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15/01/13 15:38 Michéa et le libéralisme : hommage critique | Revue du Mauss permanente Page 1 sur 7 http://www.journaldumauss.net/spip.php?page=imprimer&id_article=495 Revue du Mauss permanente (http://www.journaldumauss.net) Philippe Corcuff Michéa et le libéralisme : hommage critique Texte publié le 22 avril 2009 Dans ses derniers ouvrages, Jean-Claude Michéa considère que les libéralismes politique et économique forment un tout cohérent. Philippe Corcuff conteste ce point de vue, en mettant en cause ce qui serait le substantialisme et l’idéalisme de Jean-Claude Michéa, dans une critique qui est toutefois présentée comme un hommage au travail du philosophe de Montpellier. Introduction Le mot « libéral », au sens d’« idées libérales », apparaîtrait en France en 1750 et le mot « libéralisme » en 1818. Mais on a l’habitude de considérer que la maturation d’idées « libérales » est antérieure. Avant même le recours aux mots (« libéral » et « libéralisme »), il y aurait des « pionniers » philosophiques du « libéralisme », ayant posé des jalons dans cette direction. L’anglais John Locke (1632-1704) et le français Montesquieu (1689- 1755) feraient partie de ces « pionniers » du « libéralisme ». On a ensuite l’habitude de distinguer au moins deux grands types de « libéralisme » : a) Il y aurait un « libéralisme politique » mettant l’accent, d’une part, sur les droits individuels et collectifs, les libertés personnelles et politiques, la tolérance et, d’autre part, sur l’équilibre des pouvoirs face au danger de la tyrannie et de la concentration du pouvoir. Rappelons qu’on se situe alors largement à l’époque dans le cadre de régimes monarchiques de droit divin. Locke et Montesquieu seraient des précurseurs de ce libéralisme politique ; en France, Benjamin Constant (1767-1830) et Alexis de Tocqueville (1805-1859) incarnerait la maturité de ces idées libérales au XIXe siècle. b) Il y aurait aussi un « libéralisme économique » mettant l’accent sur le rôle du marché comme régulateur principal des activités économiques, voire au-delà, sur la concurrence comme principe et sur le refus corrélatif de l’intervention de l’État dans le domaine économique. Une des figures de référence principale de ce « libéralisme économique » est l’Écossais Adam Smith (1723-1790), promoteur de « la main invisible du marché » dans Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776). La question de philosophie politique, mais aussi de sociologie, qui nous occupera ici concerne les liens entre ces deux libéralismes : y a-t-il unité ou pluralité ? cohérence ou hétérogénéité ? Pour aborder cette question, je partirai de la thèse d’un philosophe contemporain, Jean-Claude Michéa, dans son livre L’empire du moindre mal – Essai sur la civilisation libérale [1](2007), précisée dans une suite intitulée La double pensée – Retour sur la question libérale (2008). Michéa défend ainsi l’hypothèse de l’unité des deux libéralismes, dans une logique critique à l’égard du libéralisme ainsi unifié. J’exposerai cette thèse, puis je la critiquerai, en prolongeant une réflexion antérieure (Corcuff, 2008). Pourquoi avoir ajouté au titre : « hommage critique » ? Parce que c’est grâce à la confrontation avec la thèse de Michéa que j’ai pu éclaircir certains problèmes et avancer des pistes alternatives. Ce texte est donc à la fois une critique et un hommage au travail de Michéa. On oublie souvent que les idées des autres, quand elles sont solidement argumentées et/ou novatrices, même quand on ne les partage pas, nous aident à réfléchir. Nous devrions donc, beaucoup plus souvent, quand ils en valent la peine, remercier nos adversaires intellectuels. Ils contribuent, en quelque sorte, à nous « tirer vers le haut » sur le plan de la dynamique intellectuelle. Alors que certains de ceux qui pensent plutôt comme nous, quand ils sont répétitifs, peu inventifs, voire dogmatiques, nous tirent plutôt vers « le bas » intellectuellement, au sens où ils tendent à nous enfermer dans des évidences et freinent ainsi nos questionnements. La discussion critique avec Michéa se déploiera sur deux grands plans associés : 1) celui du contenu de la philosophie politique, et 2) celui de la méthode d’analyse des idées politiques (qui nous amènera à puiser notamment des ressources dans la démarche sociologique). Mon propos s’inscrira alors dans un dialogue « transfrontalier » entre philosophie politique et sociologie, qui récuse la réduction de l’une à l’autre, mais les considère comme deux registres autonomes de connaissance, entre lesquels des passages peuvent être établis. Ce dialogue « transfrontalier » entre philosophie politique et sociologie occupe beaucoup mon travail intellectuel depuis plusieurs années (voir aussi Corcuff, 2005). Pour établir ce parcours, je demeurerai schématique et synthétique. Partie I – Un débat de philosophie politique avec Jean-Claude Michéa Je partirai de la thèse de Michéa (A), puis j’introduirai des grains de sable philosophique par rapport à elle (B). A – La thèse de Jean-Claude Michéa : l’unité du libéralisme Le premier chapitre du livre de Michéa L’empire du moindre mal s’intitule : « L’unité du libéralisme ». D’où la notion de « logique libérale », sur laquelle nous reviendrons quant à sa portée méthodologique. Michéa écrit ainsi : « Mais parler de "logique libérale" implique également que, par-delà la multiplicité des auteurs et les nombreuses différences qui les opposent sur tel ou tel point, il est possible de traiter de libéralisme comme un courant dont les principes non seulement peuvent, mais, 15/01/13 15:38 Michéa et le libéralisme : hommage critique | Revue du Mauss permanente Page 2 sur 7 http://www.journaldumauss.net/spip.php?page=imprimer&id_article=495 en fin de compte, doivent être philosophiquement unifiés. » (2007, pp.15-16) Ainsi, dans un schéma intellectuel qui puise notamment dans Platon, le Multiple (la diversité) serait second, voire superficiel, alors que l’Un (l’unité) serait premier, plus fondamental, plus profond. L’unité du libéralisme puiserait d’abord dans un pessimisme anthropologique. On entend ici anthropologie, non pas au sens d’une branche des sciences humaines modernes (au sens où l’on dit que Claude Lévi-Strauss est un anthropologue), mais au sens d’anthropologies philosophiques, c’est-à-dire de conceptions philosophiques de ce que seraient les caractéristiques des humains et de la condition humaine. Or les individus seraient, selon les libéraux critiqués par Michéa, particulièrement marqués par des « passions belliqueuses » (ibid., p.32). Parmi ces passions destructrices, il y aurait les prétentions contradictoires à incarner le Bien, transformées alors par les libéraux en risque de « tyrannie du Bien » (ibid., p.11). D’où le projet : « d’une société rationnelle, plaçant le fondement de son existence pacifiée dans la seule dynamique des structures impersonnelles du Marché ou du Droit » (ibid., p.33) Le libéralisme du Droit serait le libéralisme politique et le libéralisme du Marché le libéralisme économique. La philosophie politique libérale viserait alors non plus le mieux ou le meilleur, comme dans la logique de la cité idéale d’un Platon ou des auteurs utopistes, mais le moins mauvais, c’est-à-dire, selon les mots de Michéa, « la politique du moindre mal » (ibid., p.11). En quoi les deux libéralismes, celui du Droit et celui du Marché, serait alors unifiés ? Ici le raisonnement passe chez Michéa du libéralisme politique au libéralisme économique. Partons donc du libéralisme du Droit. Michéa écrit ainsi : « L’autorité du Droit libéral n’est, en effet, légitime (…) que parce qu’elle se borne à arbitrer le mouvement brownien des libertés concurrentes, sans jamais faire appel à d’autres critères que les exigences de la liberté elle-même ; lesquels se résument, pour l’essentiel, à la seule nécessité de ne pas nuire à autrui. » (ibid., p.38) Mais l’application de ce principe ouvrirait un vaste bazar de contradictions, conflits et questionnements infinis que le libéralisme aurait du mal à traiter avec les seuls moyens libéraux, dans le sens où il définirait avant tout une procédure de réglage des conflits (dans cette perspective, il serait principalement procédural), mais pas une définition substantielle du bien et du mal, du juste et de l’injuste, etc. Ces questionnements infinis sont du type : « De quel droit, en effet, une société libérale pourrait-elle empêcher un individu de se nuire à lui-même (…) ? Ou, si on se place sur le plan des rapports des individus entre eux, sur quelle base décider que le fait de critiquer une religion (ou de la tourner en dérision) ne nuit pas à l’exercice de la liberté bien comprise des croyants ? Dans quelle mesure, à l’inverse, les enseignements de telle ou telle religion sur le statut de la femme ou la nature de l’homosexualité ne portent-ils pas directement atteinte aux "droits des minorités" ? » (ibid., pp.38-39) Michéa note alors : « Devant ces questions multipliables à l’infini, le Droit libéral est obligatoirement en grande difficulté. » (ibid., p.39) C’est à ce point logique que s’effectuerait la jonction entre libéralisme politique et libéralisme économique, basé lui sur la vision d’un homo œconomicus, c’est-à-dire sur une anthropologie philosophique du calcul individuel de ses intérêts. Car il s’agirait, pour le libéralisme politique, « de sous-traiter aux mécanismes du Marché le soin de résoudre les apories constitutives du Droit » (ibid., p.48). C’est ici l’entrée en scène de la fameuse « main invisible » d’Adam Smith, selon laquelle chacun poursuivant ses intérêts uploads/Philosophie/ corcouff-michea-et-le-liberalisme-hommage-critique-revue-du-mauss-permanente.pdf
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- Publié le Mar 21, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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