LA SEMIOTIQUE DE PEIRCE Par Nicole Everaert-Desmedt Professeure, Facultés unive

LA SEMIOTIQUE DE PEIRCE Par Nicole Everaert-Desmedt Professeure, Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles everaert@fusl.ac.be 1. RÉSUMÉ PEIRCE Après avoir présenté les trois catégories philosophiques de Charles Sanders Peirce, nous expliquons comment ces catégories interviennent à différents niveaux dans le fonctionnement des signes ou processus sémiotique. Le processus sémiotique est un rapport triadique entre un signe ou representamen (premier), un objet (second) et un interprétant (troisième). Chacun de ces trois termes se subdivise à son tour selon les trois catégories. A partir de là, et en tenant compte de la hiérarchie des catégories, on peut répertorier dix modes de fonctionnement de la signification. Ce texte peut être reproduit à des fins non commerciales, en autant que la référence complète est donnée : Nicole Everaert-Desmedt (2011), « La sémiotique de Peirce », dans Louis Hébert (dir.), Signo [en ligne], Rimouski (Québec), http://www.signosemio.com/peirce/semiotique.asp. 2. THÉORIE top 2.1 TROIS PRINCIPES GÉNÉRAUX Peirce a élaboré une théorie sémiotique à la fois générale, triadique et pragmatique1. Une théorie générale :  qui envisage à la fois la vie émotionnelle, pratique et intellectuelle ;  qui envisage toutes les composantes de la sémiotique ;  qui généralise le concept de signe. Une théorie triadique :  qui repose sur trois catégories philosophiques : la priméité, la secondéité et la tiercéité ;  qui met en relation trois termes : le signe ou representamen, l'objet et l'interprétant. Une théorie pragmatique, c’est-à-dire :  qui prend en considération le contexte de production et de réception des signes ;  qui définit le signe par son action sur l'interprète. 2.2 LES CATÉGORIES À LA BASE DE LA SÉMIOTIQUE Selon Peirce, trois catégories sont nécessaires et suffisantes pour rendre compte de toute l'expérience humaine. Ces catégories correspondent aux nombres premier, second, troisième. Elles sont désignées comme « priméité », « secondéité », « tiercéité » (« firstness», « secondness », « thirdness »). 2.2.1 LA PRIMÉITÉ La priméité est une conception de l'être indépendamment de toute autre chose. Ce serait, par exemple, le mode d'être d’une « rougéité » avant que quelque chose dans l'univers fût rouge ; ou une impression générale de peine, avant qu'on ne se demande si cette impression provient d'un mal à la tête, d'une brûlure ou d'une douleur morale. Il faut bien comprendre que, dans la priméité, il n'y a que du UN. Il s'agit donc d'une conception de l'être dans sa globalité, sa totalité, sans limites ni parties, sans cause ni effet. Une qualité est une pure potentialité abstraite. La priméité est de l'ordre du possible ; elle est vécue dans une sorte d'instant intemporel. Elle correspond à la vie émotionnelle. 2.2.2 LA SECONDÉITÉ La secondéité est la conception de l'être relatif à quelque chose d'autre. C'est la catégorie de l'individuel, de l'expérience, du fait, de l'existence, de l'action-réaction. Par exemple, la pierre qu’on lâche tombe sur le sol ; la girouette s'oriente en fonction de la direction du vent ; vous éprouvez une douleur, maintenant, à cause d'un mal de dents. La secondéité s'inscrit dans un temps discontinu, où s'impose la dimension du passé : tel fait a lieu à tel moment, avant tel autre, qui en est la conséquence. La secondéité correspond à la vie pratique. 2.2.3 LA TIERCÉITÉ La tiercéité est la médiation par laquelle un premier et un second sont mis en relation. La tiercéité est le régime de la règle, de la loi ; mais une loi ne se manifeste qu'à travers des faits qui l'appliquent, donc dans la secondéité ; et ces faits eux-mêmes actualisent des qualités, donc de la priméité. Tandis que la secondéité est une catégorie de l'individuel, la tiercéité et la priméité sont des catégories du général ; mais la généralité de la priméité est de l'ordre du possible, et celle de la tiercéité est de l'ordre du nécessaire et, par conséquent, de la prédiction. La loi de la pesanteur, par exemple, nous permet de prédire que chaque fois que nous lâcherons une pierre, elle tombera sur le sol. La tiercéité est la catégorie de la pensée, du langage, de la représentation, du processus sémiotique ; elle permet la communication sociale ; elle correspond à la vie intellectuelle. 2.3 LE PROCESSUS SÉMIOTIQUE : TRIADIQUE ET ILLIMITÉ Un signe, selon Peirce, peut être simple ou complexe. Contrairement à Saussure, Peirce ne définit pas du tout le signe comme la plus petite unité significative. Toute chose, tout phénomène, aussi complexe soit-il, peut être considéré comme signe dès qu’il entre dans un processus sémiotique. Le processus sémiotique est un rapport triadique entre un signe ou representamen (premier), un objet (second) et un interprétant (troisième). Le representamen est une chose qui représente une autre chose : son objet. Avant d’être interprété, le representamen est une pure potentialité : un premier. L'objet est ce que le signe représente. Le signe ne peut que représenter l'objet, il ne peut pas le faire connaître ; il peut exprimer quelque chose à propos de l'objet, à condition que cet objet soit déjà connu de l'interprète, par expérience collatérale (expérience formée par d'autres signes, toujours antécédents). Par exemple, un morceau de papier rouge, considéré comme échantillon (= representamen) d'un pot de peinture (= objet), n'indique que la couleur rouge de cet objet, l'objet étant supposé connu sous tous ses autres aspects (conditionnement, matière, usage, etc.). Le morceau de papier exprime que le pot de peinture est de couleur rouge, mais il ne dit rien des autres aspects de l'objet. Si l'interprète sait, par ailleurs, qu'il s'agit d'un pot de peinture, alors - alors seulement - l'échantillon lui donne l'information que le pot de peinture en question doit être de couleur rouge. Plus précisément, Peirce distingue l'objet dynamique : l'objet tel qu'il est dans la réalité, et l'objet immédiat : l'objet tel que le signe le représente. Dans notre exemple, le pot de peinture est l'objet dynamique, et la couleur rouge (du pot de peinture) est l'objet immédiat. Le representamen, pris en considération par un interprète, a le pouvoir de déclencher un interprétant, qui est un representamen à son tour et renvoie, par l'intermédiaire d'un autre interprétant, au même objet que le premier representamen, permettant ainsi à ce premier de renvoyer à l'objet. Et ainsi de suite, à l'infini. Par exemple, la définition d'un mot dans le dictionnaire est un interprétant de ce mot, parce que la définition renvoie à l'objet (= ce que représente ce mot) et permet donc au representamen (= le mot) de renvoyer à cet objet. Mais la définition elle-même, pour être comprise, nécessite une série ou, plus exactement, un faisceau d'autres interprétants (d'autres définitions)... Ainsi, le processus sémiotique est, théoriquement, illimité. Nous sommes engagés dans un processus de pensée, toujours inachevé, et toujours déjà commencé. REMARQUE: L'INTERPRÉTANT FINAL : L'HABITUDE Le processus sémiotique est, théoriquement, illimité. Dans la pratique, cependant, il est limité, court-circuité par l'habitude, que Peirce appelle l'interprétant logique final : l'habitude que nous avons d'attribuer telle signification à tel signe dans tel contexte qui nous est familier. L'habitude fige provisoirement le renvoi infini d'un signe à d'autres signes, permettant à des interlocuteurs de se mettre rapidement d'accord sur la réalité dans un contexte donné de communication. Mais l'habitude résulte de l'action de signes antérieurs. Ce sont les signes qui provoquent le renforcement ou la modification des habitudes. Le processus sémiotique selon Peirce intègre toutes les composantes de la sémiotique : la pragmatique (domaine de l’interprétant) est indissociable de la sémantique (domaine de l’objet) et de la syntaxe (domaine du representamen). 2.4 UNE ARTICULATION TRICHOTOMIQUE Chacun des trois termes du processus sémiotique se subdivise à son tour selon les trois catégories : on distinguera donc la priméité, la secondéité et la tiercéité dans le representamen, dans le mode de renvoi du representamen à l'objet, et dans la façon dont l'interprétant opère la relation entre le representamen et l'objet. 2.4.1 LA TRICHOTOMIE DU REPRESENTAMEN Le representamen peut être (1) un qualisigne (priméité), c'est-à-dire une qualité qui fonctionne comme signe. Il peut être (2) un sinsigne(secondéité), c'est-à-dire une chose ou un événement spatio- temporellement déterminé qui fonctionne comme signe. Il peut être (3) unlégisigne (tiercéité), c'est-à-dire un signe conventionnel. Par exemple, les mots de passe, les insignes, les billets d'entrée à un spectacle, les signaux du code de la route, les mots de la langue sont des légisignes. Cependant, les légisignes ne peuvent agir qu'en se matérialisant dans des sinsignes qui constituent des « répliques ». Ainsi, l'article « le» est un légisigne, dans le système de la langue française. Mais il ne peut être employé que par l'intermédiaire de la voix ou de l'écriture qui le matérialise. Matérialisé dans des sinsignes (des occurrences, qui occupent des positions spatio-temporelles différentes), il comprend également des qualisignes, comme l'intonation dans la réplique orale ou la forme des lettres dans la réplique écrite. 2.4.2 LA TRICHOTOMIE DE L'OBJET Un representamen peut renvoyer à son objet selon la priméité, la secondéité ou la tiercéité, c'est-à-dire par un rapport de similarité, de contiguïté contextuelle ou de loi. Suivant cette trichotomie, le signe est appelé respectivement (1) une uploads/Philosophie/ la-semiotique-de-peirce 1 .pdf

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