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1 Le texte suivant est tiré de Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée (Paris, UNESCO : Bureau international d’éducation), vol. XXIII, n° 1-2, 1993, p. 277–93. ©UNESCO : Bureau international d’éducation, 2000 Ce document peut être reproduit librement, à condition d’en mentionner la source. JOHN DEWEY (1859-1952) Robert B. Westbrook John Dewey a été le philosophe américain le plus marquant de la première moitié du XXe siècle. Sa carrière s’est étendue sur trois générations, et sa voix s’est fait entendre au milieu des controverses culturelles qui ont agité les États-Unis (et d’autres pays) depuis les années 1890 jusqu’à sa mort, en 1952, à près de 93 ans. Au fil de sa longue carrière, Dewey a élaboré une philosophie prônant l’unité entre théorie et pratique, unité dont il a donné l’exemple dans son propre travail d’intellectuel et de militant politique. Sa pensée était ancrée dans la conviction morale que démocratie veut dire liberté, et il a consacré sa vie à élaborer une argumentation philosophique pour étayer cette conviction et à militer pour sa concrétisation (Dewey, 1892, p. 8). Nulle part, l’attachement de Dewey à la démocratie et à l’intégration de la théorie à la pratique n’est plus manifeste que dans son parcours de réformateur de l’éducation. Alors qu’il venait de prendre ses fonctions à l’Université de Chicago, à l’automne 1894, Dewey écrivait à sa femme Alice : «Parfois je pense à arrêter d’enseigner la philosophie directement pour l’enseigner par le biais de la pédagogie » (Dewey, 1894). Même si Dewey n’a finalement jamais cessé d’enseigner la philosophie, il est probable que ses vues philosophiques ont touché plus de lecteurs par ses ouvrages destinés aux éducateurs, tels que L’École et la société (The school and society, 1899), Comment nous pensons (How we think, 1910), Démocratie et éducation (Democracy and education, 1916) et Expérience et éducation (Experience and education, 1938), que par les ouvrages principalement destinés à ses confrères philosophes, et il a pu dire (Dewey, 1916) que Démocratie et éducation était, de toutes ses œuvres, ce qui se rapprochait le plus d’une somme de sa doctrine philosophique. Ce n’était pas un hasard, observa-t-il, si, comme lui-même, nombre de grands philosophes s’étaient intéressés de très près aux problèmes d’éducation, car il existe «une relation intime et vitale entre le besoin de philosopher et la nécessité d’éduquer ». Si la philosophie était sagesse - la vision d’une « meilleure manière de vivre » -, alors une conduite consciente de l’éducation était la praxis du philosophe. « Si la philosophie doit être autre chose que de vaines spéculations invérifiables, il faut qu’elle soit animée par la conviction que sa théorie de l’expérience est une hypothèse qui ne se réalise que pour autant que l’expérience est effectivement modelée en accord avec elle. Et cette réalisation exige que l’homme soit mis dans des dispositions d’esprit telles qu’il désire et recherche ce type d’expérience. » Ce modelage des dispositions peut s’effectuer par l’intermédiaire de divers agents, mais dans les sociétés modernes l’école est l’un des plus déterminants et, à ce titre, constitue le lieu indispensable où une philosophie se concrétise en « réalité vivante » (Dewey, 1912-1913, p. 298, 306-307). Les efforts déployés par Dewey pour donner vie à sa propre philosophie dans le cadre de l’école ont soulevé des polémiques et aujourd’hui encore Dewey est au centre du débat sur les insuffisances du système scolaire américain : bête noire des conservateurs « fondamentalistes », il est considéré par les réformateurs qui prônent un enseignement « centré sur l’enfant » comme un précurseur et une source d’inspiration. Dans ce débat, les 2 deux camps ont tendance à faire une lecture erronée de l’œuvre de Dewey, surestimant son influence et minimisant les idéaux démocratiques qui ont été au cœur de sa pédagogie. L’avènement d’un pédagogue John Dewey naît à Burlington (Vermont) en 1859 ; il est fils de commerçant. Diplômé de l’Université du Vermont en 1879, il exerce brièvement les fonctions d’instituteur en Pennsylvanie et dans le Vermont, puis reprend ses études au département de philosophie de l’Université Johns Hopkins, qui avait institué aux -Unis les études universitaires sur le modèle allemand. Il devait y subir l’influence de George S. Morris, idéaliste néo-hégélien. En 1884, il soutient son doctorat avec une thèse sur « la psychologie de Kant » et il suit Morris à l’Université du Michigan à qui il succède à la direction du département de philosophie en 1889. C’est pendant son séjour dans le Michigan que Dewey fait la connaissance de sa future femme, Alice Chipman, alors une de ses étudiantes. Alice est entrée à l’université après avoir enseigné plusieurs années dans différentes écoles du Michigan, et plus qu’à quiconque Dewey lui doit l’orientation qu’allaient prendre ses intérêts vers la fin des années 1880. Il lui reconnaît d’ailleurs le mérite d’avoir insufflé « punch et substance » à son travail, et elle aura une influence considérable sur la formation de ses idées pédagogiques (Jane Dewey, 1951, p. 21). Après son mariage, Dewey commence à s’intéresser activement à l’enseignement public et fonde, avec d’autres, le Michigan Schoolmasters’ Club, dont il sera l’un des administrateurs et qui encourage notamment la coopération entre les enseignants des établissements secondaires et supérieurs de l’État du Michigan. Lorsqu’il quitte le Michigan pour la toute nouvelle Université de Chicago, à l’invitation de son président William Rainey Harper, il insiste pour être nommé à la tête du département de pédagogie et réussit à obtenir la création d’une « école expérimentale » où ses idées pourraient être mises à l’essai. C’est au cours de la décennie passée à Chicago (1894-1904) que Dewey élabore les principes de sa philosophie et commence à entrevoir le type d’école que requiert l’application de ses principes. Pragmatisme et pédagogie Au fil des années 1890, Dewey s’éloigne progressivement de l’idéalisme pur pour s’orienter vers le pragmatisme et le naturalisme qui vont imprégner la philosophie de sa maturité. A partir d’une psychologie fonctionnelle qui doit beaucoup à la biologie évolutionniste de Darwin et à la pensée d’un autre pragmatiste, William James, il commence à élaborer une théorie de la connaissance qui conteste les dualismes opposant l’esprit au monde et la pensée à l’action et dont la philosophie occidentale était imprégnée depuis le XVIIe siècle. Pour lui, la pensée n’est pas un ensemble d’impressions produites par les sens, ni une fabrication de quelque chose qu’on appelle la « conscience », encore moins la manifestation d’un Esprit absolu, mais une fonction médiatrice, instrumentale, qui s’est formée pour les besoins de la survie et du bien-être de l’humanité. Cette théorie de la connaissance met l’accent sur la « nécessité de mettre la pensée à l’épreuve de l’action si on veut la faire passer dans la connaissance », et Dewey reconnaît que cette condition s’étend à la théorie elle-même (Mayhew et Edwards, 1966, p. 464). Ses travaux sur l’éducation ont notamment pour objet d’explorer les implications de son instrumentalisme pour la pédagogie et d’en éprouver la validité par l’expérimentation. Convaincu que nombre de problèmes rencontrés dans la pratique éducative de son époque ont leur origine dans l’épistémologie dualiste erronée qui la fonde, - épistémologie qu’il dénonce dans ses écrits des années 1890 sur la psychologie et la logique -, Dewey 3 entreprend d’élaborer une pédagogie fondée sur les idées qu’il défend : le fonctionnalisme et l’instrumentalisme. Pour avoir passé beaucoup de temps à observer ses propres enfants grandir, Dewey est persuadé que la dynamique de l’expérience est la même chez l’enfant et l’adulte. Les enfants comme les adultes sont des êtres actifs qui apprennent en affrontant les problèmes qu’ils rencontrent au cours d’activités mobilisant leur intérêt. Pour les uns comme pour les autres, la pensée est un instrument qui leur sert à résoudre les problèmes de leur expérience vécue, et la connaissance est la sagesse accumulée qu’engendre la résolution de ces problèmes. Malheureusement, les conclusions théoriques de ce fonctionnalisme n’ont eu, constate Dewey, que peu d’impact sur la pédagogie, et les établissements scolaires ignorent cette identité de nature entre l’expérience des enfants et celle des adultes. Les enfants, affirme Dewey, n’arrivent pas à l’école comme autant d’ardoises vierges passives sur lesquelles l’enseignant inscrirait les leçons de la civilisation. Lorsque l’enfant entre à l’école, il est « déjà intensément actif, et il s’agit pour l’éducation de prendre en main cette activité, de lui donner une direction » (Dewey, 1899, p. 25). L’enfant qui commence sa scolarité apporte avec lui quatre « impulsions innées » - celles « de communiquer, de construire, de chercher à savoir et d’affiner son expression » - qui sont « les ressources naturelles, le capital non investi, dont la mise en valeur conditionne la croissance active de l’enfant » (Dewey, 1899, p. 30). L’enfant apporte également avec lui les intérêts et les activités du foyer et du voisinage dans lequel il vit, et il incombe à l’enseignant d’exploiter cette « matière première » en orientant les activités de l’enfant vers des « résultats positifs » (Mayhew et Edwards, 1966, p. 41). Cette argumentation a pour effet de brouiller Dewey à la fois avec les uploads/Philosophie/ deweyf.pdf

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