https://www.jetdencre.ch POLITIQUE le 5 janvier 2014 PAR TRISTAN IRSCHLINGER De
https://www.jetdencre.ch POLITIQUE le 5 janvier 2014 PAR TRISTAN IRSCHLINGER De la nature humaine, Rousseau contre Hobbes Il y a deux ans, un sondage était proposé sur jetdencre.ch. L’occasion pour les lecteurs, en répondant à une simple question, de se prononcer sur leur conception de la nature profonde de l’homme. S’appuyant sur l’enseignement que l’on tire habituellement de l’œuvre de deux auteurs classiques, Jean-Jacques Rousseau et Thomas Hobbes, deux choix de réponse étaient alors offerts: « Bon (Rousseau) » et « Mauvais (Hobbes) ». Après plus d’un millier de votes, c’est la première proposition qui l’a emporté, d’une courte tête toutefois. Une faible majorité des votants semblent donc conclure, avec Rousseau, que l’homme est naturellement bon. Mais alors, qu’entendaient exactement ces deux penseurs quant à la nature fondamentale de l’homme ? Soit, l’homme est bon pour Rousseau, et mauvais pour Hobbes. Mais dans quel sens ? Et quelles en sont les implications ? C’est ce que cet article tente d’explorer, en mettant en exergue la manière dont Rousseau, écrivant après Hobbes, s’en est radicalement distancé. « Ils parlaient de l’homme sauvage, et ils peignaient l’homme civil » Même si des idées semblables avaient déjà été utilisées antérieurement, c’est depuis la publication des travaux des contractualistes – dont Hobbes, Locke et Rousseau – que le concept d’état de nature occupe une place centrale dans l’histoire de la pensée politique. Ces auteurs ont ressenti le besoin de se représenter l’homme dans sa condition naturelle afin de comprendre l’essence même de la nature humaine, des relations entre humains et de l’institution politique au sens large. Leur vision de l’état de nature constitue ainsi le fondement de leur pensée politique, et c’est à ce niveau que les profondes divergences entre les conceptions de Rousseau et de Hobbes prennent leur source. Logiquement, leurs visions divergentes de l’homme dans l’état de nature amènent les deux auteurs à des conclusions très différentes concernant l’entrée en société. La conception hobbesienne de l’état de nature est celle d’un état de guerre de tous contre tous . La compétition pour les ressources ainsi que la multitude de passions et de désirs égoïstes et conflictuels poussent les hommes à se détruire et se subjuguer l’un l’autre . Par conséquent, sans un pouvoir capable de tous les tenir en respect, les hommes restent dans un état de lutte permanente pour leur propre conservation, où règnent la crainte et l’insécurité . Pour reprendre les mots de Hobbes, cet état est caractérisé par « la peur continuelle et la crainte d’une mort violente ; et la vie que l’homme mène est solitaire, misérable, désagréable, sauvage et brève » . Rousseau va totalement remettre en cause cette vision hobbesienne de la condition naturelle de l’homme. Selon lui, « les philosophes qui ont examiné les fondements de la société ont tous senti la nécessité de remonter jusqu’à l’état de nature, mais aucun d’eux n’y est parvenu » . Il estime ainsi qu’aucun penseur n’est arrivé à esquisser le véritable état de nature. Le blâme est notamment dirigé contre Hobbes, qui est plusieurs fois cité explicitement dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. Ainsi, Rousseau nous dévoile « la faute que Hobbes et d’autres ont commise » , celle d’avoir attribué à l’homme dans l’état de nature des attributs et des passions qui sont tout à fait propres à l’état social, et qui ne peuvent donc naître que dans la société . Sa conclusion tombe comme un couperet : « Ils parlaient de l’homme sauvage, et ils peignaient l’homme civil » . Cette critique découle d’une différence fondamentale entre les deux auteurs. Pour Hobbes, il semble que l’état de nature possède, dans une certaine mesure, une réalité historique . Il affirme : « il existe nombre d’endroits où ils [les hommes] vivent ainsi [dans l’état de nature] actuellement » , signifiant ainsi que certains peuples se trouvent, au moment même où il écrit, dans l’état de nature , ou du moins dans un état très similaire . Il cherche ainsi à amener des preuves historiques contre ceux qui pourraient l’accuser de pure fantaisie. En ce qui concerne Rousseau – bien que cette question soit sujette à débat – il semble ressortir clairement de ses propos que cet état n’est pour lui qu’une pure fiction théorique, qui doit être comprise comme basée sur « des raisonnements hypothétiques et conditionnels ; plus propres à éclaircir la nature des choses qu’à en montrer la véritable origine » . Pour lui, « il faut nier que […] les hommes se soient jamais trouvés dans le pur état de nature » . Il affirme que même les plus primitifs des peuples connus à son époque sont fortement éloignés de cette condition, tout en se moquant allègrement de ceux – comme Hobbes – qui ne s’en apercevraient pas: « c’est faute d’avoir suffisamment distingué les idées, et remarqué combien ces peuples étaient déjà loin du premier état de nature, que plusieurs se sont hâtés de conclure que l’homme est naturellement cruel et qu’il a besoin de police pour l’adoucir » . Rousseau estime donc que Hobbes a commis une erreur historique . N’ayant « pas songé à se transporter au-delà des siècles de société » , ce dernier n’a pas été en mesure de comprendre la véritable essence de la nature humaine. . « Fais ton bien avec le moindre mal d’autrui qu’il est possible » Se basant sur une vision différente de la nature de l’homme, Rousseau va récuser radicalement « cet état de guerre perpétuelle de tous contre tous dont Hobbes ose tracer l’odieux tableau » , traitant au passage ce dernier de « sophiste » , invective vigoureuse s’il en est à l’époque. Il pense alors dépeindre le véritable homme sauvage qu’aucun de ses prédécesseurs n’a selon lui réussi à représenter. Pour Rousseau, comme pour Hobbes, l’homme dans l’état de nature est isolé et insociable . Néanmoins, contrairement à la conception hobbesienne, il est paisible et heureux : « Je le vois se rassasiant sous un chêne, se désaltérant au premier ruisseau, trouvant son lit au pied d’un arbre qui lui fournit son repas, et voilà ses besoins satisfaits » . La première passion qui le meut est l’amour de soi-même. Ceci peut sembler proche de la vision de Hobbes, mais Rousseau effectue une distinction cruciale entre l’amour de soi-même et l’amour-propre. Le premier est le simple sentiment naturel d’autoconservation, l’instinct de subsistance, alors que le deuxième est un sentiment relatif et factice, qu’on pourrait 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 appeler vanité, et qui naît, selon Rousseau, uniquement dans la société , lorsqu’on commence à se comparer aux autres de manière régulière. Hobbes, quant à lui, pense que l’homme est déjà vaniteux dans l’état de nature , ce qui est une différence essentielle. En effet, l’amour-propre encourage le développement d’une multitude de passions et de désirs conflictuels qui sont autant de sources de querelles. Chez Rousseau, l’homme sauvage éprouve bel et bien des désirs, mais ils sont très limités car ils « ne passent pas ses besoins physiques » . De surcroît, dans l’œuvre de Rousseau, à l’amour de soi-même vient s’ajouter une deuxième passion naturelle fondamentale : la pitié, entendue dans le sens d’une aversion à voir souffrir son semblable . Pour utiliser les mots de Claude Lévi-Strauss, chez Rousseau, « l’homme commence donc par s’éprouver identique à tous ses semblables » . On se situe ici aux antipodes de la conception de Hobbes d’un homme égoïste et vaniteux , se considérant plus sage que ses semblables , accordant plus d’importance à lui-même qu’aux autres , et n’hésitant pas à les attaquer, que ce soit pour se procurer sa subsistance ou par anticipation . Selon Rousseau, la pitié amène ainsi l’homme à respecter une maxime simple : « Fais ton bien avec le moindre mal d’autrui qu’il est possible » . Et comme l’état de nature chez Rousseau est un état d’abondance , l’homme trouve facilement sa subsistance et les conflits s’avèrent d’une grande rareté . Cet élément contraste fortement avec la rareté des ressources dans l’état de nature hobbesien, qui encourage la rivalité et le conflit . . « Privé de toute sorte de lumières » Une autre différence marquée intervient au niveau de l’usage de la raison. Chez Hobbes, l’homme dans l’état de nature possède une raison qui lui permet de faire des prédictions sur son bien-être à long terme , ainsi qu’une curiosité naturelle . Rousseau s’oppose frontalement à Hobbes sur l’exercice de la raison que ce dernier attribue à l’homme. Il tourne Hobbes en dérision, avançant qu’il cherche à faire de l’homme sauvage un philosophe comme lui , et soulignant encore une fois l’incapacité de Hobbes à penser au-delà de l’état social. L’homme sauvage que dépeint Rousseau est très proche de l’animal ; même s’il possède la faculté de raisonner en tant qu’attribut, il est pour l’instant dénué de raison uploads/Philosophie/ de-la-nature-humaine-rousseau-contre-hobbes.pdf
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- Publié le Fev 26, 2022
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