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1 Espacestemps.net - 1 / 13 - 11.05.2020 Espacestemps.net Penser les humains ensemble. Critique de la théorie critique. Par René-Éric Dagorn. Le 1 mai 2002 « Qu’est-ce que l’École de Francfort ? ». La troisième édition « mise à jour » du « Que sais-je ? » de Paul-Laurent Assoun est une excellente introduction à cette question. Alors que se multiplient les références à l’École de Francfort ou à ces membres les plus importants, Adorno, Horkheimer, Marcuse ; alors que la sociologie et la philosophie de Jürgen Habermas sont devenues des références fondamentales de la philosophie politique contemporaine ; alors que l’œuvre de Walter Benjamin est l’objet d’un intense travail de relecture dans les sciences sociales en général, il n’était pas inutile de revenir sur cette École dont l’histoire traverse le siècle et dont l’influence multiforme est considérable. Trois points apparaissent comme particulièrement intéressants dans l’approche thématique de l’École de Francfort proposée par Paul-Laurent Assoum. Pour lui, la définition de l’École est d’abord un enjeu essentiel, car elle est de l’ordre du « problème » que l’on doit résoudre et non du « champ » que l’on parcourt ; la Théorie critique ensuite, noyau dur de l’École, doit être comprise, d’un point de vue philosophique, à partir d’une « critique de la raison identitaire » ; enfin, La dialectique de la raison (1944) n’est pas la rupture majeure que l’on présente souvent et la totalité de l’histoire de l’École de Francfort doit être comprise dans une unité thématique qui transcende les ruptures. Visite guidée du « Grand Hôtel de l’Abîme » (Lukács). 2 Espacestemps.net - 2 / 13 - 11.05.2020 Le sujet du livre est bien l’École en elle même et non ses personnalités charismatiques : il s’agit donc, dans un premier temps, de « s’interroger sur l’identité de ‘l’École de Francfort’ – à écrire entre guillemets comme désignation problématique d’un ‘X’ ». C’est le premier des points forts de l’ouvrage : ne pas utiliser le substantif « École de Francfort » comme prétexte à une analyse de l’œuvre d’Horkheimer, Adorno, Marcuse, Fromm ou Habermas, mais tenter de cerner l’« existence historiquement déterminée [de] cette réalité baptisée “École de Francfort” » (p. 3). D’où une longue introduction où l’auteur propose une série de réponses partielles. L’École de Francfort comme « problème » à résoudre et non comme « champ » à parcourir. Réponse institutionnelle d’abord : « C’est le courant qui a pris corps à Francfort lors de la création, par un décret du 3 février 1923 […] d’un Institut für Socialforschung (Institut de recherches sociales) » (p. 5), l’expression « École de Francfort » n’étant utilisée qu’à partir des années cinquante. En février 1933 l’Institut s’installe en partie à Genève, deux annexes plus petites étant ouvertes à Paris et à Londres. On connaît le destin des intellectuels de « Weimar en exil1 » : en 1941 l’Institut est transféré aux États-Unis où le bureau principal de l’Institut est installé à New York. A partir de 1950 l’Institut revient à Francfort, du moins en partie : New York reste un bureau important, et Adorno, pourtant le plus attaché des membres de l’école au retour en Allemagne, continuera à écrire sur les États-Unis 2. Institut de recherches sociales : la formulation institutionnelle semble claire : « on est […] en présence d’un projet sociologique. Or, on manquerait le sens du projet en le résorbant d’emblée à cette catégorie. La formation des membres les plus importants nous en avertit : il s’agit de philosophes » (p. 7). D’où une deuxième définition partielle débouchant sur une deuxième caractéristique identitaire : l’Institut serait une École de « philosophie sociale », surtout à partir de 1931, date à laquelle Max Horkheimer en prend la direction. Comment comprendre l’expression « philosophie sociale » ? La réponse semble simple : il s’agit d’articuler les recherches empiriques de la sociologie et les concepts fondamentaux de la philosophie, « réflexivité philosophique, qui se fonde sur l’exigence du Concept, et […] investigation scientifique qui porte sur le donnée empirique » (p. 9). Mais cette articulation va passer par un noyau théorique dur, noyau qui peut permettre d’accéder selon Paul-Laurent Assoum à une troisième définition partielle : la « Théorie critique ». L’entrée dans l’École par la Théorie critique permet d’éviter la caractérisation par trop géographique de la première définition : se rattacheraient ainsi à l’École tous ceux qui utilisent les éléments de cette théorie et pas seulement les membres « officiels » des différentes antennes de l’École, depuis Francfort jusqu’à Los Angeles. La Théorie critique ? Pour l’instant Paul-Laurent Assoum nous dit qu’« Horkheimer la caractérise par opposition à la théorie dite “traditionnelle”, “ensemble de propositions concernant un domaine de connaissance déterminée”, comme “l’aspect intellectuel du processus d’émancipation” » (p. 10). Mais bien sûr, quatrième définition partielle, l’École c’est aussi Max Horkheimer et Theodor Adorno, le « duumvirat » (p. 12) des grandes figures charismatiques ; puis les « compagnons de route » (p. 13) : Herbert Marcuse, Walter Benjamin et, de manière plus lointaine, Erich Fromm, Friedrich Polock ou Franz Neumann… dont l’auteur propose une série de portraits intellectuels (p. 10-18). 3 Espacestemps.net - 3 / 13 - 11.05.2020 En fin de compte, « “L’École de Francfort” c’est donc ce label qui sert à repérer une événement (la création de l’Institut), un projet scientifique (intitulé “philosophie sociale”), une démarche (baptisée “Théorie critique”), enfin un courant ou mouvance théorique à la fois continue et diverse […]. Etant tout cela, c’est plus que cela : un phénomène idéologique qui produit curieusement ses propres critères d’identification par son processus d’engendrement : c’est du moins ce pari critique dont il nous faut examiner la validité » (p. 19). Une « critique de la raison identitaire » comme fondement de la Théorie critique. Paul-Laurent Assoum découpe ensuite son « Que sais-je ? » en trois parties, correspondant à trois moments d’analyse thématique : la philosophie, la sociologie politique et la philosophie de l’histoire de l’École de Francfort. Si les analyses de la sociopolitique de l’École à partir d’une critique de la domination sont classiques, les parties 1 et 3 du « Que sais-je ? » sont beaucoup plus intéressantes. On sait qu’Horkheimer a donné au moins trois versions du programme de la Théorique critique. En 1931 (« La situation de la philosophie sociale et les tâches d’un Institut de recherches sociales3 »), en 1937 (« Théorie traditionnelle et théorie critique4 ») et 1970 (« La Théorie critique hier et aujourd’hui5 »). Ce n’est pas le lieu ici de discuter de la Théorie critique en général. Suivant les problématiques privilégiées, les analyses insistent d’ailleurs sur tel ou tel aspect de la Théorie. Pour faire simple, et en suivant Alain Renaut, on pourrait dire que la Théorie critique est marquée à la fois par 1) le refus d’une théorie traditionnelle produisant un savoir pseudo-objectif qui permet en réalité à la société bourgeoise de se reproduire ; donc par la volonté de promouvoir un savoir capable de se penser comme « historiquement et socialement situé6 » ; 2) et par un projet d’émancipation politique à l’intérieur d’un projet marxiste : « l’aspect intellectuel du processus historique d’émancipation7 » pour reprendre les mots de Max Horkheimer. On n’oubliera pas cependant, comme le précise Frédéric Vandenberghe, que « traiter de la ‘Théorie critique’ comme une entité homogène, [cela] revient à ignorer les différences qui existent entre ses différentes périodes (Francfort/New York/Francfort) et ses divers auteurs (Horkheimer, Adorno, Marcuse, Benjamin…), et à tomber dans le piège de l’identité du concept et de la chose8 ». Dans cette logique de Théorie critique, contrecarrer la théorie traditionnelle suppose avant tout de récuser la théorie de l’identité du sujet et de l’objet. La première partie du « Que sais-je ? » consiste donc en une analyse de la « critique de la raison identitaire » (p .21). « La thèse philosophique fondamentale de la ‘Théorie critique’ est la récusation de la ‘théorie de l’identité’ à laquelle Hegel a donné sa forme accomplie. C’est Horkheimer qui l’exprime le plus clairement dans l’écrit de 1932 sur Hegel et la métaphysique » (p. 23). Depuis Hegel, nous dit Horkheimer, la Raison et le réel sont considérés comme identiques : la Raison permet d’accéder à la réalité, elle appréhende le réel de manière objective et positive. Il y a identité du sujet et de l’objet. C’est cette identité que la Théorie critique va s’attacher à déconstruire puis à rejeter : « Nier la doctrine de l’Identité, c’est réduire la connaissance à une simple 4 Espacestemps.net - 4 / 13 - 11.05.2020 manifestation, conditionnée par de multiples aspects, de la vie d’hommes déterminés […]. [Or] l’affirmation de l’identité n’est qu’une pure foi […].Nous connaissons des unités de nature extrêmement diverses et dans les domaines les plus divers qui soient ; mais l’identité du ‘penser’ et de l’être n’est rien d’autre qu’un “dogme” philosophique, de même que ce qu’elle présuppose que chacun de ses moments soit un : ainsi le “penser”, l’“être”, l’“histoire”, la “nature” ». Horhkeimer, Hegel et uploads/Philosophie/ ecole-de-francfort.pdf
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- Publié le Sep 05, 2021
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