impossible, revient à mettre en évidence un problème que ses contemporains ont d’emblée saisi et que les historiographes n’ont cessé d’explorer1. En se déplaçant du terrain biographique (comment expliquer la rupture de 1758 avec Diderot et les démêlés qui s’ensuivirent ?) à celui des principes (les objets, les méthodes, les formes discursives, les présupposés de Rousseau le séparent-il de ses contemporains ou en font-il un des leurs ?), la question n’a pas perdu de son acuité et le constat reste tout aussi contrasté : Rousseau est et n’est pas un philosophe des Lumières. Les historiens de la philosophie se sont heurtés à une difficulté parallèle chaque fois qu’ils ont voulu situer la pensée de Rousseau dans le continuum de l’histoire d’une discipline ou dans la succession des « grandes philosophies ». Si l’on comprend de mieux en mieux qu’il partage bien des questions et des attitudes de pensée avec les philosophies de son temps2, si (en dépit de la légende à laquelle il a lui-même contribué) on a reconnu que ses lectures philosophiques ont été plus amples qu’on ne croit souvent3, il est impossible de le situer dans le cadre d’un courant ni dans une quelconque filiation4. Plus Une synthèse récente par Didier Masseau : Les ennemis des philosophes. L'antiphilosophie au temps des Lumières, Paris, Albin Michel, 2000, p. 368-376. 2 Le dialogue qu’il entretient avec Diderot est bien connu, celui - non moins important - qu’il a avec Condillac commence à l’être mieux. Récemment : André Charrak, Empirisme et métaphysique : « VEssai sur Vorigine des connaissances humaines » de Condillac, Paris, Vrin, 2003. 3 Jean Morel, dès 1909, avait montré combien de lectures avaient préparé le second Discours : « Recherches sur les sources du Discours de l’inégalité », AJJR, t.V, p. 119-198 ; de même Pierre-Maurice Masson dans son édition critique de la Profession de foi du vicaire savoyard, Fribourg-Paris, Hachette, 1914. R. Derathé avait montré sa connaissance précise des théoriciens du droit naturel et du droit politique : J.-J. Rousseau et la science politique de son temps, Paris, PUF, 1950 (Vrin, 1995). Une foule d’études ont mis en évidence sa familiarité avec Platon, Aristote et les stoïciens, Machiavel, Montaigne, Pascal, Malebranche et, dans une certaine mesure, Descartes, Spinoza et Leibniz. 4 Ce qui n’empêche pas que, périodiquement, de telles tentations se manifestent : ainsi de la vogue dans les dernières décennies d’un Rousseau malebranchiste : Alberto Postigliola, « De Malebranche à Rousseau : les apories de la volonté générale... », AJJR, t. XXXIX, 1977 ; Patrick Riley, The général Will before Rousseau. The Transformation ofthe Divine into the Civic, Princeton, Princeton UP, 1986. In t r o d u c t io n 11 nettement encore, aucune de ses œuvres (même le Contrat social, même Y Émile) ne peut être inscrite dans la continuité des formes discursives (l’enquête, l’essai, le traité, les dissertations, les systèmes) des philosophes qui le précédent ou le suivent. L’objet Rousseau reste difficilement assignable dans l’histoire de la philosophie comme discipline. Les interprètes de la pensée de Rousseau se sont heurtés d’une autre façon à ce problème : Rousseau lui-même se considère-t-il comme un philosophe et si oui en quel sens ? Ils ont été généralement conduits à répondre à cette question en mettant en évidence que le terme de philosophie désigne pour lui deux réalités à contre distinguer : une philosophie spéculative et « parliere » ! qu’il taxe de sophisme et une « véritable philosophie »2, à portée essentiellement pratique et relevant de la sagesse, dont il se réclame. De là l’embarras de Jean Starobinski, affirmant simultanément que la pensée de Rousseau constitue « une des « grandes philosophies » de l’âge des Lumières » et qu’elle se situe « hors de l’universalité du discours philosophique »3. La philosophie de Rousseau serait de celles qui ne sont intelligibles que comme remise en question du statut même de la philosophie. Ce serait, pour reprendre un vocable qui a connu une fortune récente, une de ces philosophies qui devrait se penser comme non philosophie. On pourrait montrer que ces trois problèmes n’en font qu’un ou, plus exactement, que rendre compte de la pensée de Rousseau consiste à penser comment chacun, dans cet ordre, reconduit à l’autre. On pourrait également mettre en évidence que le résultat le plus clair des études rousseauistes a été de surmonter la simplicité de ces dichoto­ mies. Rousseau occupe une place que l’on pourrait de ces trois points de vue qualifier comme de dedans-dehors, de uploads/Philosophie/ la-fabrique-des-concepts-recherches-sur-l-x27-invention-conceptuelle-chez-rousseau-by-bruno-bernardi.pdf

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