LA THEORIE DU TATHAGATAGARBHA ET DU GOTRA P U B L I C A T I O N S D E L ' É C O
LA THEORIE DU TATHAGATAGARBHA ET DU GOTRA P U B L I C A T I O N S D E L ' É C O L E F R A N Ç A I S E D ' E X T R Ê M E - O R I E N T VOLUME LXX L A T H É O R I E D U T A T H Â G A T A G A R B H A E T D U G O T R A Ëtudes sur la Sotériologie et la Gnoséologie du Bouddhisme PAR DAVID SEYFORT RUEGG ÉCOLE FRANÇAISE D'EXTRÊME-ORIENT PARIS 1969 Dépositaire : Adrien-Maisonneuve, 11, rue Saint-Sulpice, Paris (6e) AVANT-PROPOS Le présent ouvrage a pour sujet un aspect de la théorie de l'Absolu dans la pensée bouddhique mahâyâniste, le terme d'Absolu employé ici pour « indiquer » la Réalité absolue fonctionnant comme une expression de valeur virtuellement métalinguistique qui est sans signifié objectif et substantiel, et qui relève de ce qu'on nomme parfois Vudbhâvanâsamvrtii dont la fonction est précisément d'indiquer (samsûcanâ) ou de montrer (samdarsana) l'Absolu en soi impensable et inexprimable. L'Absolu peut être envisagé sous deux aspects selon que la théorie a trait à la Réalité absolue proprement dite à l'état de Fruit (phala), ou bien à la cause motivante (hetu) ou au support (ddhdra) ; tandis que le premier aspect correspond au but transcen- dental visé par l'exercice spirituel, le second est en quelque sorte immanent puisqu'il est le Support causal de cet exercice. A ces deux aspects de l'Absolu on joint le Chemin (mârga) qui « relie » l'Absolu à l'état de cause et l'Absolu à l'état de Fruit, le processus de perfec- tionnement progressif permettant au pratiquant de réaliser ce Fruit sur la base du Support causal1. Mais si l'enseignement bouddhique, qui est commandé en grande partie par l'exposé du processus sotério- logique qu'est le Chemin, postule comme point de départ un Élément de l'Esprit qu'on nomme tathâgaiagarbha, dhâtu ou prakriistha- (1) Sur les termes de Support (Base) causal(e), Chemin et Fruit voir ci-dessous, p. 63, 126, 177. Dans ce travail nous écrivons souvent avec une majuscule les mots employés dans des sens particuliers comme des termes techniques ; en tant qu'équivalents de termes techniques sanskrits et tibétains ces mots doivent naturellement s'entendre non pas selon leurs connotations dans l'usage moderne (philosophique ou autre), mais conformément à leur emploi et leur définition dans les textes originaux. Alors qu'il est sans doute légitime de paraphraser les termes techniques sanskrits et tibétains en employant des expressions tirées du langage philosophique moderne, et aussi d'utiliser dans nos paraphrases et discus- sions des expressions différentes pour un seul terme technique de l'original selon le contexte, dans des traductions il semble préférable en principe d'employer aussi souvent que possible un système régulier d'équivalents techniques où un seul terme de la traduction rend un seul terme technique sanskrit ou tibétain. Bien entendu, l'élaboration d'un tel système pose des problèmes et il est parfois difficile d'y adhérer aussi strictement qu'on aimerait à le faire. 2 L A THEORIE D U T A T H A G A T A G A R B H A ET D U G O T R A gotra — et qui constitue ce Support de l'exercice spirituel et partant la cause motivante de la réalisation du Fruit — et comme aboutisse- ment l'état de taihâgata ou de buddha, il ne s'ensuit pas que le premier serait la cause productive (kârana) du Fruit ou que ce dernier serait un produit résultant du premier ; car aux termes de l'analyse philoso- phique l'Embryon de tathâgata (tathâgatagarbha) et l'état de tathâgata — l'Élément causal de l'Esprit et le Fruit — sont non pas des entités— qui sont par définition conditionnées et partant impermanentes — mais bien au contraire inconditionnés ou incomposés (asamskrta) et en dehors de l'enchaînement de cause à effet. Pendant que la sotériologie se joint à la gnoséologie aussi longtemps qu'il est question de la voie par laquelle on atteint la délivrance qu'est l'Éveil et de la fonction du iathâgatagarbha, le point de vue gnoséologique tend à prédominer lorsque l'attention se dirige davantage sur le tathâgatagarbha en soi et le Fruit à atteindre cogniti- vement (adhigama, e t c j parla Gnose (jfiâna). Puisqu'il rend possible à la fois la délivrance et le suprême et parfait Éveil (anuttarasamyak- sambodhi) l'Élément de l'Esprit relève en même temps des chapitres sotériologiques et gnoséologiques de l'enseignement ; et la sotériologie et la gnoséologie, qui embrasse ici la métaphysique, sont en dernière analyse les deux faces de la même médaille. Par rapport aux doctrines classiques des deux grandes branches du Mahâyâna — le Madhyamaka et le Vijnânavâda — la théorie du tathâgaiagarbha et les enseignements apparentés ou parallèles constituent un courant particulier occupant une place spéciale dans l'histoire de la pensée bouddhique. Aussi le langage employé par les textes afférents pour exposer leur doctrine et les images utilisées pour l'exemplifîer diffèrent-ils souvent assez sensiblement du langage usuel des traités du Madhyamaka et du Vijnânavâda tout en se rapprochant parfois des textes du Vedânta. La question se pose alors de savoir si la doctrine des Sûtra et Sâstra traitant du tathâgatagarbha, etc., est à interpréter dans le sens d'un absolutisme moniste plus ou moins identique à celui préconisé par l'Advaita-Vedânta, ou s'il s'agit plutôt d'enseignements conformes quant au fond à la doctrine pan-bouddhique de l'Insubstantialité de l'individu (pudgalanai- râtmya) et à la doctrine mahâyâniste de l'Insubstantialité de tous les facteurs de l'existence (dharmanairâtmya) ; dans ce dernier cas c'est leur teneur littérale qui serait parfois comparable à celle des textes du Vedânta alors que leur système doctrinal dans son ensemble exclurait toute interprétation védântisante1. En tout état de cause on peut penser que ces Sûtra et Sâstra occupent une position un peu à (1) Nous parlons ici seulement des grands systèmes philosophiques pris dans leur ensemble tels qu'ils sont enseignés dans les textes classiques. Nous n'excluons pas bien entendu l'existence d'échanges dans la période de formation des doctrines bouddhiques et brahmaniques et de contacts tout au long de leur histoire ; en effet, on rencontre souvent des analogies aussi bien dans les problèmes que dans les méthodes. Cf. infra, p. 388 et suiv., 498, 499 n. 1 (et Le traité sur le Tathâgaiagarbha de Bu ston (DzG), f. 22 a-b). A V A N T - P R O P O S 3 côté de la ligne de développement prise par les autres courants de la pensée mahâyâniste ; mais alors que nous verrons que certains docteurs bouddhistes ont effectivement avancé des interprétations qui étaient, selon l'opinion de la majorité des bouddhistes, quasi védântiques, nous constaterons aussi que dans des Sûtra fonda- mentaux aussi bien que dans les Sâstra le tathâgatagarbha est rapproché de la sûnyatâ et que le système doctrinal du Rainagotravibhâga et de son commentaire principal ne rejette nullement la doctrine de la sûnyatâ enseignée dans les Prajnâpâramitâ-Sùtra. Il importe donc d'essayer de déterminer ce que signifie la notion de la sûnyatâ dans des ouvrages relevant d'une tradition qui use parfois d'un langage philo- sophique différent de celui du Madhyamaka et du Vijnânavâda classiques ; car si cette tradition avait vraiment abandonné la Voie du Milieu elle ne serait en fait qu'une sorte de Vedânta non orthodoxe. Un grand spécialiste de l'histoire du bouddhisme écrivait tout récemment que l'auteur du Ratnagotravibhâga a forgé « un monisme absolu, plus brahmanique que bouddhiste »1. Et d'autres savants avaient déjà qualifié sa doctrine de moniste, mais en prêtant au mot monisme non pas le sens de réalité moniste mais celui de principe d'interprétation qui exclut toute pluralité2. Or, que le (taihâgata-) dhâlu présent dans les trois conditions (avasihâ) de l'être animé (sattva) ordinaire, du bodhisaitva et du iaihâgala joue le rôle d'un tel principe, cela est certain3 ; mais comme la presque totalité des textes bouddhiques de toutes les écoles, nos sources parlent généralement beaucoup moins de monisme au sens strict que de non-dualité (advaya)ê. Il s'agit en l'espèce de la non-dualité du dharmakâya enveloppé extérieurement par des souillures adventices et en quelque sorte immanent à l'être animé et du dharmakâya proprement dit au niveau résultant du buddha — en d'autres termes de la non-dualité au Sens absolu (paramâriha) du tathâgatagarbha et de l'état de tathâgata (ou buddha), de l'Ainsité maculée (samalâ iathaiâ) et de l'Ainsité immaculée (nirmalâ laihalâ). Or l'expression monisme, beaucoup mieux à sa place quand il s'agit de rendre le terme advaita (1) E. LAMOTTE, L'enseignement de Vimalakïrii (Louvain, 1962), p. 56 ; le même savant tient le Rainagotravibhâga pour un ouvrage de l'École Yogàcâra (p. 54-56). (2) C'est ainsi que Th. STCHERBATSKY et E. OBERMILLER ont employé cette expression. Voir la définition de Steherbatsky citée infra, p. 268 n. 5, et l'Introduction d'Obermiller à sa traduction du Ratnagoiravibhâga: The Sublime Science of Maitreya, AO 9 (1931). (3) Cf. la notion de la iathaiâ qui est non seulement nirmalâ^ immaculée » mais aussi samalâ « maculée ». A ce point de vue il existe uploads/Philosophie/ david-seyfort-ruegg-la-theorie-du-tathagatagarbha-et-du-garbha-etudes-sur-la-soteriologie-et-la-gnoseologie-du-bouddhisme-1969.pdf
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- Publié le Nov 08, 2022
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