STEVE BOBILLIER, L’éthique de la personne, Liberté, autonomie et conscience dan
STEVE BOBILLIER, L’éthique de la personne, Liberté, autonomie et conscience dans la pensée de Pierre de Jean Olivi (Etudes de Philosophie médiévale CXI), Vrin, Paris, 2020, 285 p. S’il est un thème de la réflexion éthique qui ne peut laisser personne indifférent parce que chacun sait, sans devoir longtemps réfléchir, qu’il se sait concerné par lui, c’est bien celui de l’acrasie : ce mot, qui vient du grec a-kratos, sans force, pour la traduction duquel il n’y a pas vraiment de consensus, s’explicite par ces deux questions troublantes : pourquoi peut-on choisir et faire le mal en toute connaissance de cause et en toute liberté ? Et pourquoi notre conscience ne s’oppose-t-elle pas à ce choix ? Stève Bobillier a eu le courage d’attaquer de front ce problème délicat - à vrai dire, encore assez peu débattu malgré son importance -, et c’est en se référant à l’œuvre et à la pensée d’un théologien du XIIIè siècle en pays d’Oc, Pierre de Jean Olivi, qu’il a trouvé des réponses prégnantes de sens à ce sujet. « Etant le penseur qui défend avec le plus de radicalité l’absolue autodétermination de la volonté, dit-il dans l’introduction méthodologique, il nous semble en effet intriguant d’envisager la manière dont il aborde la question de la faiblesse de la volonté » (p.20). Et ceci, d’autant plus que cet auteur est l’un des premiers, avec Richard de Mediavilla (1243-1308) à s’être intéressé à la démonologie « pour expliquer les motivations des anges à opter pour le péché » (Ibid.). C’est un magnifique parcours en cinq étapes que nous fait faire Stève Bobillier pour tenter d’objectiver cette problématique et mettre un peu de lumière dans cet abîme nocturne de l’acrasie, comme perte de maîtrise de soi, et qui donne le vertige. Sans pouvoir reprendre, dans le cadre limité d’une recension, même brièvement, la totalité des argumentations de l’A. qu’il nous suffise du suggérer l’intérêt et les traits distinctifs majeurs de la position du Maître franciscain. Pour en comprendre les enjeux, la première étape consiste à revisiter les plus importants moments de la réflexion philosophique et patristique sur la question décisive de savoir quelle est la faculté première et rectrice dans l’homme, intellect ou volonté, par rapport à laquelle le franciscain se situe en novateur. « A l’encontre d’Anselme, d’une part, et de la majorité des théologiens médiévaux, dit l’A., Olivi prétend que la volonté est à ce point libre et autonome que l’homme conserve à tout instant la possibilité de choisir entre les opposés et de décider de ses propres fins. La volonté possède ainsi une fonction délibératrice qui lui permet d’être pleinement libre, l’intellect ne faisant que proposer et conseiller les voies qui lui semblent le plus convenables. (…) En opposition à Aristote, d’autre part, il prétend que la connaissance du sujet est première. L’analyse de la connaissance de soi permet de montrer que la volonté consiste en un retour immédiat de la mens sur elle-même. Ce mouvement réflexif rend possible l’affirmation du sujet actif » (p.81s). Si donc l’appréhension du sujet est première et nécessaire pour porter un jugement moral sur ses actes, « ce n’est qu’à partir du moment où la mens s’est perçue comme sujet de l’action que l’individu, par ce témoignage réflexif, peut être pris de remords ou incité à agir ». Ce qui, implique « une profonde responsabilisation du sujet »(Ibid.). Cette éthique du sujet, ou de la personne, est la seconde étape. Là aussi, Stève Bobillier explore l’originalité du Maître franciscain à travers l’histoire essentielle de la notion de personne de l’Antiquité à Thomas d’Aquin, en passant par Tertullien, Boèce, Isidore de Séville, Anselme, et Richard de St Victor. Si, pour Olivi, la notion de personne désigne, bien sûr d’abord, une nature individuelle qui sous le mode de l’essence est comprise comme la substance et à laquelle s’ajoute le suppôt, et si l’essence de l’âme trouve sa réalisation et sa perfection dans la matière, c’est pourtant à la notion de « liberté de volonté » qu’il accorde le plus d’importance pour qualifier la personne humaine. Supprimer la volonté reviendrait pour lui, comme il le dit « à nous enlever ce que nous sommes en propre, c’est-à-dire notre personnalité, et ne nous donne rien de plus sinon que d’être des bêtes intellectuelles ou possédant un intellect » (p.134). Puisque, pour Olivi, « la morale consiste en une autonomie de la volonté, mêlée d’une conscience personnelle forte qui juge de la valeur des actes passés ou à venir (p.139), l’A. peut alors aborder, en une troisième étape, la question de la norme morale de la personne et le vertige terrifiant, et également humiliant, de l’acrasie, de cette possibilité du mauvais usage de notre libre volonté par rapport à cette norme, telle que Saint Paul lui-même en fait la description en Ro.7,15-16, lorsqu’il dit qu’il ne comprend pas ce qu’il fait, qu’il ne fait pas ce qu’il veut et fait ce qu’il hait. Comment peut-on sortir de ce dilemme ? Comment guérir ? Comme le précise Stève Bobillier, le but que poursuit Olivi n’a rien d’un pur exercice de philosophie théorique dénué de préoccupations sociales ou pratiques. Il s’agit pour lui, comme pour les frères auxquels il s’adresse, de s’approcher existentiellement, autant qu’il est possible, de la sainteté. A la notion de syndérèse, qui faisait le consensus de la plupart des auteurs du XIIIè siècle, « Olivi préfère le concept de rectitude, dit l’A., car il fournit, aux yeux du franciscain, un plus grand espace de liberté à l’homme qui est incité, mais non contraint, au bien ». Et ce bien, qui est la norme éthique en l’homme, peut et doit ‘savouré’, l’objet d’un goût spirituel. « Ce goût consiste en une réalité interne à tout homme, mais dont l’intensité de perception varie et dont le plus haut point réside dans la jouissance de Dieu » (p.160). « Il n’importe pour Olivi, souligne l’A. de savoir si ce goût est établi dans l’intellect ou dans l’affect. L’intérêt de cette notion est qu’elle permette à l’homme de sentir en lui-même que le bien possède un certain agrément, une douceur intellectuelle qui le rend désirable, et que le vice est horriblement insipide » (p.164). C’est dire que, « si l’intellect joue un rôle spéculatif, la volonté un rôle électif, la fonction du goût consiste à donner son adhésion. Cette approbation ou cette réprobation des sens spirituels scelle ainsi la responsabilité morale de l’individu. Le goût spirituel, en tant qu’il permet à l’homme d’apprécier la valeur du bien, est aussi essentiel à la personne que l’intellect ou même que la volonté, bien qu’il revienne en définitif à cette dernière de choisir (p.165.). En conclusion, dit l’A., si la norme morale semble totalement indéterminée du fait de notre pleine liberté, Olivi ne prône pas pour autant un scepticisme moral. Son éthique repose sur la responsabilité et l’intentionnalité morale. D’où l’importance qu’il accorde à la haute pauvreté et à l’humilité. Et s’il est difficile, voire impossible, de savoir ce qu’est le bien, nous connaissons toutefois par l’intermédiaire des révélations bibliques quelle est la source de tout mal, l’orgueil (Cf.p.191). Remarquables et d’une grande profondeur sont les analyses du Maître franciscain sur l’orgueil, que développe l’A. dans la quatrième étape, lesquelles nous placent à la fois au cœur de l’acrasie possible et de son remède par son envers, le renoncement à soi volontaire dans la haute pauvreté. Source de toutes les vertus, l’annihilation ou abnégation de soi devient alors la voie royale de la vraie liberté de la personne, qui n’est plus entravée par un amour désordonné de soi et ne dépend plus de la reconnaissance d’autrui pour se sentir exister. Enfin, par une comparaison tout-à-fait originale qu’Olivi fait avec le monde angélique et démoniaque, Stève Bobillier montre dans la cinquième et dernière étape, que le choix acrasique du diable, dans sa possibilité et sa réalisation, est incohérent. « Parce qu’il comprend de sa raison parfaite que ce qu’il entreprend est mauvais et parce qu’il possède un goût naturel pour le bien, Lucifer aurait dû se détourner de l’option du mal. L’irrationalité dont il fait preuve prouve que son choix ne peut trouver son origine dans l’intellect. La chute du diable démontre par conséquent l’absolue précellence de la volonté, qui n’est en rien faible, mais possède une véritable puissance de pécher » (p.261). Les facultés de l’homme et de l’ange, ainsi que leur mens étant identiques, leurs motivations sont également similaires aux yeux d’Olivi, à la différence près que le premier ne possède pas un accès privilégié à la connaissance du bien en soi, comme c’est le cas pour le second. Le goût pour le bien et l’aversion pour le mal qu’il possède par nature « lui font sentir de manière quasi intuitive, ou plus exactement, de façon quasi sensitive, ce qu’il doit faire. Dans ce sens, la personne se trouve investie d’une capacité normative inédite, qui le rend entièrement responsable de son action (p.265). Nous félicitons Stève Bobillier pour l’art avec lequel il conduit pas à pas son uploads/Philosophie/ borel-bobillier-ethique-de-la-personne-vrin 1 .pdf
Documents similaires
-
17
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Oct 16, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.0646MB