INSTITUTION Valentin Schaepelynck Presses universitaires de Caen | « Le Télémaq
INSTITUTION Valentin Schaepelynck Presses universitaires de Caen | « Le Télémaque » 2013/2 n° 44 | pages 21 à 34 ISSN 1263-588X ISBN 9782841334384 DOI 10.3917/tele.044.0021 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-le-telemaque-2013-2-page-21.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses universitaires de Caen. © Presses universitaires de Caen. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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L’article reconstruit alors le concept à partir de la psychothérapie institutionnelle (Tosquelles, Oury) pour penser son écart d’avec la notion d’ “établissement”, et à partir de la pédagogie institutionnelle en introduisant une série de notions : norme, discipline, violence symbolique, conflit, qui permettent d’en décrire le champ et d’en caractériser les dynamiques. L’ “analyse institutionnelle” se définit alors comme une psychosociologie critique des institutions (Lapassade), visant à en mettre à jour le fonctionnement occulte, leurs enjeux de pouvoir, et susceptible d’intervenir dans le champ pratique pour œuvrer à leur remise en cause sociale et politique. La séquence des années 60-70 a connu le développement d’une pensée critique des institutions, globalement partagée par des auteurs aux options théoriques différentes ou même divergentes, ainsi que par des mouvements sociaux portés par des usagers et des professionnels de l’école, du travail social, de la psychiatrie ou du milieu carcéral. Dans cette constellation fortement hétérogène peuvent être inclus aussi bien les ouvrages de Pierre Bourdieu et de Jean-Claude Passeron sur le caractère socialement reproducteur de l’institution scolaire, les enquêtes d’Erwing Goffman sur les « institutions totales », la critique radicale de l’école par Ivan Illitch, les mouvements anti-psychiatriques en Grande-Bretagne et en Italie, ou encore le travail mené par le Groupe d’informations sur les prisons (GIP) autour de Michel Foucault. Des positions les plus réformistes aux plus révolutionnaires, ces différentes formes de critique semblent en effet s’accorder autour de l’idée que les institutions incarnent l’emprise, sur les acteurs sociaux, d’une domination symbolique ou d’une rationalité oppressive et disciplinaire. Les lieux d’enfermement et de discipline, reconnaissables nettement pour la plupart à des murs séparant physiquement un dedans d’un dehors, dressant des barrières étanches face à qui voudrait les pénétrer ou les abolir, tendent alors à offrir un modèle théorique général pour analyser la nature des phénomènes institutionnels dans leur ensemble. Toutefois, cette effervescence critique est aussi contemporaine de l’émergence d’un ensemble d’expériences qui se proposent de transformer les institutions, et non seulement de se libérer de leurs effets de contrainte et de contention. La psychothérapie et la pédagogie institutionnelle, respectivement sur les terrains de la psychiatrie et de l’école, proposent en ce sens d’aborder l’institution comme un ensemble de normes et de pratiques qu’il est possible de transformer et de réinventer. © Presses universitaires de Caen | Téléchargé le 09/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 90.114.177.91) © Presses universitaires de Caen | Téléchargé le 09/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 90.114.177.91) 22 Notion Au croisement de ce qu’elles sont parvenues à réaliser, l’analyse institutionnelle a imaginé la possibilité de généraliser ces transformations locales à l’ensemble du monde social, en problématisant celui-ci dans les termes d’une confrontation entre forces instituantes et instituées, refusant de réduire les dynamiques institutionnelles à des formes d’oppression et de répression inévitables des subjectivités. Étranges institutions En tant qu’il concerne des faits institués et non de nature, le domaine des sciences sociales s’est historiquement présenté lui-même comme celui des institutions. En ce sens, pour Émile Durkheim, la sociologie pouvait être définie comme « la science des institutions, de leur genèse et de leur fonctionnement » 1. Cette définition conférait à la notion d’institution et à la sociologie un domaine très large et même infini en puissance, puisque celui-ci incluait en droit n’importe quelle réalité socialement instituée, pour peu que l’on parvienne à l’objectiver. À la suite de Durkheim, Mauss et Fauconnet ajoutaient quant à eux qu’« il n’y a aucune raison de réserver exclusivement, comme on le fait d’ordinaire, cette expression aux arrangements sociaux fondamentaux. Nous entendons donc par ce mot aussi bien les usages et les modes, les préjugés et les superstitions que les constitutions politiques ou les organisations juridiques essentielles » 2. Mais ce que le concept gagnait alors en extension, il semblait en même temps le perdre en précision heuristique, et certains ont pu en conséquence arguer, à l’instar de Georges Gurvitch, que sa polysémie et son manque de clarté justifiaient que la sociologie s’en débarrasse au profit d’outils théoriques plus précis et plus rigoureux 3. Plus d’un siècle après Durkheim, un sociologue comme Luc Boltanski peut donc constater la « position assez étrange » occupée par ce concept dans sa discipline, « l’un des concepts fondateurs », « dont il est presque impossible de faire abstraction », et qui pourtant « fait assez rarement l’objet d’une tentative de définition ou même de spécification » 4. S’attachant à cerner ce qui fait la singularité des sociologies critiques, il remarque que celles-ci, lorsqu’elles sont de filiation durkheimienne et structuraliste, reconnaissent l’existence de quelque chose comme des « institutions », qu’elles connotent négativement comme incarnant des formes de domination, mais sans chercher pour autant à donner une signification plus précise à ce terme pourtant excessivement polysémique. Le paradigme des sociologies pragmatiques, dans leur opposition au structuralisme, aura quant à lui tendance aussi à connoter négativement les institutions, mais en voyant avant tout dans cette « contrainte qui s’impose de l’extérieur aux acteurs » une entrave « à leurs capacités à interpréter, à négocier, à réparer les situations menacées de discrédit ou à mettre en œuvre leur 1. É. Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, 1999, p. 22. 2. M. Mauss, P. Fauconnet, « La sociologie : objet et méthode », in M. Mauss, Essais de sociologie, Paris, Seuil, 1971, p. 16. 3. G. Gurvitch, La vocation actuelle de la sociologie, Paris, PUF, 1950. 4. L. Boltanski, De la critique. Précis de sociologie de l’émancipation, Paris, Gallimard, 2009, p. 85. © Presses universitaires de Caen | Téléchargé le 09/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 90.114.177.91) © Presses universitaires de Caen | Téléchargé le 09/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 90.114.177.91) 23 Institution Le Télémaque, no 44 – novembre 2013 sens commun pour trouver des solutions locales à des problèmes nouveaux » 5. Que l’on associe « l’institué à ce qui est durable et nécessaire par opposition à ce qui est labile et contingent », que « l’on mette au premier plan la contrainte » ou que l’on conteste l’abstraction de la réalité institutionnelle au nom des interactions concrètes et quotidiennes entre les acteurs sociaux 6, les institutions sont ainsi d’abord envisagées comme des réalités positives, qui transcendent les acteurs sociaux et constituent des cadres d’explication et d’analyse, adéquats ou non, de leurs comportements et de leurs croyances. Les bords de ces cadres sont particulièrement difficiles à délimiter, et on ne peut espérer les « tirer à l’équerre et au compas » 7. Comme le fait remarquer Véronique Tournay, il y a une « difficulté pratique et épistémologique » liée à « la grande plas- ticité interprétative de ce qui compose la réalité institutionnelle », et qui fait que « la grande majorité des cadres d’analyse évite de définir précisément où commence et où finit l’institution » 8. Il semble alors qu’il suffit de s’entendre sur une définition générale, qui place sous le terme d’institution des structures sociales pourvues d’une certaine stabilité. On peut alors faire remarquer que le concept se sépare de ce que nous enseigne l’étymologie du mot, celle-ci provenant du verbe latin instituo, qui signifie « placer dans », « installer », « établir », « fonder », « régler », « enseigner à ». Cette étymologie renvoie en effet à « une idée de mouvement […] qui tend vers un équilibre plutôt qu’à la consolidation durablement acquise d’un ensemble d’activités » 9. Elle se réfère donc davantage au processus d’institutionnalisation qu’au résultat ou à l’aboutissement final de ce processus. On pourrait penser justement qu’il s’agit là seulement d’un constat étymologique ne portant en lui-même aucune implication conceptuelle particulière. Pourtant, ce constat s’est en quelque sorte retrouvé, en particulier à partir de la fin de la Deuxième Guerre mondiale, uploads/Philosophie/ tele-044-0021.pdf
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