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Page 1 sur 9 2ème Année Master - Sémiopragmatique La PRAGMATIQUE INTÉGRÉE, ou la PRAGMATIQUE LINGUISTIQUE Le PRÉSUPPOSÉ et le SOUS-ENTENDU Alors que la pragmatique formaliste (Austin et Searle) et la pragmatique cognitive (Grice, Sperber et Wilson) tirent leurs origines des théories logicistes et de la philosophie du langage (École d'Oxford), l'école française de pragmatique (Ducrot, Récanati, Kerbrat-Orecchioni et Anscombre) s'inspire, elle, de la linguistique de l’énonciation inaugurée par Émile Benveniste dans les années 1960 et illustrée par Antoine Culioli à partir des années 1970. La pragmatique française, essentiellement développée à partir des années 1970 et surtout des années 1980, est appelée pragmatique intégrée pour la raison que, à la différence du courant anglo-saxon, la pragmatique y est vue comme une discipline fille de la linguistique, intégrée à la linguistique (comme le sont la phonétique, la syntaxe et la sémantique) : la pragmatique, selon sa conception française, intervient dans l'interprétation des énoncés pour prendre le relais de la sémantique lorsque celle-ci a achevé son rôle et épuisé ses possibilités. 1. Au source de la pragmatique intégrée : la linguistique de l’énonciation Benveniste (1966) constate qu'il existe dans le discours une série d'éléments par lesquels le locuteur se définit en tant que sujet : par exemple les pronoms je et tu, mais aussi les démonstratifs comme celui-ci, celle- là, etc., ou encore les marqueurs de repérage spatial ou temporel comme ici, maintenant... Ces termes, appelés déictiques (ou indexicaux), s'organisent de manière cohérente les uns par rapport aux autres dans le discours, mais sont difficilement analysables en dehors de la situation de communication : ils fournissent en effet des informations qui ne peuvent s'interpréter sans la référence au repère « moi-ici-maintenant » du locuteur (autrement dit, les déictiques sont « vides » mais se « remplissent » dès qu'un locuteur les assume dans une situation d'énonciation). Il faut ajouter aux déictiques les éléments du discours dont l'interprétation ne peut se faire qu'en fonction de l'environnement linguistique, à savoir essentiellement le pronom de la troisième personne (il) auquel il faut attribuer un référent : lorsque le réfèrent précède le pronom, celui-ci est dit anaphorique (c'est le cas le plus fréquent) ; lorsque le réfèrent suit le pronom, celui-ci est dit cataphorique. La linguistique de l'énonciation a pour objet l'étude des expressions indexicales, anaphoriques et cataphoriques. Expressions déictiques : Je ne savais pas que tu habitais ici. Moi, je préfère celui-ci, mais Anne a choisi celui-là. Cette étude doit être terminée dans trois semaines. C'est maintenant qu’il faut prendre une décision. Le soleil se couche là-bas, sur le lac. Expressions anaphoriques et cataphoriques : J'ai voulu rencontrer le directeur : il n'a pas pu me recevoir. (Anaphore) Marianne m'a téléphoné : je dîne avec elle ce soir. (Anaphore) Olivier m'a aidée à ranger le garage. C'est un garçon serviable. (Anaphore) Il est serviable, Olivier. (Cataphore) Je lui ai dit, au directeur, qu'il devrait me recevoir. (Cataphore et Anaphore) Remarque Benveniste analyse la catégorie de la personne en fonction de deux corrélations. La corrélation de personnalité oppose les deux premières personnes, présentes dans la situation de communication (je et tu sont déictiques), à la troisième, qui en est absente (il est anaphorique). La corrélation de subjectivité oppose la Page 2 sur 9 2ème Année Master - Sémiopragmatique première personne, subjective, à la deuxième, non subjective. Benveniste en arrive ainsi à définir, notamment au travers d'exemples comme je jure / tu jures, j'ordonne / tu ordonnes, je promets / tu promets..., une énonciation subjective (je promets), c’est-à-dire un acte jugé comme contraignant dans les conditions sociales où le langage s'exerce, et une énonciation non subjective (tu promets). On retrouve là les performatifs explicites d'Austin. Ainsi, il existe des catégories énonciatives par lesquelles le sujet parlant se définit en tant que tel, et les termes qui y appartiennent ne sont analysables que si l'on prend en compte l’énonciation. On le sait, l'énoncé est la réalisation d'une phrase dans une situation donnée (c'est l'opposition phrase vs énoncé). Il s'agit donc du produit, du résultat concret d'un acte. L'énonciation en revanche désigne le processus même qui a pour aboutissement la production d'un énoncé. Il s'agit donc d'un processus unique, en ce sens que l’énonciation ne peut être reproduite sans que soient modifiées les conditions dans lesquelles elle se réalise, ce qui crée ipso facto de nouvelles circonstances d'énonciation (alors qu'un même énoncé peut, lui, être reproduit à plusieurs reprises). La linguistique de l'énonciation souligne l'importance de l’énonciation et des phénomènes qui y sont associés. 2. La pragmatique intégrée La pragmatique intégrée constitue un prolongement de la linguistique de l’énonciation car elle aussi s'attache à l'ensemble des faits liés à l’énonciation. Par ailleurs, elle présente des points communs avec la pragmatique cognitive : ainsi, la pragmatique intégrée comme la pragmatique cognitive considèrent le langage non pas dans sa fonction descriptive ou représentative, mais en tant que moyen d'action, et toutes deux dépassent l'opposition classique entre sens littéral et sens non littéral enfermés dans deux catégories distinctes et étanches pour inscrire la découverte du sens non littéral dans le prolongement de celle du sens littéral. De plus, on retrouve chez Ducrot l'opposition phrase vs énoncé formulée par Grice. Toutefois, pragmatique cognitive et pragmatique intégrée diffèrent fondamentalement sur un point essentiel : la définition qu'elles donnent de l’énonciation. En matière de pragmatique cognitive, l’énonciation est un phénomène général préalable à tout processus interprétatif mis en œuvre par le système central de la pensée ; pour la pragmatique intégrée par contre, l’énonciation est une composante fonctionnelle de la langue, une propriété associée au code linguistique et inscrite dans la structure de la langue. De plus, la pragmatique cognitive accorde un intérêt particulier aux inférences, c'est-à-dire aux processus déductifs et aux schémas interprétatifs. En revanche, la pragmatique intégrée s'intéresse aux relations argumentatives non déductives et de nature scalaire, c’est-à-dire liées à la gradation. En somme, la pragmatique intégrée, appelée aussi la pragmatique linguistique, recouvre deux grands secteurs. Le premier étudie les symboles indexicaux, c'est-à-dire les indicateurs de subjectivité que sont les pronoms personnels, les démonstratifs ou déictiques, etc., dont la référence varie avec les circonstances de leur emploi : cet objet d'étude est plus spécifiquement celui des théories de l'énonciation. Le second sous- domaine étudie le sens non littéral (sens implicite, sens présupposé, etc.), ainsi que les actes de langage que le locuteur accomplit en direction de son interlocuteur, du fait même qu'il profère un certain énoncé (affirmation, question, ordre, promesse, etc.). 3. La conception ducrotienne de la pragmatique intégrée 3.1. Termes à contenu conceptuel vs termes à contenu procédural Ducrot constate que certains mots renvoient à des entités du monde, ou aux événements et actions dans lesquels ces entités sont impliquées. Ces mots sont des substantifs (maison, chien, table, livre, bateau...), des adjectifs (blanc, grand, gentil, lourd...) et des verbes (chanter, plaire, finir, détruire, rompre...) : ils sont appelés termes à contenu conceptuel. En revanche, certains autres mots ne désignent pas des objets, des propriétés ou des actions du monde, mais livrent des instructions, des procédures sur la façon d'utiliser les phrases dans la communication. Il s'agit Page 3 sur 9 2ème Année Master - Sémiopragmatique essentiellement de pronoms personnels (je, tu...), de certains verbes (les performatifs d'Austin : promettre, remercier...) et des conjonctions, adverbes, etc. (mais, car, donc, et… ; parce que, puisque… ; franchement, d'ailleurs, enfin, en effet ...). Ces mots sont des termes à contenu procédural (appelés aussi embrayeurs). Exemples Ton dessert est délicieux mais un peu trop sucré. Ton dessert est délicieux, mais n 'insiste pas. Tu veux dîner dehors parce que ma cuisine te déplaît ? Tu veux dîner dehors ? Parce qu’il y a un nouveau restaurant qui s'est ouvert en ville. Le rôle de mais et de parce que est d'indiquer à l'interlocuteur qu'il lui faut établir un rapport logique entre les deux parties de l'énoncé ; en l'occurrence, respectivement une restriction et une explication. L'usage du pronom de la première personne du singulier « je » illustre bien le fonctionnement des termes à contenu procédural. En effet, si « je » avait un contenu conceptuel (c’est-à-dire désignait un objet du monde), on devrait pouvoir le remplacer par la périphrase « le locuteur de cet énoncé » chaque fois qu'il apparaît. Or, substituer au pronom « je » le contenu « le locuteur de cet énoncé » dans tous les énoncés où ce pronom apparaît donne, du point de vue de la vérité ou de la fausseté de la proposition exprimée (l'énoncé exprime une proposition qui représente une pensée du locuteur), des résultats différents de ceux que l'on obtient avec l'énoncé de départ. Cela revient à dire que le contenu du pronom je correspond non pas à un concept, mais à une procédure : ce pronom apparaît pour indiquer à l’interlocuteur qu'il lui appartient de rechercher, dans la situation de communication, la personne qui parle. Exemples (a) Je n 'existe pas. (b) Le locuteur de cet énoncé n'existe pas. Si dans (a) on substitue à « je » « le locuteur de cet énoncé », on uploads/Philosophie/ cours-n005.pdf

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