Yves Le Manach UNE UNE UNE UNE UNE CORRESPONDANCE CORRESPONDANCE CORRESPONDANCE

Yves Le Manach UNE UNE UNE UNE UNE CORRESPONDANCE CORRESPONDANCE CORRESPONDANCE CORRESPONDANCE CORRESPONDANCE SITUATIONNIS SITUATIONNIS SITUATIONNIS SITUATIONNIS SITUATIONNISTE TE TE TE TE Deuxième partie : l’été 1989 ARTICHAUTS DE BRUXELLES, vol. 55 Série Trois personnages en quête d’hauteur Bruxelles, avril 2000 visé cette édition), Debord écrit : « Baudet a rencontré une lueur de raison. Il s’est donc épargné une bien imminente foudre, en m’adressant de haineuses excuses ; lesquelles plai- dent audacieusement l’erreur, non dans son emploi lourdaud des insinuations, mais dans mon incompétente lecture. Cette incompétence est établie par un postulat psychologique : j’aurais tant hâte de me découvrir un ennemi, que mes soup- çons descendraient à présent au niveau de l’insecte. Ce glo- rieux Tchernobyl m’assure fièrement que mes injustes provo- cations n’arriveront pas à le rendre “antidebordiste”. Com- me si c’était la question ; et comme s’il avait les moyens de l’être ! J’imagine que cela a dû pourtant coûter beaucoup à cette âme mesquine. » En dépit du fait que Debord traite son ancien ami d’in- secte, de Tchernobyl (Baudet avait publié chez Champ Libre — avec les félicitations de Debord — un livre sur la catastro- phe ukrainienne) et d’âme mesquine, on ne voit pas très bien quelle imminente foudre il a bien pu épargner à Baudet. En réalité, ayant Anders à ses trousses, la position de Debord dans cette affaire était très fragile. Le hasard est avec Martos A la même époque, sans que la date soit précisée, Jean- François Martos et Guy Debord se sont croisés par hasard rue Jouye-Rouve (20e arrond.). Alors que depuis des années les deux hommes étaient en contacts réguliers, quasiment profes- sionnels, ils ne se sont plus vus ni écrit depuis octobre 1988, date de la lettre de conciliation de Martos. Lors de cette ren- contre, la discussion s’est bien évidemment orientée sur l’af- faire Baudet-Anders, devenue la seule affaire Baudet. Suite à cette rencontre, le 2 juillet 1989, Martos écrit, non pas à Debord, que le destin vient pourtant de mettre sur son 4 chemin, mais à Baudet : (Jean-Pierre, le Cher a disparu), et elle est précédée d’un laconique Copie à Guy Debord. En réalité, cette lettre à Baudet est une lettre de soumis- sion écrite à la seule intention de Debord. Martos abandonne son rôle de médiateur. Des mois d’éloignement et la peur de perdre son maître l’ont amené à choisir son camp : il trahit ouvertement son ami. C’est ainsi qu’il écrit : «La discussion, les arguments utilisés, puis une relecture attentive de l’en- semble de la correspondance m’amènent à préciser encore plus nettement quelques évidences. (...) Je te répète que ta présentation d’Anders était franchement équivoque... » Ainsi ce n’est plus le contenu du résumé d’Anders qui est pris en compte, mais seulement les quelques lignes qui l’accompa- gnaient ; Martos, loin de préciser les évidences, fait un virage à 180°. Ensuite il reproche à Baudet de traiter Debord de pa- ranoïaque, de le soupçonner de mensonges délibérés, d’être un imbécile ignorant... Bref, il reconnaît à Debord le droit d’insulter Baudet, mais il refuse à ce dernier le droit de se défendre. Tous les arguments utilisés le 18 octobre sont aban- donnés et seul le point de vue de Debord est pris en considé- ration. Dans ce volume de Correspondance Martos se décon- sidère lui-même. Ces gens, qui voulaient changer le monde, ne semblent avoir eu d’autre ambition que celle de préserver leur position au sein d’un groupe, ainsi que le font les gallinacés. La proxi- mité de Debord étant nécessaire au prestige de Martos, il n’hé- site pas à sacrifier son ami, mais aussi ce qu’il connaissait comme étant la réalité. Le hasard contre la volonté de Debord Recevant copie de la lettre de Martos à Baudet, Debord comprend que c’est à lui qu’elle est adressée. Alors qu’il n’a 5 Au travers de cette correspondance, on s’aperçoit que Martos adopte un profil de subalterne, son attitude est con- forme au profil et on ne saurait dès lors lui en vouloir. Baudet fait preuve de plus d’indépendance, c’est pourquoi on peut regretter qu’il n’ait pas joué les atouts qu’il détenait : la pos- sibilité de comparer les écrits d’Anders avec ceux de Debord. Sa défense inconditionnelle du debordisme, qui est devenue une attitude intellectuelle à la mode, explique cela. Quant à Debord, cette correspondance montre que non seulement il pratiquait la cruauté et le cynisme des cadres supérieurs, mais qu’il pouvait rompre avec ses amis à cause d’un livre ! Cet homme qui aspirait, probablement avec sincérité, à transfor- mer le monde, ne produisait en réalité que de la séparation sociale. * Debord a évité d’avoir à s’expliquer sur le rapport qui pouvait exister entre sa pensée en 1988 et la pensée d’Anders en 1956. Il a séparé les deux amis et il a eu la peau de Bau- det. Va-t-il avoir la peau de son indicateur Martos, et si oui, de quelle façon ? C’est ce que vous saurez en lisant la troi- sième partie de cette passionnante correspondance situation- niste. __________ * Dans une lettre d’octobre 1986, par exemple, Debord disait à Martos, à propos d’un certain B.D. : “ Classe cet insistant taré dans tes archives. ” Ce qui a un petit parfum de police secrète. RÉSUMÉ DE L’ÉPISODE PRÉCÉDENT : En pleine guerre contre la bande de l’Encyclopédie des Nuisances, Jean-Pierre Baudet, qui fait partie de la bande à Guy Debord, prend l’ini- tiative, en septembre 1988, de résumer pour ses proches le livre de Günther Anders : Die Antiquiertheit des menschen. Cela lui attire aussitôt les fou- dres de Debord. Alors que ce dernier a du lire un nombre considérable d’écrits traitant du « spectacle » sans prendre la mouche, il prend prétexte de la maladresse de Baudet, qui annonce à tort que son résumé est très libre et sa terminologie pas toujours d’origine, pour lui reprocher la mal- honnêteté de son travail. Baudet réplique à la lettre de Debord et écrit à son ami Jean-François Martos pour leur affirmer qu’en réalité il n’a pas trafiqué la pensée d’Anders. Fort des affirmations de son ami, Martos tente de concilier les deux parties. Alors que la balle était dans le camp de Debord c’est Baudet, en dépit du ton définitif de sa lettre du 3 octobre 1988, qui envoie une lettre d’excuse à Debord le 26 avril 1989. Pour en comprendre la raison, il est nécessaire de revenir en arrière. Floriana entre Debord et Baudet. Lorsque dans sa lettre du 3 octobre 1988, Baudet écrivait à Debord : « je n’ai jamais fréquenté Floriana autrement que pour le plaisir de sa fréquentation personnelle, et jamais comme un éditeur à exploiter », Debord voulut voir là un sous- entendu signifiant que lui la considérait comme un éditeur à exploiter, et qu’au travers de Floriana, Baudet diffamait l’ami- tié qui l’unissait à Lebovici. Debord, qui continuait de fréquenter la veuve de Lebo- vici, porta à sa connaissance la polémique qui l’opposait à ses comparses et se plaignit de la prétendue diffamation. Floriana qui, de son côté, fréquentait Baudet, ne vit pas là de quoi rompre avec son traducteur, mais lui conseilla pro- bablement de s’excuser afin de calmer l’irascible Debord. 2 Debord, qui a fixé la polémique sur la personne de Bau- det, trouve dans cette histoire de diffamation un prétexte sup- plémentaire pour éloigner toujours plus loin le risque d’un vrai débat. Le diffamé diffamateur Dans sa lettre du 26 avril 1989, Baudet se défend de la phrase incriminée par le fait qu’il était lui-même accusé par Debord « d’être un trafiqueur de traduction et de présenter des comportements insidieux ». Il précise : « … de même ma déclaration d’amitié pour Floriana ne cherchait en rien à noircir une tienne amitié. » Si Debord s’était réellement senti diffamé par Baudet, il n’aurait pas attendu six mois pour réagir. Mais le fait que Baudet entretienne une amitié sincère avec Floriana pouvait lui apparaître comme une menace pour l’autorité qu’il pen- sait exercer discrètement sur son certain milieu. Baudet achevait sa lettre par une déclaration de fidélité à ses convictions : « Je ne suis pas, en tout cas, de ceux qui virent leur cuti par simple avatar subjectif : je ne deviendrai pas anti-debordiste, et je ne m’y laisserai pas forcer, fût-ce par toi. » Baudet ne se situait pas dans le monde en fonction de ses propres contradictions, mais en fonction d’une défense inconditionnelle du debordisme. C’était là son point faible. Une incompétente lecture Après avoir reçu cette lettre par laquelle Baudet faisait acte d’allégeance, Debord, au lieu de lui répondre, se défile et écrit à Floriana, le 13 mai 1989, une lettre particulièrement vile. Après avoir exprimé son heureuse surprise de recevoir le livre de Clausewitz qui vient d’être édité (et sans faire aucune référence, à la qualité du travail de Baudet qui a ré- 3 jamais répondu à la lettre de médiation du 18 octobre, il ré- pond, avec célérité, le 12 juillet 1989. Par cette uploads/Philosophie/ debord-anders.pdf

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