Collection de la Maison de l'Orient méditerranéen ancien. Série littéraire et p
Collection de la Maison de l'Orient méditerranéen ancien. Série littéraire et philosophique Sur la « théologie » de Xénophane Monsieur Daniel Babut Citer ce document / Cite this document : Babut Daniel.Babut Daniel. Sur la « théologie » de Xénophane. In: Parerga. Choix d’articles de Daniel Babut (1974-1994) Lyon : Maison de l'Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux, 1994. pp. 47-86. (Collection de la Maison de l'Orient méditerranéen ancien. Série littéraire et philosophique, 24); https://www.persee.fr/doc/mom_0151-7015_1994_ant_24_1_1352 Fichier pdf généré le 02/05/2018 Revue Philosophique, 164, 1974 47 Sur la « théologie » de Xénophane Les fragments théologiques de Xénophane, où l'on s'accorde généralement à voir l'apport le plus important du philosophe-poète de Colophon à l'histoire de la pensée grecque, sont traditionnellement divisés en deux groupes : d'un côté ceux qui auraient une signification purement négative et critique (B 11-17 Diels-Kranz), de l'autre ceux auxquels on pourrait attribuer une signification positive (B 23-26 D.-K.), c'est-à-dire dans lesquels Xénophane exposerait les principes d'une théologie constructive, substituée à la théologie traditionnelle1. Bien que cette distinction puisse paraître commode, et son adoption sans influence sur l'interprétation de ces textes, il importe de se demander si elle est justifiée, et sur quoi elle est fondée. Sur ce dernier point, on ne peut manquer de remarquer que cette dichotomie des fragments théologiques recoupe exactement leur répartition, chez les plus récents éditeurs, entre les deux principales œuvres que la tradition attribue à Xénophane, le recueil satirique des Silles2 et le poème didactique Sur la nature (Περί φύσεως)3. Or, il se trouve que l'existence de cette dernière œuvre, qui n'est 1. Cf. notamment J. Adam, The Religious Teachers of Greece, Edimbourg, 1908, pp. 200 et 208 ; Κ. Deichgräber, Xenophanes περί φύσεως, Rheinisches Museum, 87 (1938), p. 25 sq. ; C. Corbato, Studi senofanei, Annali Irieslini, 22 (1952), pp. 217, 225 ; G. S. Kirk-J. Ε. Raven, The Presocratic Philosophers, . Cambridge, 1963 (1957), pp. 168-169; S. Zeppi, II pensieroHi Senofane, dans W ' Studi di ftlosofia presocratica, Florence, 1962, p. 8 ; Senofane antiionico e presoflsta, ibid., p. 46 ; W. K. C. Guthrie, A History of Greek Philosophy, I, Cambridge, 1962, pp. 370 (« Destructive criticism ») et 373 (« Constructive theology ») ; K. von Fritz, Xenophanes, RE, IX A 2, 1967, col. 1546 : « Man kann sie [se. die theologischen Fragmente] einteilen in polemische, die sich gegen die landläufigen Vorstellungen von den Göttern wenden, und positive, in denen X. seine eigene Überzeugung von Wesen und Gestalt der Götter oder Gottes Ausdruck bringt. » 2. Ce titre n'est pas nécessairement original, cf. M. Untersteiner, Senofane. Teslimonianze e frammenti, Florence, 1955, p. ccxli ; G. Reale, dans E. Zeller- R. Mondolfo, La filosofia dei Greci nel suo soiluppo storico, I, 3, Florence, 1967, pp. 66-67. 3. Cf. H. Diels-W. Kranz, Die Fragmente der Vorsokraliker*, Berlin, 1951 : B 10-21 a, et peut-être 22, attribués aux Silles ; B 23-41, au Π. φύσεως ; de même Untersteiner, ibid. tome CLXiv. — 1974 26 48 Présocratiques 402 REVUE PHILOSOPHIQUE attestée que par des sources tardives et sans grande autorité1, a été fortement contestée par la critique moderne2, et bien que les arguments avancés à ce sujet ne semblent pas décisifs, il serait imprudent d'affirmer aujourd'hui que Xénophane était bien l'auteur d'un poème philosophique portant ce titre. De toute façon, même s'il en allait autrement, nous n'aurions aucun moyen de répartir les fragments entre les deux œuvres3, ni non plus de raison déterminante d'admettre que l'orientation de l'une fût exclusivement polémique, tandis que le contenu de l'autre aurait été dogmatique. Bien plus, il est peu vraisemblable qu'un auteur ait jamais fait rigoureusement le départ entre la critique d'opinions ou de croyances qu'il juge erronées et l'exposé de ses propres vues en la matière4. Ainsi, aucun critère extrinsèque ne justifie la division habituelle entre des fragments de nature purement critique et d'autres qui nous feraient connaître la propre doctrine théologique de l'auteur. Reste à déterminer si cette division peut s'appuyer, en quelque mesure, sur le texte même des fragments. La plus ancienne interprétation du fragment 23 est celle de l'auteur même à qui nous devons la citation, Clément d'Alexandrie. A l'appui de sa thèse selon laquelle les philosophes grecs n'ont fait que répéter des doctrines empruntées aux Hébreux, il note en effet que « Xénophane de Colophon, qui enseigne que Dieu est unique et incorporel, dit en propres termes : Dieu est un. le plus grand parmi les dieux et les hommes, ne ressemblant nullement aux mortels par la stature ni par la pensée »5. Autrement dit, il interprète είς θεός comme une profession de monothéisme, en considérant la suite du vers comme une formule qu'il ne faut pas prendre à la lettre et qui n'implique donc pas l'existence d'une pluralité de dieux ; d'un autre côté, de l'expression ούτι. δέμας θνητοΐσιν όμοίιος il déduit que le Dieu de Xénophane diffère d'abord de l'homme par sa nature incorporelle*. Naturellement, cette interpré- 1. Schol. Genau, ad Φ, 196 (Cratès de Mallos, fr. 32 a, Mette, cf. 21 Β 30 Diels-Kranz) ; Pollux, VI, 46 (21 Β 39 D.-K.). Cf. Stobée, I, 10, 12 (21 A 36 D.-K.). 2. Cf. en dernier lieu Reale, dans Zeller-Mondolfo (ci-dessus p. 401, n. 2), pp. 69-71 ; P. Steinmetz, Xenophanesstudien, Rheinisches Museum, 109 (1966), pp. 54-68 ; Κ. von Fritz, Xenophanes (ci-dessus p. 401, n. 1), col. 1545-1546. 3. Cf. Guthrie, A History..., I, p. 366. 4. Cf. von Fritz, Xenophanes, col. 1545. 5. Stromates, V, 109, 1 : Ξ. 6 Κολοφώνιος διδάσκων δτι εϊς καΐ ασώματος ό θεός επιφέρει ' εις θεός, £ν τε θεοΐσι καΐ άνθρώποισι μέγιστος, | οοτι δέμας θνητοϊσιν όμοίιος ουδέ νόημα. 6. Cf. déjà Timon de Phlious, fr. 60, 2-3 (Diels : 21 A 35 D.-K.) : ... τόν ... θεόν ... νοερώτερον ή νόημα; Diogène Laërce, IX, 19 (21 A 1, p. 113, 26-27 D.-K.) : σύμπαντα τε είναι νουν καΐ φρόνησιν [se. τόν θεόν]. Voir Steinmetz (ci-dessus, n. 2), p. 54. RPhilos, 164, 1974 49 D. BABUT. — SUR LA « THÉOLOGIE » DE XËNOPHANE 403 tation est unanimement rejetée par les modernes : outre que la notion d'une nature purement spirituelle n'est guère concevable à l'époque de Xénophane, il est facile d'objecter que δέμας ne désigne pas le corps, pas plus chez Xénophane que dans la langue épique1, et qu'en tout état de cause, nier que Dieu soit semblable à l'homme par le δέμας n'équivaut en aucune façon à nier qu'il ait un δέμας — pas plus qu'on ne lui refuse toute pensée en niant qu'il soit semblable à l'homme par la pensée. Mais s'ils sont d'accord pour rejeter l'exégèse de Clement, les philologues sont loin d'être unanimes sur le sens qu'il faut reconnaître au fragment qu'il nous a transmis. Le premier vers, en particulier, a fait l'objet de multiples discussions2, qui n'ont cependant pas suffi à résoudre la difficulté fondamentale à laquelle se heurte tout essai d'interprétation : la contradiction apparemment flagrante entre l'affirmation de l'unité divine et la mention d'une pluralité de dieux. Sans entrer dans le détail du débat, on se contentera de remarquer que, d'un côté, toutes les interprétations de type monothéiste se brisent contre l'écueil de la formule εν τε θεοΐσι και άνθρώποισι μέγιστος, sans parvenir à la neutraliser. Wilamowitz, il est vrai, estimait que seule l'ignorance du grec peut faire percevoir une contradiction dans une phrase de ce genre, où l'expression antithétique n'a pas à être prise à la lettre et n'a d'autre objet que de souligner la portée universelle de l'affirmation : « le plus grand parmi les dieux et les hommes » serait un simple équivalent de « le plus grand qui se puisse concevoir », et la formule serait à considérer comme un exemple du mode d'expression antithétique ou contrastée (polare Ausdrucksweise) si courant dans le style grec archaïque3. Mais l'explication ne rend 1. Cf. 21 Β 14, 2 D.-K., où δέμας est mentionné après έσθητα et φωνήν, ce qui montre bien qu'il s'agit d'un caractère physique parmi d'autres, et surtout Β 15, 4-5, où le mot est expressément distingué de σώματα ; on ne peut donc le rendre par « corps », comme le font plusieurs traducteurs (Voilquin, Kirk, Freeman, Guthrie), mais par « stature » ou « forme » (cf. Kranz : Gestalt, Untersteiner, figura, aspetto ; Guthrie écrit body en Β 23, mais shape et form en Β 14 et 15), conformément à l'usage épique (cf. p. ex. //., 1, 115; Od., 5, 211-212; Hésiode, Théog., 260, et voir B. Snell, Die Entdeckung des Geistes, 2e éd., Hambourg, 1955, pp. 22-23 ; A. W. H. Adkins, From the Many to the One, Londres, 1970, p. 21. 2. Cf. en dernier lieu W. Pötscher, Zu Xenophanes fragm. 23, Emerita, 32 (1964), pp. 1-13 ; Reale, dans Zeller-Mondolfo, pp. 84-88 ; M. C. Stokes, One and Many in Presocratic Philosophy, Washington, 1971, pp. 76-79. 3. Euripides, Heracles, II, Berlin, 1889, p. 246. Cf. aussi, entre autres, J. Burnet, L'aurore de la philosophie grecque {Early Greek Philosophy, Londres, uploads/Philosophie/ d-babut-sur-la-quot-the-ologie-quot-de-xe-nophane.pdf
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- Publié le Mar 23, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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