N°4 – Avril 2011 ISSN : 2031-4973 - eISSN : 2031- 4981 - Publication en ligne s
N°4 – Avril 2011 ISSN : 2031-4973 - eISSN : 2031- 4981 - Publication en ligne sur http://popups.ulg.ac.be/dissensus/ http://www.philopol.ulg.ac.be Efficacité : normes et savoirs (Coordination : T . Berns et D. Pieret) Introduction p. 2 Gaëlle Jeanmart : « L’efficacité de l’exemple » p. 4 Thibault Le Texier : « D’un principe de justice à un standard d’efficacité : la rationalité régalienne à l’épreuve de la logique gestionnaire » p. 49 Denis Pieret : « Efficacité et efficience selon François Jullien » p. 70 Géraldine Brausch : « Un détour par les stratèges de Jullien pour relire les analyses stratégiques de Foucault » p. 80 Laurence Bouquiaux : « De la déraisonnable efficacité des modèles » p. 109 Antoinette Rouvroy : « Pour une défense de l’éprouvante inopérationnalité du droit face à l’opérationnalité sans épreuve du comportementalisme numérique » p. 127 Thomas Berns : « L’efficacité comme norme » p. 150 Manuel Cervera-Marzal : « Vers une théorie de la révolution non-violente » p. 164 Antoine Janvier : « Pour une analyse matérialiste, généalogique et métapsychologique de la religion. Présentation de André Tosel, Du retour du religieux : scénarios de la mondialisation culturelle I, Paris, Kimé, 2011 » p. 185 Vincent Bonnet : « Act Up : “Mon identité n’est pas nationale”... ni homosexuelle » p. 198 – Revue de philosophie politique de l’ULg – N°4 – Avril 2011 – p. 2 Droit et philosophie du langage ordinaire (Coordination : T. Berns et D. Pieret) Introduction Le présent dossier rassemble une partie des travaux réalisé dans le cadre d’un séminaire de recherches mené durant à l’automne 2009 à l’université de Liège. L’argument s’appuie sur le constat que l’efficacité semble être devenue une donnée centrale du monde contemporain dans la mesure où elle occupe véritablement l’espace de la norme. En témoignent de nombreux phénomènes propres au monde contemporain, dans lesquels la production de savoirs et de normes est pensée entièrement à partir de son efficacité : le gouvernement du monde universitaire par l’évaluation, le développement des environnements intelligents et des activités de profilages, la transformation de l’entreprise en acteur politique responsable, vecteur de diffusion des droits de l’homme et des idées démocratiques. Quels changements dans la nature de la norme et dans la nature de la connaissance découlent de ce nouveau type de gouvernement entièrement concentré sur son efficacité ? Une norme tendancielle, exprimée en quota, momentanée, sans cesse réformée, prétendant épouser la singularité des acteurs sur lesquels elle porte, etc. est-elle encore une norme ? Un savoir constitué d’une suite de corrélations et produit de manière automatisée, dont la première vertu est la masse de données qui lui permet d’émerger, est-il encore une connaissance, aussi objectif et efficace que soit ce savoir ? L’efficacité, souvent constatée, d’une norme ou d’un savoir ne se limite-t- elle pas à la réussite auto-référée du processus engagé ? Les textes qui suivent s’attachent à élucider cette notion peut thématisée en philosophie. Gaëlle Jeanmart fournit une perspective historique et critique sur l’usage de l’exemple et son efficacité dans l’édification morale et dans l’histoire. Thibault Le Texier étudie l’emprise d’une « rationalité managériale » sur les institutions des – Introduction – p. 3 sociétés industrielles qui s’accompagne d’un glissement du principe de justice vers un impératif d’efficacité. Denis Pieret propose une synthèse des travaux de François Jullien, l’un des seuls philosophes à avoir affronté directement le thème de l’efficacité, de manière à opérer un déplacement par rapport au « pli » européen de la modélisation, ce cadre impensé dans lequel nous pensons l’efficacité comme adéquation entre la fin et les moyens. Géraldine Brausch revient vers Michel Foucault, à partir de Jullien, pour relire ses analyses du pouvoir et donner corps à la notion récurrente chez Foucault, mais mal définie, de stratégie. Laurence Bouquiaux repense la « déraisonnable efficacité des mathématiques dans les sciences naturelles » en prenant François Jullien à contrepied : ce qui réussirait dans les sciences, ce ne serait pas l’application d’un modèle idéal à la réalité, mais une lente transformation du potentiel de situation. Antoinette Rouvroy s’intéresse à la « création numérique de la réalité » pour dessiner, face à la normativité juridique, une « normativité algorithmique » ; à partir de la concurrence entre ces deux normativités, elle invite à reconceptualiser le « sujet de droit ». Thomas Berns, après avoir pris, à la suite d’Agamben, le langage comme idéal d’efficacité, étudie les nouvelles formes de normativités, inscrites dans une rationalité actuarielle et pensées comme immanentes au réel. Dans cette perspective, la norme efficace est une norme qui n’apparaît pas. « Telles des forces invisibles, les normes veillent au bon ordre des choses », dit la Commission européenne. – Revue de philosophie politique de l’ULg – N°4 – Avril 2011 – p. 4 Gaëlle Jeanmart : « L’efficacité de l’exemple » Introduction Le point de départ de cette réflexion vient d’un constat que nous avons fait dans notre réflexion sur l’histoire philosophique du courage1 : au seuil des Temps modernes, on assiste à la disparition du discours sur le courage et à la remise en question des présupposés à la base de la morale antique et de son analyse du courage. Le pari des Modernes semble être celui d’une moralisation immanente des individus guidés par leurs intérêts et sous la contrainte d’une vie collective. Ce processus de moralisation repose sur les dispositifs socio-économiques qui rendent possible la vie commune bien davantage que sur un rapport que le sujet moral responsable entretiendrait à lui-même et par lequel il s’obligerait à agir selon un idéal. Or, dans la production quasi mécanique du courage par les récits héroïques, la mort du héros prend précisément sens comme sacrifice et don gratuit pour une collectivité et la commémoration de cette mort ou de cet exploit a pour fonction de susciter la cohésion du groupe et un esprit d’émulation autour du héros présenté en modèle. On trouve une présentation parlante de ce processus de moralisation et de civilisation par l’exemplarité dans le dialogue que Platon consacre à l’oraison funèbre : « Ils (les orateurs) célèbrent la cité de toutes les manières et font de ceux qui sont morts à la guerre et de toute la lignée des ancêtres qui nous ont précédés et de nous-mêmes, qui sommes encore vivants, un tel éloge que moi qui te parle, Ménexène, je me sens tout à fait grandi par leurs louanges et que chaque fois je reste là, plus généreux, plus beau. (…) cette haute idée que j’ai de ma personne dure au moins trois jours ! » (Ménexène, 235a-b). Le récit des actes héroïques semble pouvoir susciter un enthousiasme qui donne une force, un élan irrépressible pour passer à l’acte et imiter le héros loué pour la survie de la patrie. Si le courage est resté une vertu moderne, serait-ce alors seulement en tant que pris dans une telle « mécanique » de civilisation et, particulièrement, sous la forme de récits incitateurs de vies exemplaires ? Ou bien la moralisation par les récits légendaires et héroïques a-t-elle subit elle aussi une crise à 1 T. Berns, L. Blésin, G. Jeanmart, Du courage. Une histoire philosophique, Paris, Les Belles Lettres, « Encre marine », 2010. – Gaëlle Jeanmart : « L’efficacité de l’exemple » – p. 5 l’époque Moderne ? L’objectif de cette réflexion est de comprendre, d’une part, les différents ressorts de cette mécanique du courage des récits de vie exemplaires, d’autre part, la pédagogie sur laquelle ils s’appuient pour rendre « plus généreux, plus beau », et, aurait-on pu ajouter, « plus courageux », et enfin les différentes manières de penser l’efficacité ou la performativité de l’exemple. Le thème de l’efficacité de l’exemple renvoie à une évidence : un acte héroïque ou vertueux aurait de soi, ou plutôt grâce au récit qui en est fait, des potentialités incitatives incontestables, qu’il faudrait mettre en avant et tenter d’utiliser pour lutter contre l’impuissance d’un raisonnement, et plus largement de toute théorie, en matière d’incitation à la pratique vertueuse. On serait tenté ainsi de mettre dos à dos l’impuissance morale du discours intellectuel, philosophique, du discours de vérité en somme, et l’efficacité éthique du récit d’aventures, sa puissance de transformation de l’éthos des auditeurs. La réflexion menée ici a pour but de recadrer cette évidence, c’est-à-dire de la situer à l’intérieur d’une pensée déterminée de l’exemplarité, qu’on cherchera à caractériser dans le contraste avec d’autres pensées de l’exemplarité. Cette manière de recadrer une évidence a pour objectif d’inviter à la prise en considération des présupposés sur lesquels l’évidence repose et qu’il faudrait assumer dès lors qu’on veut continuer à y souscrire. Il s’agirait donc ici de développer une pensée critique de la morale de l’exemple. Non au sens où il faudrait nécessairement renoncer à une telle morale, mais simplement au sens où il faudrait à tout le moins en assumer l’épistémologie et l’anthropologie : quelle vision de l’homme, des moteurs de son action, de sa liberté assume une morale de l’exemple ? Nous commencerons par répertorier quelques grands modèles épistémologiques qui ont uploads/Philosophie/ dissensus-2011-4.pdf
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- Publié le Jui 26, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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