LE PAS-TOUTISME DE LACAN Stéphanie Gilet-Le Bon EPFCL-France | « Champ lacanien
LE PAS-TOUTISME DE LACAN Stéphanie Gilet-Le Bon EPFCL-France | « Champ lacanien » 2015/2 N° 17 | pages 21 à 30 ISSN 1767-6827 ISBN 9782916810188 DOI 10.3917/chla.017.0021 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-champ-lacanien-2015-2-page-21.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour EPFCL-France. © EPFCL-France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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C’est une contrainte de discours qui impose les semblants, les idéaux du sexe, qui dicte ce qui est conforme ou pas de faire comme homme ou comme femme, qui contredit donc ce qui serait d’un choix. « Sois un homme, mon fils ! » dit-on au garçon, lui donnant l’imprimatur du semblant phallique. Ce qui, curieusement ne se dit pas à la fille « Sois une femme ! ». Serait- ce parce que comme dit Lacan, elle a une très grande liberté à l’endroit du semblant ? « Si nous osons les épingler de leur sexe il est éclatant que l’homme comme la femme font semblant chacun dans ce rôle2. » C’est donc dans un discours que les étant femme et étant homme naturels, si l’on peut dire, ont à se faire valoir comme tels. À se faire valoir avec le désir et la jouissance y afférents, dès qu’il va s’agir pour l’un ou pour l’autre de corps à corps sexuel. S’ils se distinguent, certes, dès le plus jeune âge de la « petite différence » qui passe trompeusement au réel, ça part de là, du moment de la phase phallique. C’est très tôt qu’aussi on les distingue. Et les parents de s’extasier, de s’émerveiller, s’amuse Lacan3, qu’ils soient déjà comme ce sera plus tard. « Ce jugement de reconnaissance des adultes circonvoisins repose sur une erreur », dit-il, « À ne les reconnaître qu’en fonction des critères formés sous la dépendance du langage […]. Cette erreur rend consistant le naturel d’ailleurs incontestable de cette vocation prématurée que chacun éprouve pour son sexe. Il faut ajouter que dans le cas où cette 1. Pour les séminaires 1970-1971 et 1971-1972 : « D’un discours qui ne serait pas du semblant », « …ou pire », « Le savoir du psychanalyste », l’auteure précise qu’elle a travaillé à partir des transcriptions de Monique Cholet [NDR]. Lacan J., Le Séminaire « D’un discours qui ne serait pas du semblant », 1970- 1971, inédit, leçon du 20 janvier 1971. 2. Lacan J., Le Séminaire « Le savoir du psychanalyste », 1972, inédit, leçon du 2 février 1972. 3. Lacan J., Le Séminaire, « …ou pire », 1971-1972, inédit, leçon du 8 décembre 1971. © EPFCL-France | Téléchargé le 22/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 193.32.126.216) © EPFCL-France | Téléchargé le 22/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 193.32.126.216) Le pas-toutisme de Lacan 22 vocation n’est pas patente, ça n’ébranle pas l’erreur4. » En effet, si on dit d’une petite fille qu’elle est un vrai garçon manqué5, rien n’empêche qu’à ce « manqué » on impute un supplément de féminité, soit une réussite, conformément à ce que nous enseigne l’inconscient de ne réussir jamais mieux qu’à rater. Alors, il y a des sujets, ceux qui ont l’organe qui s’inscrivent et qu’on inscrit sous le signifiant phallique qui fait l’homme. Il est alors signifié phallus. Là, il n’y a pas le choix. Et c’est justement en tant que signifiant que le transsexuel, et cela très tôt6, à partir de l’enfance, ne veut plus du phallus et ce n’est pas en tant qu’organe. Il veut se libérer de l’erreur que sont les critères formés sous la dépendance du langage. Il ne veut plus être signifié phallus. Enfin, au « niveau mince » où nous existons comme sexués, homme, femme, c’est d’abord affaire de langage, pour tout sujet. C’est un niveau où il n’y a pas le choix : « Ou bien c’est lui pourvu de l’organe élevé au semblant ou bien c’est elle qui n’en n’est pas pourvue. C’est le principe du fonctionnement du genre : féminin ou masculin. Mais cette bipolarité de valeurs n’est pas suffisante pour supporter ce qu’il en est du sexe7. » Il faut dire que l’homme et la femme comme corps vivants sexués, nous ne savons pas ce que c’est. « Que le sexe soit réel ceci ne fait pas le moindre doute. Et sa structure même c’est le nombre 28. » C’est au nom de cela, du seul fait qu’il y ait deux sexes, homme/femme énoncés conjointement, que l’on croit qu’il y aurait, naturellement, un rapport sexuel entre eux, comme le fil pour l’aiguille. Mais ce dont il s’agit quand il s’agit de sexe, « c’est de l’autre sexe même quand on préfère le même », dit Lacan. Ce qui 4. Ibid. 5. C’est une petite fille hystérique quand on voit le garçon en elle. 6. « Depuis petit, dit Michel dans son entretien avec Lacan en février 1976 – publié aux Éditions de l’Association freudienne, Paris, 1996, p. 312 à 350 – j’ai revêtu des vêtements de fille […] j’aurais voulu être une fille comme mes sœurs […] ce sont les vêtements de fille qui sont plus doux, plus chauds sur le corps […] je m’intéresse à tout quand je suis habillé en femme ». Ainsi que Natacha (cf. entretien avec Natacha Taurisson, Cités 21, Paris, puf, 2005) : « À partir de l’enfance – vers l’âge de 8 ans – et encore plus pendant l’adolescence, ce qui m’attirait c’était tout ce que faisaient les filles. […] La transsexualité n’est ni un fantasme, ni une perversion, ni une sexualité. C’est la conviction d’appartenir au sexe opposé […] il ne s’agit pas d’un choix mais d’une question de vie ou de mort […] il s’agit d’une question d’identité. »On se référera aussi aux articles d’A. Nguyên dans « L’identité en question » et dans le Mensuel no 29 : « La transsexualité n’est pas une sexualité mais un état transitoire, une transition qui conduira le transsexuel non pas à une position sexuée mais à une position dans le monde ». Autrement dit, le « choix » d’exister hors de la binarité sexuelle, sans que l’on puisse pour autant parler de troisième sexe comme le revendiquent gays et lesbiennes. 7. Lacan J., Le Séminaire « …ou pire », op. cit., leçon du 12 janvier 1972. 8. Lacan J., Le Séminaire « Le savoir du psychanalyste », leçon du 4 mai 1972. © EPFCL-France | Téléchargé le 22/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 193.32.126.216) © EPFCL-France | Téléchargé le 22/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 193.32.126.216) Le pas-toutisme de Lacan 23 laisse entendre qu’il s’agit d’altérité ou d’hétérité plutôt que de dualité dans la différence des sexes. « Il n’y a pas de deuxième sexe à partir du moment où entre en fonction le langage9. » C’est par rapport à la différence des sexes que tout sujet a à se déterminer le moment venu, qu’il a à se ranger, s’inscrire dans l’une ou l’autre case sexuelle que le discours dans lequel il baigne, lui tend, à se faire homme ou à se faire femme, non sans désarroi, égarement parfois, avec les difficultés qui semblent être le privilège, si l’on peut dire, des êtres parlants. Le scandale du discours psychanalytique Parmi ces difficultés, il s’agit de cet autre sexe sur lequel Freud dans sa touthommie a appliqué la même mesure phallique que pour les hommes, que Lacan dit être « le scandale du discours analytique10 ». Le scandale restant scandale malgré les appelants du sexe, Karen, Hélène et d’autres, jusqu’à ce que Lacan s’affronte à la question en posant le mode quantique des sujets à se supporter des quanteurs niés : ∃x Φx et ∃x Φx en ouvrant le côté femme, le côté des pas-toutes dans la fonction phallique qui y fait obstacle et discorde11, établissant une relation entre homme et femme qui affirme une faille sexuelle. C’est le « pas de rapport sexuel », le « grand secret de la psychanalyse » autour de quoi tourne la chose freudienne. Les formules de la sexuation C’est précisément ce uploads/Philosophie/ chla-017-0021.pdf
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- Publié le Sep 18, 2021
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