L’erreur en pédagogie DOSSIER THÉMATIQUE préparé par André Giordan avec Daniel
L’erreur en pédagogie DOSSIER THÉMATIQUE préparé par André Giordan avec Daniel Favre et Armen Tarpinian Dédié aux Écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) Décembre 2013 « Tout le monde commence par faire des erreurs, et un peintre qui ne comprendrait pas les erreurs qu'il fait ne pourrait jamais les corriger ». (Léonard de Vinci, 1452-1519) « Se raviser et se corriger, abandonner un mauvais parti, sur le cours de son ardeur, ce sont qualités rares, fortes et philosophiques » (Montaigne, Essais,1580) « Les plus courtes erreurs sont toujours les meilleures. » (Molière, L'étourdi, 1655) « S'il se trompe laissez-le faire, ne corrigez point ses erreurs, attendez en silence qu'il soit en état de les voir et de les corriger lui-même » (Rousseau, L'Emile, 1762) « Il est impossible qu'aucun élève ne se soit trompé dans les règles qu'on lui a données pour exemple. L'instituteur a dû le remarquer, et montrer comment et en quoi consistait l'erreur, et quelle en était la cause. Il doit ici rappeler ce fait, pour faire sentir aux élèves l'utilité dont il est pour eux de savoir reconnaître eux-mêmes leurs erreurs » (Condorcet, Écrits sur l’instruction publique, 1794) « L'expérience, c'est le nom que chacun donne à ses erreurs. » (Oscar Wilde, 1892) « Les erreurs sont les portes de la découverte.» (James Joyce) « Ici [à l'école] l'on se trompe, l'on recommence ; les fausses additions n'y ruinent personne. Et ce n'est pas peu de chose si le sot rit d'une énorme erreur qu'il a faite. Par ce rire il se juge lui-même. Remarquez que nous ne raisonnons jamais que sur une erreur reconnue. » (Alain,) « Penser, c'est aller d'erreur en erreur. » (Alain, 1932/1976, p. 85) « L'essence même de la réflexion c'est de comprendre qu'on n'avait pas compris. » (Bachelard, Le nouvel esprit scientifique, 1934) « Nous apprenons quelque chose de nos erreurs (ne serait-ce qu'à ne plus les commettre), mais [...] un comportement correct n'est pas tout simplement ce qui reste lorsque les comportements erronés ont été éliminés » (Burrhus Frederic Skinner, The technology of teaching, 1968) « Accompagner un élève, c’est sentir son niveau de confiance pour lui en redonner, par exemple en faisant de ses erreurs, non pas des fautes, mais de simples « faux pas » à travailler » (André Giordan, thèse 1976). « Tandis que les théoriciens aiment à recueillir, cultiver et classer les erreurs, les praticiens, quant à eux, sont plus intéressés par leur élimination et, quand ce n'est pas possible, tentent de contenir leurs effets néfastes en concevant des dispositifs tolérants à l'erreur » (James Reason, Human error, 1993, p. 11) dossier thématique L'erreur en pédagogie | École changer de cap - page 2 « Quand on aura compris dans ce pays qu’on apprend en se trompant, on reconstruira l’école différemment, » (Jacques Attali, Le Monde Éducation, 10 nov. 2010). « Je me trompe, c’est pourquoi je suis un homme », (Dostoïevski, Crime et châtiment, 1865) « Le procès fait à l’imperfection est un procès fait à la vie. Bachelard et Popper l’ont démontré : la science se nourrit sans fin de la réflexion sur ses erreurs. La limitation, le défaut, l’erreur, au lieu d’être induits par les parents et les pédagogues comme des phobies, peuvent être intégrés par l’enfant comme les ressorts et les alliés naturels de son désir de développement, afin qu’il devienne un artisan de sa propre vie et de la vie commune.» (Armen Tarpinian, Vivre s’apprend. Refonder l’Humanisme, Ed. Chronique sociale, 2009). « Il est remarquable que l’éducation qui vise à communiquer les connaissances soit aveugle sur ce qu’est la connaissance humaine, ses dispositifs, ses infirmités, ses difficultés, ses propensions à l’erreur comme à l’illusion, et ne se préoccupe nullement de faire connaître ce qu’est connaître » (Edgar Morin, Les Sept savoirs nécessaires à l’éducation du Futur, Seuil, 2000). dossier thématique L'erreur en pédagogie | École changer de cap - page 3 INTRODUCTION, André GIORDAN Une évidence, pourquoi tant de résistances ? Voilà cinq siècles que l’erreur est considérée comme inévitable dans l’acte d’apprendre ; mieux elle paraît totalement inhérente à ses processus. Dans les sciences, depuis Roger Bacon, (1214-1294), surnommé Doctor mirabilis, en passant par Jean Sénébier (1802) et Claude Bernard (1865), la connaissance avance par un travail sur l’erreur. Il y a plus de 70 ans, Bachelard a synthétisé ces idées : « On connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l'esprit même fait obstacle ». Loin d’être une accumulation continue et graduelle selon une logique encyclopédique, le développement de la science s’élabore dans une série de ruptures nécessaires à l’émancipation de l’esprit par rapport aux idées antérieures. Pour lui, plus précisément, « L’esprit scientifique se constitue sur un ensemble d’erreurs rectifiées » (Bachelard 1938) ; et l’erreur prend toute sa place dans la dynamique de la pensée. On peut ajouter qu’elle devient constitutive quand on a appris à la repérer et à la rectifier. Or dans le cadre scolaire, université comprise, l’erreur devient au mieux pour l’enseignant une perle pour en rire et pour l’élève/l’étudiant une faute souvent mal vécue et radicalement sanctionnée. Au point que très souvent, ce dernier ne peut plus apprendre, et le plus souvent se décourage, jusqu’à en perdre la confiance en soi. Heureusement, depuis une trentaine d’années, l’erreur est réhabilitée par tout un ensemble de travaux en didactique. Avec le projet de refondation de l’école, le « statut de l’erreur » pourrait s’inscrire plus que jamais au cœur des dynamiques qui renouvellent l’enseignement. « Conférer un statut positif à l’erreur » constitue la proposition n°8 du « Collectif École changer de cap ». On peut y lire « Il s’agit là en réalité d’une véritable révolution mentale et culturelle qui ferait passer d’une pédagogie intimidante à une pédagogie stimulante et sécurisante ».(voir plus loin les propositions 7-8-9 du Collectif). Sa mise en œuvre conduit bien sûr à un certain nombre de questions certaines d’essence théorique, d’autres plus pragmatiques. Qu’est-ce qui se cache derrière dossier thématique L'erreur en pédagogie | École changer de cap - page 4 l’erreur d’un élève ? Quels types d’obstacles traduit-elle ? Ceux-ci peuvent être multiple, d’origines et de niveaux divers. Les travaux entrepris sur les conceptions des élèves ont ouvert la voie d’une meilleure compréhension des épreuves que rencontre une personne qui apprend (Giordan et de Vecchi 1987). L’erreur peut relever d’une incompréhension des consignes, d’un désintérêt pour le sujet traité ou d’un décalage avec la culture de l’école. Les termes employés en classe ne sont pas tous « transparents » pour les élèves : que veulent dire pour eux les termes « analyser, indiquer, expliquer, interpréter, conclure… » par exemple ?.. L’erreur peut résulter encore d’un mauvais décryptage des règles du contrat scolaire. Bien des erreurs proviennent de difficultés à décoder les implicites d’une situation. De même, l’erreur peut témoigner des représentations des élèves, directement liées à leur cadre ou à leur contexte de vie. Elle peut dépendre de leur mode de raisonnement, des inférences qu’ils sont capables de faire, des démarches qu’ils peuvent mobiliser. Certains obstacles sont liés aux façons dont l’élève agit et réfléchit avec les moyens dont il dispose ; ces derniers ne sont pas nécessairement appropriés et conduisent inéluctablement les élèves à faire des erreurs. Sans être exhaustif, on pourrait encore citer les erreurs provoquées par la situation scolaire ou par la méthode utilisée. Celle-ci peut être profondément décalée par rapport aux besoins ou au fonctionnement mental de l’enfant, de l’adolescent. Dans chaque cas, la remédiation est spécifique ; l’enseignant est-il préparé pour repérer ces blocages ? De plus, les connaître ne suffit pas, encore faut-il pouvoir y remédier. A-t-il les moyens de faire du cas par cas ? Théoriquement, cela implique de travailler sur la place et le statut de l’erreur en fonction du modèle pédagogique envisagé. De « faute » dans les modèles frontal ou imitatif, elle devient « bogue » dans le modèle béhavioriste. Reste encore un pas immense, peu évident pour tout enseignant, pour la rendre « outil » dans le modèle constructiviste. Et encore ce modèle ne suffit-il pas toujours pour transformer une conception profondément enracinée ou pour provoquer un changement de comportement. Le modèle allostérique doit être appelé à la rescousse ; celui-ci n’exclut pas les autres modèles mais en plus introduit d’autres dimensions qui conduisent l’enseignant à dépasser ses propres conceptions sur le métier. L’erreur devient alors « ressource », « point d’appui », « repère » ; il faut faire « avec (elle) pour aller contre ». Ce qui demande dossier thématique L'erreur en pédagogie | École changer de cap - page 5 tout un « environnement didactique » qu’infère ce dernier modèle (Giordan 1998). Cette ultime approche renvoie à nouveau à des questions pratiques : • comment être attentif à la formulation des consignes et leur clarté ? • comment élaborer les routines de la classe avec les élèves par la discussion ? • comment faire émerger les conceptions alternatives des élèves, les prendre uploads/Philosophie/ dossier-erreur.pdf
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- Publié le Aoû 18, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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