Bouddhisme et Physique quantique Un étrange parallélisme entre deux concepts de
Bouddhisme et Physique quantique Un étrange parallélisme entre deux concepts de la réalité Il y a un parallélisme surprenant entre le concept philosophique de la réalité de Nagarjuna et le concept physique de la réalité de la physique quantique. Pour les deux la réalité fondamentale ne repose pas sur un noyau dur mais sur des systèmes d’éléments mutuels et interdépendants. Ces concepts de réalité sont incompatibles avec les concepts substantiels, subjectifs, holistiques et instrumentalistes qui sont le fondement des manières de pensée du monde moderne. Un texte de Christian Thomas Kohl Le concept de la réalité de Nagarjuna Nagarjuna était le philosophe bouddhiste le plus important de l’Inde. Selon Etienne Lamotte il vivait dans la deuxième partie du 3ème siècle. Sa philosophie est d’une grande actualité. Jusqu’à nos jours elle a déterminé les manières de penser de toutes les traditions du bouddhisme tibétain. Nous avons peu d’information sur sa vie privée, mais beaucoup de légendes dont nous ne rentrerons pas dans les détails. Par contre l’authenticité de 13 de ses œuvres est assurée dans la recherche scientifique. C’est surtout le danois Chr. Lindtner qui s’est occupé de la vérification et de la traduction de ces 13 œuvres [1]. Son œuvre principale, Stances du milieu par excellence [Mulamadhyamaka-karika] [en abréviation : MMK] est récemment paru dans une traduction française de Guy Bugault [2]. Nagarjuna est le fondateur de l’école philosophique du chemin du milieu, Madhyamaka. Le chemin du milieu représente un chemin philosophique et spirituel qui cherche à éviter des concepts métaphysiques extrêmes, surtout les concepts de la pensée substantielle et subjective. Dans son ouvrage principal, Stances du milieu par excellence [MMK], le chemin du milieu est décrit de la façon suivante : "24,18 C’est la production dépendante [pratityasamutpada] que nous entendons sous le nom de la non-substantialité [sunyata]. C’est là une désignation métaphorique, ce n’est rien d’autre que la voie du milieu"[3]. Donc selon Nagarjuna la dépendance des choses est identique avec la non-substantialité des choses. La philosophie de Nagarjuna repose sur deux aspects . D’une part une exposition de son propre concept de réalité [pratityasamutpada et sunyata] selon lequel la réalité fondamentale n’a pas de noyau dur et ne consiste pas en éléments indépendants mais en systèmes de deux parties mutuelles et interdépendantes. Ce concept est opposé à une des expression clé de la métaphysique traditionnelle de l’Inde : svabhava [être propre]. D’autre part elle consiste en de nombreuses indications à des contradictions internes de 4 concepts extrêmes, qui ne sont pas présentés dans tous les détails mais seulement dans leurs principes. On peut cependant aisément reconnaître de quels modes de pensée ces principes font référence et c’est important, car il s’agit de nos modes de pensée qui ne nous permettent pas de connaître la réalité comme elle est. Ce thème n’est pas seulement une discussion de la métaphysique traditionnelle de l’Inde. Ces 4 approches extrêmes, je les réfère aux modes de pensée substantiels, subjectifs, holistiques et instrumentalistes du monde moderne. Pour pouvoir contourner et éviter ces modes de penser, il faut d’abord les connaître. C’est pour cela qu’il sont esquissés ici d’une façon fragmentaire. Le substantialisme La pensée substantielle est en Europe au centre de la métaphysique traditionnelle, si l’on se base sur la philosophie présocratique en passant par Platon jusqu’à Kant. Selon la métaphysique traditionnelle la substance ou l’être propre est une chose inchangeable, identique à elle-même, ne résultant d’aucun élément, existant par soi-même. La substance ou l’être propre est la raison d’être de toute chose, le fondement immatériel du monde dans lequel nous vivons. Sous les termes « substance suprême » la métaphysique traditionnelle assimilait souvent Dieu ou un être divin. Depuis Kant les courants principaux de la philosophie moderne ne considéraient plus les choses comme des éléments de la réflexion philosophique. L’objet de la pensée étant devenu la raison comme moyen de la connaissance. C’est pour cela que la métaphysique traditionnelle a perdu une certaine importance. Mais les concepts centraux comme l’être, la substance, la réalité ont été remplacés par des expressions scientifiques substantielles et réductionnistes. Maintenant ce sont des termes scientifiques tels que les atomes, les particules, l’énergie, les champs de force, les lois de la nature, de symétrie qui sont la raison d’être des choses . Le subjectivisme Par l’expression la pensée subjective j’entend le tournant vers le sujet qui a été introduit par René Descartes. C’est la doctrine selon laquelle la conscience est la donnée primaire tandis que toute autre chose est le contenu, la forme ou la création de la conscience. L’apogée de ce subjectivisme c’est l’idéalisme de Berkeley. La philosophie de Kant peut être considérée comme un subjectivisme modéré. La primauté de la subjectivité ou de la conscience de soi-même est depuis Descartes le pivot de la pensée philosophique moderne qui lui rend évidence et certitude [Gadamer]. L’holisme Cette troisième approche cherche à éviter l’alternative stéréotypée et schématique des deux premières approches en faisant une fusion des deux aspects en un seul. Maintenant il ne s’agit plus de parties, il n’y a rien que l’identité, tout est un. L’holisme fait du tout un principe absolu. C’est une mythification. Le tout devient une unité indépendante des ses parties. La totalité est entendue comme une chose concrète comme si la totalité était un fait empirique qui se base sur l’expérience. Cette approche est liée à l’histoire de la philosophie aux noms de différents penseurs comme Saint Thomas d’Aquin, Leibniz et Schelling. Dans la physique quantique elle est représentée avant tout par le physicien David Bohm. L’instrumentalisme Cette 4ème approche consiste à une réfutation de l’existence du sujet et de l’objet. Elle ne tient pas compte du sujet et de l’objet. Au lieu de préférer l’un ou l’autre ou les deux à la fois, l’instrumentalisme refuse les deux. La question de la réalité est dénuée d’importance ou même inutile. L’instrumentalisme est moderne, intelligent [par exemple dans la personne du philosophe Enst Cassirer] et parfois un peu chicanier. Il est difficile de s’en échapper. Il consiste à considérer la pensée comme une assimilation d’informations. Il ne s’occupe plus de quels phénomènes les informations informent. C’est un problème qui lui vient du subjectivisme, dont le philosophe Donald Davidson disait : „Quand on s’est décidé pour l’approche de Descartes, il parait que l’on ne sait plus indiquer pour quelles choses les références sont références"[4]. L’instrumentalisme est une notion collective, il indique des conceptions scientifiques différentes , qui font abstractions de la connaissance humaine dans son ensemble ou des formations scientifiques (des conceptions, thèses ou théories) comme reproduction de la structure de la réalité mais plutôt comme un résultat de l’interaction humaine avec la nature pour le but d’une orientation théorique et pratique. Selon l’instrumentalisme les théories ne sont pas une description du monde mais des instruments efficaces pour le calcul et la prédiction [5]. L’approche instrumentaliste est exprimée en quelques mots seulement par le physicien Anton Zeilinger qui dit dans un interview : „Dans la physique classique nous parlons d’un monde des choses, qui existent quelque par là à l’extérieur et nous décrivons cette nature. Dans la physique quantique nous avons appris qu’il faut être très prudent. En dernière analyse la physique n’est pas la science de la nature mais la science des déclarations sur la nature. La nature elle même est toujours une construction mentale. Niels Bohr a dit cela une fois de cette manière : Il n’y a pas de monde quantique, il n’y a qu’une description quantique"[6]. Nagarjuna présente ces 4 concepts de la réalité dans un schéma qui est appelé en Sanscrit ’catuskoti’ et en grèque ’tétralemme’. C’est un groupe de quatre propositions, dont la deuxième est la contradictoire de la première, la troisième étant l’addition des deux et la quatrième leur annulation. En peu de mots les 4 concepts principaux de Nagarjuna peuvent être formulé de la façon suivante : Jamais, le nulle part, rien qui surgisse substantiellement, ni de soi-même, ni d’autre chose, ni des deux à la fois, ni sans cause. Derrière cette phrase il y a des concepts de la réalité qui peuvent être liés à 4 façons de penser : les façons substantielles, subjectives, holistes et instrumentalistes. Il sera difficile de trouver un homme ou une femme moderne qui ne manifeste pas à sa manière une de ses quatre approches extrêmes. C’est cela qui explique l’actualité de la philosophie de Nagarjuna. Nagarjuna n’a pas du tout réfuté la pensée substantielle pour arriver au subjectivisme, comme cela lui a été reproché . Il n’a pas refusé le schéma dualiste pour arriver à une approche holiste ou de la totalité, comme l’ont dit de lui certains interprètes bienveillants. Et il n’a pas réfuté l’holisme pour s’arrêter dans les nuages de l’instrumentalisme, comme bon nombre d’interprètes succédant à Ludwig Wittgenstein l’affirment. Et pourquoi pas ? Ce sont précisément les 4 approches extrêmes qui sont réfutées systématiquement par Nagarjuna. Déjà dans la première stance des ’Stances du milieu par excellence’ explique non seulement le dilemme mais le tétralemme de notre pensée : „MMK 1,1 Jamais, nulle part, rien qui surgisse, ni uploads/Philosophie/ bouddhisme-et-physique-quantique 1 .pdf
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- Publié le Mai 16, 2021
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