D De el le eu uz ze e – – L Le e d de er rn ni ie er r c co ou ur rs s? ? par G

D De el le eu uz ze e – – L Le e d de er rn ni ie er r c co ou ur rs s? ? par Giorgio Passerone MAGAZINE LITTÉRAIRE N O 257 (SEPTEMBRE 1988) Edição Guinefort 2 LE COURS DU MARDI QUE DONNAIT DELEUZE ÉTAIT UN EXERCICE DE PHILOSOPHIE PRATIQUE. UN “PARLER AVEC” QUI SE MOQUAIT DU PRÊCHER. “Pour quelle raison Deleuze est-il, plus encore qu'il y a dix ans, notre contemporain? Et cependant, toujours intempestif, suffisamment pour être cette rareté, un contemporain d'avenir?” Alain Badiou (in “ML”, février 2002) Mardi 2 juin 1987, dans le bâtiment préfabriqué à côté de Paris VIII- Vincennes à Saint-Denis, il y avait même des caméras pour filmer l'événement. Et des curieux, des revenants, plus l'habituelle ethnie à tentation nomade - les Brésiliens, les Africains, les USA et les Chiliens, les Japonais, les Arabes et les Italiens, l'Indien et la Russe... (pas beaucoup de Parisiens). Tous là, à attendre la réplique de Deleuze car, on le sait, un événement est la chose la plus délicate du monde, on ne le filme pas comme ça. Il lui suffit de soupirer par sa voix, petit air - une modulation, mais de fermeté - qu'il y avait malentendu, car les derniers cours, on les fait toujours mais pas au moment qu'on le croit, et on ne cesse pas de les rater: “Aujourd'hui c'est tout à fait autre chose... Je souhaitais qu'on se retrouve ensemble pour lancer de nouvelles directions de recherche, et que certains d'entre vous parlent et moi je ne parle pas, et moi je pose des questions, c'est pour ça que vous pouvez mettre les “lumières”, et ce sera du cinéma muet...” Ça partait toujours ainsi, un “parler avec” qui se moque de prêcher, vraiment la quête d'un ton pour une sorte de concert, où le thème en solo est inséparable de l'accompagnement des autres. Et ce matin-là, le thème aurait été explicitement la variation même. Il avait passé l'année sur Leibniz en rodant le problème de l'harmonie, l'harmonie des âmes entre elles, des âmes et des corps, jusqu'à dégager l'élaboration d'un concept philosophiquement nouveau, l'accord de l'âme et du corps: n'y aurait-il pas de résonance avec le renouvellement 3 musical de la notion d'harmonie dans la musique baroque, définie par une théorie des accords et un traitement inédit des dissonances (Monteverdi, Peri, Caccini), plutôt que par une théorie du contrepoint mélodique? Aux “musiciens” du séminaire de démêler cette histoire de transformation de la notion d'harmonie; Deleuze lui aurait fait écho avec certains concepts de Leibniz afin d'en produire une lecture esthétique qui réagisse sur la musique et qui enchaîne avec sa compréhension plus proprement conceptuelle. Le cours du mardi a toujours fonctionné comme cela, une production-laboratoire autour de l'opérateur Deleuze avec sa tâche: faire une lecture des philosophes qui dégage leur orignalité, doubler celle-ci d'une création conceptuelle qui puisse servir d'exemple à ce qui de nouveau surgit dans d'autres domaines, dans les sciences, au cinéma, en littérature, en peinture, ou en musique... C'est pourquoi son public a toujours été composé de “philosophes” et de non philosophes, car cette tension du nouveau, de l'inattendu, n'implique pas du tout un simple jeu conceptuel, mais une urgence, un affect préphilosophique à préserver, et qui est la grâce du philosophe même. En effet, s'il y a une réponse de Deleuze aux théorisations très en vogue sur le sens de la philosophie, elle a l'allure d'une question-ritournelle: d'où vient cette étrange affinité qui nous traverse comme un coup de fouet, avec tel philsoophe, tel peintre, tel musicien, quel type de concept nous convient en suscitant en nous pas nécessairement un devenir philosophe, mais un devenir tout autre qui prend quelque chose de la philosophie pour qu'on s'en serve autrement? Le fonds commun d'une rencontre, et l'on repère les problèmes pour les travailler ensemble, c'est-à-dire chacun avec sa propre recherche solitaire. Cette sympathie- choc, sans complaisance, on la sentait se glisser par intemittences entre les gens, une sorte de pathos incorporel des séances. Bien sûr, il y avait la “scène” aussi, scandée au fil du temps: la frénésie de Vincennes aux beaux jours militants de l'“Anti-oedipe”, le climat plus studieux, moins porté sur les happenings de Saint-Denis. Il y avait les savants, les intellos psy, anti-psy, tiers-mondistes, avec leurs interventions acharnées, certaines fois pour ramener des données, spécifier (et ça allait), d'autres fois pour polémiquer, répartir les torts et les raisons, suivant le plus vieux tribunal du 4 jugement (et ça n'allait plus du tout); il y avait pas mal de fous, et les névrosés de toutes sortes, les agaçants et les attachants, tous à la demande infinie, en manque, aux aguets du moindre signe du Maître. Gignol's band, tantôt fatigant, tantôt gai, à gérer avec beaucoup de patience et d'humour, le charme même de Deleuze. Une plongée instantanée d'humeur, une remontée chantonnante, et il se tirait aussi loin du regard critique de l'entendement que des tentatives réitérées de psychodrame: toujours faire filer le subreprésentatif qui ouvre la formalisation, soit dans le champ du concept que dans celui du vécu vivant, agencer l'un à l'autre. On le lit, chez Deleuze, écrit par un style dur et ému à la fois, secoué par ce qu'Artaud appelle “le dehors subexterne plus inoui que tout intérieur”, l'impensé même d'une vie non organique; mais on le voit aussi, quand le style et le charme, devenus indiscernables jusqu'à disparaître, vont rendre dans la salle l'extériorité sereine de cette voix-silhouette qui embarque tout le monde et même sa fragilité de santé. Il raconte par exemple suivant la conceptualisation la plus minutieuse, comment la logique de Whitehead compose une véritable philosophie de l'événement apte à rendre compte de ce qui se passe dans les sciences, les arts, dans la vie même, non seulement dans la pensée pure. Puis, et ça recommence d'un coup, très concerté et improvisé à la fois: “Mais ça veut dire quoi, penser et vivre en termes d'événements? Ce sont des choses qui se font toutes seules et pourtant... Etes-vous sûrs d'être individués comme des personnes, en termes de moi et de sujets, ou non plutôt et à la lettre, comme un vent, un courant d'air?... Ce n'est pas le même monde celui où l'on dit ‘non seulement il y a des événements mais même cette table est un événement’, et celui où l'on dit “il y a des choses et les événements se posent sur les choses comme je pose le papier sur la table.” Quand on réussit à vous happer avec des mots si ordinaires, cela fait beaucoup d'innocence; mais ce n'est pas si naïf que l'on croit, c'est au contraire la pratique du concept le plus extrême. Elle destitue toute philosophie réflexive avec ses principes (idées objectives, raison subjective), sa quête des origines, même perdues ou raturées, son explication des phénomènes toujours au nom de l'Universel, du Général. La logique deleuzienne (cartographie), elle, ne concerne 5 que les processus de consolidation immanents à l'ensemble flou de l'expérience; ce qui demande d'autant plus de rigueur car ce sont leurs vitesses, leurs lenteurs plus que leurs formes qu'il faut penser, leurs intensités plus que leurs sujets. D'où le symptôme courant d'air, justement l'extériorité propre de toute relation-processus qui charrie les termes - sujets avec leurs mouvements changeants... – le Maître et les élèves aussi. Et l'on comprend qu'il n'y ait plus de séminaire du mardi. On ne le répétera jamais assez: rien n'agace davantage Deleuze que ceux qui pensent “je suis ceci, je suis cela”, et qui donc aimeraient bien faire partie d'une école de plus, en identifiant le professeur public en tant que maître. Mais les seuls maîtres, dit Nietzsche, ce sont les intempestifs, ceux qui créent et qui arrivent à attraper sous les événements bruyants, les petits événements silencieux (à la fois trop tôt - trop tard, déjà là, pas encore) annonçant la composition de nouvelles forces... Et pourquoi pas le 2 juin 87? En effet la philosophie pratique que Deleuze ne cesse d'expérimenter au hasard d'autres rencontres, dans d'autres lieux, reste inséparable pour ceux qui l'ont suivi, et non seulement à Paris VIII, de “l'exercice le moins facile” à continuer non nécessairement par le matériau philosophique. Car c'est à même le réel qu'on peut tout vivre en événement, en faire une production d'existence nouvelle, une relation si petite soit-elle entre tous les devenirs minoritaires du monde. Sans doute une “politique” aussi; dès lors l'agencement-sympathie fonctionne davantage, davantage, d'autant plus imperceptible, soyez-en sûrs. Giorgio Passerone, chercheur à l'Université philosophique européenne, est le traducteur en italien de “Mille plateaux”. uploads/Philosophie/ deleuze-le-dernier-cours.pdf

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