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EHESS Du mythe à la raison: La formation de la pensée positive dans la Grèce archaïque Author(s): Jean-Pierre Vernant Reviewed work(s): Source: Annales. Histoire, Sciences Sociales, 12e Année, No. 2 (Apr. - Jun., 1957), pp. 183-206 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/27579860 . Accessed: 09/06/2012 21:34 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Annales. Histoire, Sciences Sociales. http://www.jstor.org ETUDES Du mythe ? la raison LA FORMATION DE LA PENS?E POSITIVE DANS LA GR?CE ARCHA?QUE La pens?e rationnelle a un ?tat civil ; on conna?t sa date et son lieu de naissance. C'est au vie si?cle avant notre ?re, dans les cit?s grecques d'Asie Mineure, que surgit une forme de r?flexion nouvelle, toute positive, sur la nature. Burnet exprime l'opinion courante quand il remarque ? ce sujet : ? Les philosophes ioniens ont ouvert la voie, que la science, depuis, n'a eu qu'? suivre 1 ?. La naissance de la philosophie, en Gr?ce, marquerait ainsi le d?but de la pens?e scientifique, ? on pourrait dire : de la pens?e tout court. Dans l'Ecole de Milet, pour la premi?re fois, le logos se serait lib?r? du mythe comme les ?cailles tombent des yeux de l'aveugle. Plus que d'un changement d'attitude intellectuelle, d'une mutation mentale, il s'agirait d'une r?v?lation d?cisive et d?finitive : la d?couverte de l'esprit 2. Aussi serait-il vain de rechercher dans le pass? les origines de la pens?e rationnelle. La pens?e vraie ne saurait avoir d'autre origine qu'elle-m?me. Elle est ext? rieure ? l'histoire, qui ne peut rendre raison, dans le d?veloppement de l'es prit, que des obstacles, des erreurs et des illusions successives. Tel est le sens du ? miracle ? grec : ? travers la philosophie des Ioniens, on reconna?t, s'incarnant dans le temps, la Raison intemporelle. L'av?nement du logos introduirait donc dans l'histoire une discontinuit? radicale. Voyageur sans bagages, la philosophie viendrait au monde sans pass?, sans parents, sans famille ; elle serait un commencement absolu. Du m?me coup, l'homme grec se trouve, dans cette perspective, ?lev? au-dessus de tous les autres peuples, pr?destin? ; en lui le logos s'est fait chair. ? S'il a invent? la philosophie, dit encore Burnet, c'est par ses qualit?s d'in telligence exceptionnelles : l'esprit d'observation joint ? la puissance du raisonnement3 ?. Et, par-del? la philosophie grecque, cette sup?riorit? quasi providentielle se transmet ? toute la pens?e occidentale, issue de l'hell?nisme. 1. Early greek philosophy, 3e ?d., Londres, 1920, p. v. L'ouvrage a ?t? traduit en fran ?ais sous le titre : L'aurore de la philosophie grecque. 2. On trouve encore cette interpr?tation chez Bruno Snell dont la perspective, pourtant, est historique. Cf. Die Entdeckung des Geistes. Studien zur Entstehung des europ?ischen Denkens bei den Griechen, Hambourg, 1948. 3. Greek philosophy from Thaies to Plato, Londres, 1914, p. 10. Comme l'?crit Mlle Cl? mence Ramnoux, la physique ionienne, selon Burnet, sauve l'Europe de l'esprit religieux d'Orient : c'est le Marathon de la vie spirituelle ( ? Les interpr?tations modernes d'Anaxi mandre ?, Revue de M?taphysique et de Morale, n? 3, juil.-sept. 1954). 183 ANNALES I Au cours des cinquante derni?res ann?es, cependant, la confiance de l'Occi dent en ce monopole de la Raison a ?t? entam?e. La crise de la physique et de la science contemporaines a ?branl? les fondements, ? qu'on croyait d?finitifs, ? de la logique classique. Le contact avec les grandes civilisations spirituellement diff?rentes de la n?tre, comme l'Inde et la Chine, a fait ?clater le cadre de l'humanisme traditionnel. L'Occident ne peut plus aujourd'hui prendre sa pens?e pour la pens?e, ni saluer dans l'aurore de la philosophie grecque le lever du soleil de l'Esprit. La pens?e rationnelle, dans le temps qu'elle s'inqui?te de son avenir et qu'elle met en question ses principes, se tourne vers ses origines ; elle interroge son pass? pour se situer, pour se comprendre historiquement. Deux dates jalonnent cet effort. En 1912, Cornford publie From religion to philosophy, o? il tente, pour la premi?re fois, de pr?ciser le lien qui unit la pens?e religieuse et les d?buts de la connaissance rationnelle. Il ne revien dra ? ce probl?me que beaucoup plus tard, au soir de sa vie. Et c'est en 1952 ? neuf ans apr?s sa mort ? que paraissent, group?es sous le titre Princi pium sapientiae. The origins of greek philosophical thought, les pages o? il ?tablit l'origine mythique et rituelle de la premi?re philosophie grecque. Contre Burnet, Cornford montre que la ? physique ? ionienne n'a rien de commun avec ce que nous appelons science ; elle ignore tout de l'exp?ri mentation ; elle n'est pas non plus le produit de l'intelligence observant directement la nature. Elle transpose, dans une forme la?cis?e et sur un plan de pens?e plus abstraite, le syst?me de repr?sentation que la religion a ?la bor?. Les cosmologies des philosophes reprennent et prolongent les mythes cosmogoniques. Elles apportent une r?ponse au m?me type de question : comment un monde ordonn? a-t-il pu ?merger du chaos ? Elles utilisent un mat?riel conceptuel analogue : derri?re les ? ?l?ments ? des Ioniens, se pro file la figure d'anciennes divinit?s de la mythologie. En devenant ? nature ?, les ?l?ments ont d?pouill? l'aspect de dieux individualis?s ; mais ils restent es puissances actives, anim?es et imp?rissables, encore senties comme divines. Le monde d'Hom?re s'ordonnait par une r?partition entre les dieux des domaines et des honneurs : ? Zeus, le ciel ? ?th?r? ? (aith?r, le feu) ; ? Had?s, l'ombre ? brumeuse ? (a?r, l'air) ; ? Poseidon la mer; ? tous les trois en commun, Gaia, la terre, o? vivent et meurent les hommes 1. Le cosmos des Ioniens s'organise par une division des provinces, une r?partition des sai sons entre des puissances oppos?es qui s'?quilibrent r?ciproquement. Il ne s'agit pas d'une analogie vague. Entre la philosophie d'un Anaxi mandre et la Th?ogonie d'un po?te inspir? comme H?siode, Cornford montre que les structures se correspondent jusque dans le d?tail 2. Bien plus, le 1. Iliade, XV, 189-194. 2. Principium sapientiae, p. 159 ? 224. La d?monstration est reprise par G. Thomson, Studies in ancient greek society, Vol. II, The first philosophers, Londres, 1955, p. 140 ? 172. 184 DU MYTHE A LA RAISON processus d'?laboration conceptuelle qui aboutit ? la construction natura liste du philosophe est d?j? ? l' uvre dans l'hymne religieux de gloire ? Zeus que c?l?bre le po?me h?siodique. Le m?me th?me mythique de mise en ordre du monde s'y r?p?te en effet sous deux formes qui traduisent des niveaux diff?rents d'abstraction. Dans une premi?re version, le r?cit met en sc?ne les aventures de person nages divins 1 : Zeus lutte pour la souverainet? contre Typhon, dragon aux mille voix, puissance de confusion et de d?sordre. Zeus tue le monstre, dont le cadavre donne naissance aux vents qui soufflent dans l'espace s?parant le ciel de la terre. Puis, press? par les dieux de prendre le pouvoir et le tr?ne des immortels, Zeus- r?partit entre eux les ? honneurs ?. Sous cette forme, le mythe reste tr?s proche du drame rituel dont il est l'illustration, et dont on trouverait le mod?le dans la f?te royale de cr?ation de la Nouvelle Ann?e, au mois Nisan, ? Baby?one 2. A la fin d'un cycle temporel, ? une grande ann?e, ? le roi doit r?affirmer sa puissance de souverainet?, mise en question en ce tournant du temps o? le monde revient ? son point de d?part 3. L'?preuve et la victoire royales, rituellement mim?es par une lutte contre un dragon, ont la valeur d'une recr?ation de l'ordre cosmique, saisonnier, social. Le roi est au centre du monde, comme il est au centre de son peuple. Chaque ann?e, il r?p?te l'exploit accompli par Marduk et que c?l?bre un hymne, YEnuma ?lis, chant? au quatri?me jour de la f?te : la victoire du dieu sur Tiamat, monstre femelle, incarnant les puissances de d?sordre, le retour ? l'informe, le chaos. Proclam? roi des dieux, Marduk tue Tiamat, avec l'aide des vents qui s'engouffrent ? l'int?rieur du monstre. La b?te morte, Marduk l'ouvre en deux comme une hu?tre, en jette une moiti? en l'air et l'immobilise pour former le ciel. Il r?gle alors la place et le mouvement des astres, fixe l'ann?e et les mois, cr?e la race humaine, r?partit les privil?ges et les destins. A travers rite et mythe babyloniens, s'exprime une pens?e qui n'?tablit pas encore entre l'homme, le monde et les dieux une nette distinction de plan. La puissance divine se concentre dans la personne du roi. La mise en ordre du monde et la r?gulation du cycle saisonnier appa raissent int?gr?es ? l'activit? royale : ce uploads/Philosophie/ du-mythe-a-la-raison-j-p-vernant.pdf

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