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CAHIERS DE RECHERCHE SOCIOLOGIQUE Le réalisme critique : une réorientation du projet de la sociologie ? Responsables : Frédéric Vandenberghe et Daniel Dagenais Le « réalisme critique » (Critical Realism) est un courant de pensée interdisciplinaire dans les sciences humaines et sociales qui, bien qu’ayant pris son essor dans l’œuvre du philosophe des sciences Roy Bhaskar (1944-2014), a immédiatement trouvé écho chez les sociologues en raison du débat qui animait leur discipline depuis les années soixante-dix et quatre-vingt sur la nature de son objet. Quelques quarante ans après l’ouvrage séminal de Bhaskar, A Realist Theory of Science, il est clair que ce courant de pensée a pris la forme d’une école (un véritable collectif, d’abord, analogue en cela au mouvement du MAUSS) d’envergure internationale qui occupe en outre une place singulière dans le champ des sciences sociales. Comment peut-on envisager l’évaluation critique de cette théorie et de ce mouvement aujourd’hui ? Est-on en présence d’une proposition qui, par l’importance de son projet théorique et épistémologique, ainsi que par l’étendue de ses remises en questions analytiques, force une réorientation du projet de la sociologie ? À quelles conditions cette réorientation peut-elle influer le cours du projet sociologique ? Contre le positivisme, le réalisme critique relève en effet que l’activité scientifique ne consiste pas à rechercher des lois, et encore moins des corrélations statistiques entre des variables. La science explique les faits et les événements et elle le fait en découvrant les mécanismes génératifs qui les causent. Contre le postmodernisme, le réalisme critique fait valoir que la réalité existe indépendamment de nous et qu’elle ne peut donc pas être réduite aux représentations que nous en avons. Plus qu’une philosophie des sciences, le réalisme critique développe ainsi une philosophie pour les sciences qui évite les travers du scientisme et s’engage résolument pour une société plus juste, plus libre et conviviale, où la liberté de chacun est la condition de la liberté de tous. L’alliance entre une philosophie rigoureuse pour les sciences et une philosophie généreuse pour les sociétés est, sans aucun doute, ce qui caractérise et ce qui distingue le réalisme critique des autres mouvements intellectuels contemporains dans les sciences sociales. La double exigence – rigueur conceptuelle et analytique d’une part, et engagement existentiel et politique de l’autre – est également ce qui attire les adeptes en quête d’une philosophie englobante qui harmonise le rationalisme scientifique avec une sensibilité humaniste et une volonté de transformer le monde en intégrant ces principes à l’analyse sociologique. Sur le plan du débat entre structure en agency qui a tant marqué la sociologie, le réalisme critique réaffirme l’antériorité historique de la société sur les individus et les groupes d’une manière qui rompt avec le paradigme de la production de la société pour y substituer un modèle « transformationnel » où les sujets (individuels ou collectifs) ne parvient finalement qu’à transformer et orienter dans une certaine direction une société toujours déjà si massivement antérieure à leur entrée en scène qu’elle lui échappe comme totalité. Cette affirmation de l’antériorité ontologique de la société et des groupes sur l’individu conduit pourtant le réalisme critique à réaffirmer l’indépendance de ceux-ci vis-à-vis de la celle-là en faisant de ces deux modes d’êtres deux réalités ontologiquement distinctes et ultimement « imperméables » l’une à l’autre, bien que celle-là ne puisse exister que par celui-ci. On voit d’emblée les multiples chassés-croisés avec d’autres approches théoriques de même envergure que l’examen du réalisme critique entrainerait : alors que sa revendication d’une approche réaliste critique (ou transcendantale) post-positiviste le rapproche de la sociologie analytique et de la sociologie critique (Bourdieu), sa défense de la philosophie et son engagement éthico-politique le rapprochent de la théorie critique, du poststructuralisme et du mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales ; si le réalisme critique partage avec un Giddens un même accent sur la médiation obligée de la structure sociale par l’individu, l’extériorité ontologique de la société par rapport à l’individu les sépare irrémédiablement ; il y aurait alors de manière semblable une parenté certaine entre la sociologie de Michel Freitag et l’accent mis par Archer sur le sujet individuel comme porteur essentiel de notre humanité – jamais la première position n’accepterait de payer le prix d’un abandon de la saisie reproductive de la totalité sociale concédée par le réalisme critique pour ménager un espace à l’individu. L’éclairage du réalisme critique à partir de ces quelques foyers cités ici à titre d’exemples nous parait prometteur. Ce numéro des Cahiers de recherche sociologique prend donc acte des positions principales du réalisme critique, et interroge sa portée à l’égard du projet de la sociologie : s’agit-il de repenser de fond en comble la discipline à partir du réalisme critique ? S’agit-il de confronter plus simplement ce dernier aux efforts de théorisation générale (Giddens, Luhmann, Freitag, Habermas, Beck, Bourdieu, etc.) ? Peut-on tirer des conclusions spécifiques du réalisme critique en ce qui concerne la pratique sociologique, du point de vue de concepts précis, de méthodes analytiques nouvelles, ou encore de positions « éthiques » différentielles pour la sociologie au sein du monde contemporain ? Ce sont à de telles interrogations, principalement mais pas uniquement, qu’entend s’ouvrir ce numéro des Cahiers de recherche sociologique portant sur Le réalisme critique : une réorientation du projet de la sociologie ? Les articles s’engageront sur l’un ou l’autre des axes suivants : 1) comparaison critique du réalisme critique avec des théories existantes, ou des courants analytiques spécifiques ; 2) évaluation critique des postulats de base du réalisme critique, en fonction de ses propositions de réorientation de l’analytique sociologique ; 3) approfondissement des apports du réalisme critique (de la part de Bhaskar ou d’un auteur issu de la mouvance du Centre for Critical Realism) au sein de la sociologie. Les propositions d’articles (environ 250 mots, avec titre, nom et affiliation) devront être acheminées d’ici le 15 février à Frédéric Vandenberghe (frederic@iesp.uerj.br ) , Daniel Dagenais (daniel.dagenais@concordia.ca )ou Jean-François Côté (cote.jean-francois@uqam.ca). uploads/Philosophie/ crs-no-63.pdf

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