La perception de Dieu chez Louis Lavelle et le dialogue interreligieux1 La pens

La perception de Dieu chez Louis Lavelle et le dialogue interreligieux1 La pensée de Louis Lavelle continue de nourrir la réflexion philosophique et spirituelle même un demi siècle après sa mort. Pour cette conférence je me suis concentré sur le thème suivant: La perception de Dieu chez Louis Lavelle et le dialogue interreligieux. Le dialogue ou la rencontre des religions est à l’ordre du jour, notamment ici en Europe, où à côté de la pensée juive, celle des musulmans et des bouddhistes interpellent aussi bien la société que les églises chrétiennes. Plusieurs théologiens en ont une vive conscience, estimant que l’agenda théologique pour le siècle qui commence sera dominé par la question de l’interreligieux. Les remous suscités récemment par la déclaration vaticane Dominus Jesus ne font que confirmer combien le sujet est actuel, délicat et à tout prendre encore ouvert, loin d’être bouclé. Reste que tout est assez nouveau dans cet échange interreligieux. Il n’y a pas de modèles tout faits. Et surtout il ne sert pas à grand’chose de répéter des réponses d’autrefois à des questions nouvelles (selon une remarque du P. Ed. Schillebeeckx). Nous sommes sur un seuil: de nouveaux paradigmes se lèvent et interpellent les modèles reçus. L’approche violente qui réduit l’autre à soi, ou encore l’intolérance ou simplement une attitude arrogante au nom d’une forte cohérence ad intra mais qui ignore tout d’une relation vécue avec l’autre ad extra, voilà ce qui aujourd’hui commence à être perçu comme des écueils à éviter absolument. Dans ce contexte large, la pensée de Louis Lavelle peut-elle être une source d’inspiration? Aide-t-elle à poser autrement le problème des relations entre par exemple bouddhisme et christianisme, islam et judaïsme? A force de me frotter à ses écrits, comme disait Montaigne, j’ai l’intime conviction que ce pourrait bien être le cas. Exégète et critique littéraire de formation, j’ai gardé depuis mes vingt ans un goût pour la lecture philosophique, notamment pour les penseurs de la tradition française. Je me meus à cheval entre discours spirituel et réflexion philosophique, savourant ce qu’il y a de spirituel chez le philosophe et de bien réfléchi chez tel ou tel mystique. Je ne puis offrir ici que quelques premiers jalons d’une quête. Dans l’héritage non publié de Lavelle on trouve deux dossiers, l’un intitulé Spiritualité et Religion. La Religion métaphysique, l’autre Philosophie de la Religion. Il s’agit de notes éparses recueillies au gré de ses lectures, avec des réflexions personnelles sous forme le plus souvent d’aforismes. Il est pour le moins clair que le philosophe n’a pas laissé la religion et les religions hors de son champ de réflexion. D’ailleurs dans la deuxième partie du Traité des valeurs, tout un chapitre est formellement consacré aux ‘valeurs religieuses’, de même on a publié en ’83 tout un chapitre d’une oeuvre inachevée sur la Participation, et qui traitait justement de la Participation religieuse. Tout au long de son oeuvre le thème de Dieu est omniprésent et central, comme le montre bien l’étude que l’abbé Jean Ecole lui a consacrée et qui est parue dans Filosofia oggi de 19832. En considérant ainsi l’ensemble de son oeuvre, tant la partie publiée que les deux dossiers de notes éparses, je me sens fortement interpellé par cette pensée: elle invite à une relecture radicale de l’expérience religieuse chrétienne. Plus qu’il ne décrit en phénoménologue, ou encore qu’il ne désigne et n’affirme en métaphysicien, Lavelle parle en témoin. Il témoigne et invite son lecteur à entrer dans ce qu’il perçoit et vit avec rigueur et liberté. 1 L’essentiel de ce texte a été prononcé comme une conférence à la réunion annuelle de l’Association Louis Lavelle à Paris, le 13 octobre 2000. 2 La sixième et dernière partie de l’étude de Christiane D’Ainval, La Philosophie de Louis Lavelle. Une doctrine de la présence spirituelle, Louvain-Paris 1967, est entièrement consacrée à la Présence à Dieu, pp.233-346. 1 Or dans tout son cheminement il est clair qu’il ne tient pas à faire fi de l’héritage religieux reçu, à savoir sa foi chrétienne et même plus particulièrement catholique. En tant que philosophe et spirituel, il assume cet héritage: les dogmes et les rites font régulièrement partie de sa réflexion, non certes comme points de départs mais comme thèmes qui sollicitent sa pensée. Il lui est même réussi à ne jamais durcir les différences entre le discours religieux traditionnel et la réflexion philosophique. Ce qui pouvait apparaître comme pure opposition, il le dépassait par une démarche dialectique et par une intégration sur un plan spirituel plus large et plus élevé, celui de la Présence Totale à laquelle tous participent, chacun selon sa mesure propre. Ainsi très souvent on le voit rejouer l’énoncé dogmatique de l’Incarnation, de la Trinité ou de la Rédemption en y discernant leur pertinence au plan spirituel et de la vie de l’âme. Comme justement c’est au niveau des modèles et des catégories qu’il nous faudra travailler pour rencontrer l’autre religion sans violence réductrice, le travail qu’a fait Lavelle sur soi et sur son héritage religieux me paraît ici exemplaire pour ceux qui se réclament de la même tradition vécue. Enfilons donc pour commencer quelques-unes des perles que sa méditation a produites sur Dieu. Sa manière de vivre et de comprendre le rapport à Dieu, à soi et à sa tradition religieuse ne pourra manquer d’interroger le discours chrétien traditionnel au point de l’ouvrir et de le disposer positivement à la rencontre de ceux qui tiennent un discours religieux sans pensée dogmatique ou encore sans référence à une histoire du salut dite objective. - Dieu ne se révèle qu’à celui qui ne le cherche pas dans le monde comme un objet avec les yeux du corps. Et c’est pour cela que le monde doit être enveloppé dans la nuit pour que je puisse entendre la voix de Dieu, saisir en moi cette source intérieure qui féconde tout ce qui est, mais qui se cache dans tout ce qui est .(…) Ainsi le regard nous livre un monde d’apparences qui nous dissimule la réalité, et ce monde l’esprit le transfigure plutôt qu’il ne l’abolit quand il obtient par la contemplation pure la possession de la vérité. - On ne fera pas de Dieu le Roi du Monde, mais l’Invisible ou le Rien qui se cache et qui ne se révèle qu’à celui qui s’efface. - Dieu est une présence, et non une existence. Dieu n’existe pas comme un être, ni comme un idéal, mais comme source et comme fin. C’est en lui que se produit le mouvement temporel qui nous fait être, mais il nous permet de nous constituer nous-même afin de prendre place dans son éternité. - La plus grave de toutes les erreurs, c’est de faire de Dieu un éternel absent car non seulement il est la présence toute pure, mais encore c’est lui qui donne la présence à tout ce qui est. - Dieu est toujours comparé à un Roi éclatant qui dépasse et domine tous les êtres. Au lieu qu’il est le principe humble et invisible qui est partout présent (et ce changement de métaphores aurait la plus grande importance dans la renaissance de la spiritualité). - Dieu est l’omniprésence et son humilité parfaite fait qu’il disparaît devant la présence du monde. - Dieu est le principe à la fois de notre angoisse et de notre sécurité. Car il est une présence éternelle qui ne nous manque jamais mais à laquelle nous manquons presque toujours et que nous pouvons tantôt perdre et tantôt retrouver. - Dieu ou l’intériorité du monde. 2 - En cessant d’être extérieur à lui (Dieu), nous cessons d’être extérieur à nous-même. - Poser Dieu, ce n’est pas quitter le moi, c’est descendre jusqu’à son extrême intériorité. - Il n’y a pas de différence entre le trouver et l’aimer. - Dieu n’est pas un objet. On ne le trouve qu’en s’unissant à lui. - Chercher Dieu c’est s’unir à lui. - L’amour de Dieu c’est seulement de se sentir aimé par Dieu. Il est celui que l’on n’embrasse pas mais qui nous embrasse et par nous tout ce qui est. - Qu’est-ce aimer Dieu sinon reconnaître qu’il nous aime, c’est à dire qu’il y a un Dieu. - Dans l’amour que j’ai pour Dieu je ne fais rien de plus que répercuter l’amour qu’il a pour moi, c.-à-dire de l’amour qu’il a pour lui-même. - Ce n’est encore rien d’aimer Dieu par rapport à soi, car c’est seulement s’aimer soi- même. Il faut aimer Dieu par rapport à Dieu, et aimer seulement Dieu en soi, c.-à-d. la participation même qu’il nous donne de son être. ( - Ne jamais penser à soi, le soi ne peut que gagner dans cette vie et dans l’autre à se quitter toujours soi-même pour aimer ce qui le surpasse). - Dieu ne peut jamais être saisi comme objet, car tout objet est fini, mais il est le principe qui donne à chaque objet son achèvement. Il est la suprême pudeur et la suprême efficacité: il ne paraît jamais lui-même, il ne paraît que uploads/Philosophie/lavelle-et-le-dialogue-interreligieux.pdf

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