Rudolf Boehm Le fondamental est-il l'essentiel ? (Aristote, Métaphysique Z 3) I

Rudolf Boehm Le fondamental est-il l'essentiel ? (Aristote, Métaphysique Z 3) In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, Tome 64, N°83, 1966. pp. 373-389. Citer ce document / Cite this document : Boehm Rudolf. Le fondamental est-il l'essentiel ? (Aristote, Métaphysique Z 3). In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, Tome 64, N°83, 1966. pp. 373-389. doi : 10.3406/phlou.1966.1335 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1966_num_64_83_1335 Le fondamental est-il l'essentiel ? (Aristote, Métaphysique Z 3) Les considérations que nous voudrions soumettre auront un caractère polémique. Cela vaut tout d'abord pour la première partie de notre exposé. Nous nous efforcerons de montrer que, selon Aris tote, le concept de « sujet », d'ÔTCOxeÉjievov demeure décidément un concept insuffisant pour saisir l'essentiel de l'être des choses, pour la « substance », pour 1* oboia. : etpirjxat xi tcox' êaxlv ^ oôafa, ôxi xô |vJ] xa^'ÔTroxetjiévou àXXà xafr' ou xà SXXa. Set 8è ji/y) |idvov oftxtoç'oà yàp foavdv (1). En réaffirmant cette insuffisance et le caractère insu rmontable de celle-ci, nous nous opposerons de la façon la plus directe à une interprétation établie depuis longtemps, tout au moins depuis S. Thomas (encore que pour S. Thomas le problème se pose sous une forme originale). Mais ce n'est pas là la raison pour laquelle nous vous avertissons d'avance du caractère polémique de notre communication. Aussi n'y a-t-il personne dans ce cercle auquel nous avons l'honneur de nous adresser qui nous fera un reproche d'opposer une critique à des interprétations tradition nelles, fussent-elles défendues par les plus illustres auteurs et com mentateurs de notre histoire. Si donc nous vous prévenons expressé ment du caractère polémique de nos considérations, c'est pour une autre raison. Nous parlons de polémique, et non seulement de cri tique. Et par polémique, on entend, sinon un excès de critique, du moins une critique poursuivie pour elle-même. Nous voudrions donc vous avouer que nous sommes tenté de croire effectivement que la vocation de la philosophie est, non pas tout à fait en ce sens peu précis, mais pourtant dans un sens qui pourrait sembler (*> Texte d'un exposé présenté au Séminaire de philosophie ancienne et méd iévale, organisé par le Centre De Wulf-Mansion de l'Institut supérieur de Philo sophie de Louvain (20 mars 1963). <■> Métaphysique, Z 3, 1029 a 8-9. 374 Rudolf Boehm être celui-là, une vocation polémique. Nous n'entendons assurément pas par là que les philosophes auraient pour mission de chercher querelle à tout le monde, encore que ce n'est peut-être pas un hasard si tel paraît être son désir à beaucoup d'autres. Ce qui nous semble, c'est que la tâche de la philosophie ne peut s'accomplir sans quelque recours à une certaine violence. Assurément, à nou veau, il ne pourra s'agir ici que d'une violence verbale. Il s'agira de cet effort violent qu'il faut pour faire ressortir d'une position donnée ses ultimes conséquences, pour découvrir les axiomes sur lesquels s'appuie en dernière analyse telle orientation de l'esprit ou d'un travail de l'homme, pour explorer les possibilités extrêmes réservées au monde, à l'histoire et à l'humanité, pour poser des questions qui pourraient encore se poser « à la limite ». Et cette sorte d'extrémisme n'a-t-elle pas toujours été un caractère distinctif des grandes philosophies — à leur époque ? Nous nous bornerons à vous en donner un seul exemple : il semble aujourd'hui défin itivement établi que les sciences de la nature, et en particulier la physique, se soient enfin engagées sur la bonne voie, et même sur la voie royale du vrai savoir, du moins en ce qui concerne, pré cisément, la connaissance de la nature. Que les triomphes des sciences modernes soient éventuellement acquis au prix d'un aban don et d'une perte de ce qui devrait faire le vrai objet d'une recherche de la nature, cette possibilité ne semble plus guère aujour d'hui être réelle, ne semble plus guère prêter matière qu'à des spé culations gratuites de philosophes. Précisément ! Et nous croirions que c'est là en effet une tâche du philosophe, et qui ne saurait manifestement être celle d'aucun savant, que de revenir sans cesse par ses questions sur pareilles possibilités extrêmes, aussi minimes paraissent-elles, et aussi longtemps qu'elles ne s'avèrent pas déf initivement exclues, et d'une certitude absolue (3). En effet, il y a des possibilités qui semblent et qui sont très peu probables, mais dont les conséquences seraient d'une portée extraordinaire si jamais elles s'avéraient, en dépit de tout, être des réalités. Or on ne peut insister sur la portée des possibilités de limite sans faire violence à tout ce qui les contredit, sans nécessairement exagérer, sans attaquer tout ce qui semble établi et qui l'est en effet, sans se lancer dans la polémique. <a> Cf. notre article: Les aciencea exactes et l'idéal huaserlien d'un savoir rigoureux, dama Archives de Philosophie, 27 (1964), pp. 424-438. Le fondamental est-il l'essentiel ? 375 Voilà une bien étrange introduction pour un exposé relatif à une question d'interprétation d'Aristote. Mais le fait est, nous le disions déjà, que nous n'entendons consacrer qu'une première partie de cette communication à ce problème d'interprétation. Ce que nous voudrions y montrer, nous ne saurions de toute façon le prouver dans le cadre de cette conférence. Nous avons essayé d'en fournir une preuve détaillée dans une centaine de pages d'un travail plus étendu (3). Ces choses-là ne sont pas à prouver par des conférences, mais doivent l'être par écrit, de telle sorte que le lecteur puisse examiner à l'aise et à loisir l'argument. Nous nous limiterons donc, en ce qui concerne cette question, à vous exposer notre thèse et à chercher à vous convaincre seulement que cette thèse n'est du moins pas absurde et que la question à laquelle elle répond vaut la peine d'être posée et méditée. Mais nous ferons cet exposé pour en venir à une autre question, et qui sera la question de la portée qu'il faudra reconnaître à la réponse qui sera finalement donnée à notre première question, cette question d'interprétation d'Aristote. Nous vous annonçons donc d'emblée cette autre question que nous poserons et qui sera celle-ci : quelle différence cela fera-t-il que de dire, soit que, selon Aristote, la notion d'Orcoxefyievov est décidé ment insuffisante pour saisir l'essentiel de l'être d'une oàatct, soit que, pour Aristote, cette notion d'ÔTtoxeÉjievov demeure le concept adéquat de l'ouata, à condition qu'on l'entende correctement ? Et nous chercherons à vous convaincre que seule la portée polémique de cette décision peut lui conférer un intérêt et un sens, qu'inverse ment, une nécessité de polémique philosophique exige que l'on accorde une importance capitale à cette décision, et enfin, que la réponse qu'on a donnée jusqu'ici à cette question d'interprétation est trop faite, elle, pour apaiser toutes les polémiques et pour éviter une alternative philosophique d'une brûlante actualité. Voilà donc la raison de cette introduction dont nous ne savons si elle a été trop longue ou trop brève. Venons-en à notre premier propos. * • * Dans la première partie de notre exposé, nous aurons donc à vous présenter, premièrement, une esquisse de l'interprétation tra- <*> Rudolf BoEHM, Da» Gmndlegende und da» Weaentlichm. Zu Aristotelet Abhandlung « Ueber da» Sein and da» Seiende » (Mataphysik Z), La Haye, Nijhoff, 376 Rudolf Boehm ditionnelle du 3e chapitre du VIIe livre de la Métaphysique d 'Aristote, deuxièmement, une critique de cette interprétation usuelle, et tro isièmement, les éléments d'une interprétation nouvelle de ce même texte. Les moments de l'interprétation traditionnelle de Z 3 peuvent à peu près se déduire à partir du seul postulat qui exige qu 'Aristote ne peut vouloir contester sérieusement la détermination de la sub stance comme sujet, qui nous est familière, du 5° chapitre des Caté gories. Dans cette hypothèse, l'insuffisance de ce concept de sujet pour saisir ce qu'est une substance ne peut viser ce concept de sujet en tant que tel. Plus particulièrement, la conséquence fâcheuse qui découle d'après Aristote d'une telle conception de la substance comme sujet, et d'après laquelle seule la matière s'avérerait être substance, ne peut être considérée à strictement parler comme une conséquence qui découlerait nécessairement du concept de sujet pour la substance. Au contraire, il doit être évident d'avance, pour Aristote, que ce n'est point seulement la matière qui peut se pré senter comme substance à titre de sujet. Pourtant cette conséquence doit être possible en quelque manière, bien qu'elle soit erronée. E<lle doit donc reposer sur un malentendu relatif au concept de sujet. Ce malentendu, à son tour, doit être rendu possible par un manque de clarté immédiate dans ce concept de sujet. Et ce sera donc en ce manque de clarté immédiate que consistera l'« insuff isance » apparente ou immédiate d'une conception de la substance comme sujet. Cette insuffisance ne signifiera qu'une nécessité de tirer suffisamment au clair la notion même de sujet si l'on veut obtenir de celle-ci un concept adéquat de ce qu'est la substance. Cette interprétation traditionnelle peut donc se caractériser par les cinq moments suivants qu'on peut en effet retrouver, implicitement ou explicitement, dans tous les commentaires qui la défendent : 1° II est supposé qu* uploads/Philosophie/ boehm-rudolf-le-fondamental-est-il-l-x27-essential-aristote-metaphysique-z-3.pdf

  • 21
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager